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Jérémie 1 / 1-10
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texte : Jérémie 1 / 1-10
premières lectures : Épître aux Philippiens 3 / 4b-14 ; Évangile selon Matthieu 13 / 44-46
chants : 14-09 et 23-07
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Les citations des évangiles dans le lectionnaire catholique commencent souvent par les mots : « En ce temps-là… », qui traduisent le latin « in illo tempore ». Et les contes d’autrefois commencent toujours par « Il était une fois… », qu’on traduit aujourd’hui en anglais : « Once upon a time », comme le savent bien les cinéphiles ! Ces expressions laissent toujours derrière elles comme un goût d’inactuel : ce qu’on raconte était bon pour autrefois, s’est déroulé autrefois… Le « il était une fois » nous donne même à penser que ça ne s’est jamais passé, que c’est une leçon intemporelle, philo-psychologique… Les ethnologues parleraient d’un « mythe ». Mais il faut nous défaire de ces compréhensions-là ! En tout cas pour le texte de ce matin, il est bien clair que la notation temporelle passée n’indique pas que les lecteurs ne seraient pas concernés, ou seulement dans une anthropologie générale. Au contraire. On nous raconte une histoire particulière, et certes datée, et même précisément datée, afin que nous puissions y confronter nos propres histoires particulières, d’un passé plus récent puisque dans notre existence, ou même dans notre présent, voire dans notre futur ! Sans la tentation de reproduire à l’identique ce qui ne fut qu’une histoire unique… C’est pourquoi il m’a semblé bon, contrairement à ce qui était indiqué dans ma liste, de lire dès le début, avec justement la notation historique, l’inscription de cette histoire dans une époque bien précise, particulière, autre que la nôtre.
Car ce temps fut celui d’une fin, une fin qui parut sans doute brutale à ceux qui la vécurent dans la rue, mais que Jérémie passa sa vie à annoncer et à tenter d’empêcher, par sa prédication et son engagement politique qui allaient de pair. Mais on n’empêche pas l’inéluctable, en l’occurrence la fin du royaume de Juda et le déplacement des survivants de son élite dans un ghetto à Babylone. « Chronique d’une mort annoncée », pourrait-on mettre comme titre de cette prophétie. Cet événement particulier est unique, comme tout grand événement : l’histoire ne se répète pas, et si « les mêmes causes produisent les mêmes effets », en réalité on n’a jamais exactement les mêmes causes, ne serait-ce que parce que l’histoire est vécue par des gens, et que les gens sont différents d’une histoire à l’autre. Êtes-vous des Judéens, des Hiérosolymitains, vivant dans les années 610-590 avant notre ère ? Visiblement pas, et moi non plus. Vivons-nous la fin d’une époque, voire d’un régime, sinon d’une civilisation ? Beaucoup le disent, mais moi, je n’en sais rien, je ne le souhaite pas vraiment, mais je ne fais rien ni pour ni contre. Si la fin vient, elle me surprendra, moi aussi…
C’est dans le contexte très particulier, donc, de la fin de Juda et de Jérusalem, de la destruction du Temple bâti par Salomon, que Jérémie fut appelé, lui, descendant d’une famille de prêtres exclus du sacerdoce justement depuis Salomon (1 Rois 2 / 26-27) – autant dire depuis toujours. Nous arrivons ainsi au cœur du texte de ce jour : l’appel de Dieu à quelqu’un que, selon les critères des gens, Dieu n’aurait pas dû appeler ! Si son origine familiale n’est pas mise en avant, sinon par la précision géographique donnée au premier verset, Jérémie va devoir rappeler à Dieu qu’il est trop jeune pour que sa parole soit prise au sérieux. Moïse, lui, avait argué qu’il n’était personne (Ex. 3 / 11), puis finalement qu’il ne savait pas parler… (Ex. 4 / 10) Mais pour Jérémie comme pour Moïse l’argument est sans aucun poids aux yeux de Dieu. Après tout, dans cette société d’hommes, il a bien envoyé une femme, Déborah, à la place des généraux de l’armée d’Israël (Juges 4 / 8-9) ; il a bien choisi des femmes, noires de surcroît, comme femme de Moïse (Nombres 12 / 1) et comme héroïne du Cantique des cantiques (Cant. 1 / 5-6) représentant Israël lui-même. Et tant d’autres exemples, dans toute la Bible, où Dieu choisit des gens dont tout le monde pense qu’ils ne sont pas qualifiés, pour une raison ou une autre, comme si on était qualifiable par nature, par généalogie, par couleur, par sexe, par race, etc. Rappelez-vous la remarque de Nathanaël à Philippe à propos de Jésus : « Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? » (Jean 1 / 46)
Michel nous rappellerait que Dieu a parlé par des bouches d’enfants pendant le Désert, en Vivarais et en Cévennes, au début du XVIIIe siècle. Et aux confins de la Lorraine, Jeanne « la Pucelle » n’était pas bien vieille lorsqu’elle fut envoyée en 1429 comme prophétesse et chef de guerre ! Certes ces exemples ne sont pas bibliques. Mais ils peuvent nous rappeler déjà qu’en d’autres circonstances exceptionnelles, des enfants, des jeunes gens et des jeunes filles, des gens qui n’étaient pas faits pour ça, ont aussi été porteurs de la parole de Dieu, reconnus par certains de bon gré ou à contrecœur, et rejetés par d’autres. Jérémie sait donc bien ce qu’il fait en arguant de son âge, sur lequel nous n’avons pas d’autre précision : « jeune homme » … Mais Dieu n’avait pas attendu qu’il soit un ado ! C’est dès avant sa naissance, dès avant sa conception même – autant dire dès le commencement du monde ! – que Dieu avait choisi Jérémie pour la mission qu’il lui confie ce jour-là, comme il le lui dit. Manière aussi de dire qu’aucun argument ne portera, rien n’empêchera Dieu d’envoyer cet homme-ci comme « prophète pour les nations ». Lorsque Dieu « se confie dans la chair », pour parler comme l’apôtre Paul, ce n’est pas dans sa force, comme l’expression le suggère sous la plume de l’Apôtre, mais dans sa faiblesse, comme Paul lui-même en fera l’expérience, que ce soit dans le texte que je vous ai lu ou dans celui bien connu où Dieu lui a dit, comme fin de non-recevoir à ses plaintes et revendications : « ma puissance s’accomplit dans la faiblesse » (2 Cor. 12 / 9). David déjà l’avait chanté : « Par la bouche des enfants et des nourrissons tu as fondé ta force à cause de tes adversaires » (Ps. 8 / 3).
Il ne faut certes pas en déduire que toute parole d’enfant est parole de Dieu, même quand certains enfants prétendent dire aujourd’hui à l’humanité en général, ou à la gent masculine en particulier, quelle est sa faute irrémissible ! Qui peut savoir ? Jérémie a lui-même été confronté à cette question : la seule réponse est dans l’avenir… (Jér. 28 / 8-9) Aujourd’hui, nos textes bibliques nous invitent à considérer comment cette vocation particulière, exceptionnelle, va remplir la vie de Jérémie. Dieu le prévient, d’ailleurs : ça ne se passera pas bien ! « Ne les crains pas ; Car je suis avec toi pour te délivrer. » Effectivement, Jérémie sera non seulement souvent dans l’opposition, mais il y jouera sa vie, plus souvent en prison que dans les palais, et finalement disparu dans l’Égypte honnie pendant la débâcle (Jér. 43 / 6). Pour le dire avec les mots d’aujourd’hui, Jérémie n’a pas le choix, et n’aura aucune liberté dans sa prophétie et à cause d’elle. Le cadeau peut sembler empoisonné, et Jérémie le reprochera amèrement à Dieu, mais c’est pourtant bel et bien un cadeau. Qui est Jérémie ? C’est le prophète de la fin de Jérusalem. Il n’est rien d’autre, rien de plus. Il n’était pas prophète du lundi au vendredi de 8h à 16h30. Jérémie est seulement et pleinement « le prophète Jérémie ». Il est certes un être humain, mais rempli de sa vocation et des moyens que Dieu lui fournit pour l’accomplir : « Voici que je mets mes paroles dans ta bouche. Regarde… »
À la suite du Christ, chacun de nous est à la fois prêtre, prophète et roi. Mais chacun l’est de manière différente, pour des services, des missions, des ministères différents. Ce qui est commun à ces trois « titres », c’est aussi ce que je viens de vous montrer à propos de Jérémie, c’est que la vocation, l’appel, que Dieu adresse, est un cadeau qui remplit toute l’existence, depuis avant le début jusqu’après la fin ! Non qu’il n’y ait aucun moment, aucun espace, pour autre chose. Mais toute chose prend sens par rapport à cette vocation, à cet appel. D’aucuns se demandent pour quoi ils sont faits. De réponse naturelle il n’y a pas, je ne crois pas plus au destin que la Bible n’y croit, c’est une idée païenne. Par contre, devant Dieu, je puis entendre une autre réponse, non pas naturelle mais vocationnelle. La question n’est plus « pour quoi suis-je fait, pourquoi suis-je là ? » mais « à quoi Dieu m’appelle-t-il ? ». Comme pour Jérémie cette réponse n’est pas dans ce que je pense être ni dans ce que les autres disent de moi. « Trop jeune », trop ci, trop ça… Dieu ne s’en soucie pas plus pour nous que pour Jérémie !
Dieu nous a fait à chacun le cadeau d’une vocation particulière, alors que nous n’en sommes socialement ou naturellement ni dignes ni capables, et que nous pensons avoir largement d’autres choses à faire, une autre existence à vivre. La question qui se pose à nous, à tout âge, est de savoir si les deux petites paraboles que nous avons aussi entendues tout à l’heure parlent de nous, ou pas. L’appel de Dieu que nous entendons en recevant et méditant sa parole vaut-il pour nous plus que toute autre chose ? Et si nous voulons savoir ce que ça nous rapportera, écoutons Jésus répondre à Pierre après l’épisode du « jeune homme riche » : « En vérité, je vous le dis, il n’est personne qui ait quitté, à cause de moi et de l’Évangile, maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou terres, et qui ne reçoive au centuple, présentement dans ce temps-ci, des maisons, des frères, des sœurs, des mères, des enfants et des terres, avec des persécutions et, dans le siècle à venir, la vie éternelle. » (Marc 10 / 29-30) Cette réponse n’est pas celle que nous aurions aimé entendre. Nous nous passerions volontiers des persécutions, c’est-à-dire pour nous aujourd’hui des moqueries et des petites contrariétés que l’affirmation de notre foi chrétienne nous attirent ou nous attireront. Mais nous aurions aussi aimé n’avoir pas à abandonner certaines choses…
Peut-être l’extrémisme de cette réponse de Jésus répond-elle d’ailleurs seulement au fait que Pierre lui avait dit « avoir tout quitté pour [le] suivre ». Ce n’est pas le cas de la plupart d’entre nous. La lecture attentive du Nouveau Testament montre accessoirement qu’eux-mêmes n’avaient pas vraiment tout quitté… Mais certes ils y perdront la vie, lors de vraies persécutions à venir. Alors, se saisir de l’appel de Dieu et tout abandonner ? Mais c’est là où nous sommes que Jésus nous appelle à le suivre ! Tout comme c’est dans son sacerdoce rejeté que Jérémie a été appelé à dire le rejet par Dieu du sacerdoce officiel, celui du Temple, rejet qui sera consommé au moment de la mort de Jésus sur la croix. Le plus difficile alors n’est pas de suivre Jésus, ce n’est pas de dire oui à Dieu : Jérémie n’en a pas eu l’occasion, tout comme je ne l’ai pas eue non plus, ni d’autres parmi vous. Le difficile est d’ouvrir les oreilles. C’est d’entendre Dieu nous adresser vocation, nous dire en quoi consiste le cadeau qu’il nous a fait depuis toujours et que nous sommes invités à utiliser, auquel nous sommes invités à coller, en quelque sorte. Parfois, bien sûr, il nous arrive de nous boucher les oreilles. D’autres fois, nous entendons, mais nous ne savons pas si c’est de Dieu ou du diable : on peut en effet se croire appelé à ceci ou cela, mais c’est notre orgueil qui parle alors, plus que le Dieu des cieux !
La seule chose à laquelle je puisse vous appeler, la seule chose à laquelle nous devions être attentifs, et même parfois les uns pour les autres, comme des porte-parole, c’est : « qu’est-ce que Dieu veut de moi ? que veut-il que je fasse, que je sois ? » Et non pas hors-sol, mais dans la réalité concrète de mon existence et de mon environnement, qui sont loin d’être ceux de Jérémie il y a 2 600 ans ! Quelle est ma vocation aujourd’hui ? Puisse l’Esprit du Dieu vivant inspirer votre prière, votre réflexion, vos oreilles, vos bouches, vos mains. Et guider l’accomplissement de cette vocation qui est vôtre, jour après jour, au milieu des bonheurs et des peines. « Ne crains pas ; Car je suis avec toi pour te délivrer », dit celui qui est votre Père en Jésus-Christ. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 9 août 2020