Deuxième épître à Timothée 1 / 8-10

 

texte :  Deuxièmé épître à Timothée 1 / 8-10

autre lecture :  Évangile selon Marc 8 / 34-38

chants :  36-04 et 46-08

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Chers sœurs et frères de St Dié,

Les textes que nous venons de lire nous touchent ! le message de Paul à son compagnon Timothée nous encourage, comme il a dû encourager son premier destinataire. Paul, vieillissant, en prison, écrit à son collaborateur et ami, pour l’encourager à poursuivre la mission qui était la sienne et qui devient maintenant celle de son disciple. Mais ses recommandations vont bien au-delà, en fait, ce qu’il décrit, c’est l’attitude que doit avoir tout chrétien. Force, amour, maîtrise de soi (ou pondération) le caractérisent, de même que l’absence de gêne, de honte, de lâcheté pour témoigner de l’espérance qui provient de l’Evangile. Les paroles de Paul font écho à ce que Jésus disait à ses disciples.

 

Dans Marc au chapitre 8, Pierre dit pour la première fois que pour lui, Jésus est le Messie, et Jésus confirme : tu sais cela de source divine, rien de moins ! Puis suivent les paroles de Jésus, indiquant qu’il doit souffrir, oui mourir, et que dans l’avenir, on fera bien la différence entre ceux qui auront accepté de le suivre, aussi dans la tourmente, et ceux qui auront abdiqués, renié leur appartenance spirituelle. Pierre, qui veut reprendre Jésus sur les souffrances à venir c’est bien connu, on n’attrape pas des mouches  avec du vinaigre, doit vite déchanter : Jésus lui dit, arrière de moi, Satan. Puis vient le passage que nous avons entendu.

 

La tension entre l’annonce de  la vie en plénitude auprès de Dieu, qui s’approche, que l’on touche du doigt dans de rares   moments de grâce, et la souffrance, l’épreuve, la croix, la réalité quotidienne difficile, c’est la même   pour Jésus sur son  chemin de croix, le brillant évangéliste Paul dans sa prison, le timide Timothée chargé  d’une mission qui lui fait parfois peur et nous, confronté à une hostilité contre tout ce qui est religion, et nos sœurs et frères d’ailleurs, parfois persécutés souvent discriminés parce que chrétiens. Il y a là comme  un  paradoxe entre joie et épreuves, qui  marquent l’une et l’autre la vie du chrétien. Un paradoxe qu’il ne faut pas nier !

 

Dimanche dernier, j’ai participé à un culte consistorial organisé à la suite d’une retraite de confirmands de l’Alsace Bossue, et un groupe de louange local a apporté sa contribution, avec guitares, clavier, percussions. J’étais frappé par le contenu des chants : y était martelées les affirmations centrales de la foi, Dieu est grand, il est notre berger, il nous accompagne, Christ est mort pour nous, rien ne peut nous séparer de cet  amour (je cite de mémoire). Assurément, ces jeunes musiciens n’avaient pas honte de l’Evangile ! Mais cet évangile n’était-il pas trop conforme à l’esprit de notre temps, chacun  cherche son salut à sa manière, on cherche surtout à être béni, guéri par Dieu ! Pourquoi pas ! Les épreuves  et souffrances qui attendent les croyants n’étaient que très succinctement évoquées… Faut-il insister là-dessus ? Certains ont accusé le christianisme d’être une religion de masochistes, ayant un rapport malsain avec le  mal et la souffrance, pour d’autres, il offrirait à bon compte une consolation et une espérance reportée  à l’au-delà pour ne pas se révolter contre les injustices ici-bas ! Paul, Jésus, Timothée glorifient-ils cette souffrance ? La recherchent-ils ? Lorsque je relis les textes, je découvre qu’elles ne sont nulle part édulcorées, considérées comme   des sources de jouissance, ou le prix à payer pour la félicité éternelle ! Non, simplement, l’être humain est ainsi fait que lorsque justice, vie, solidarité, amour sont annoncés, des  gens ne le supportent pas et combattent ceux  qui portent cette espérance. Ce qui provoque d’innombrables  souffrances.

 

Si les embêtements  que subissent les croyants dans nos contrées  ne peuvent    décemment être considérés comme   des persécutions, écouter ce qui arrive aux chrétiens d’ailleurs, où la réalité est bien différente, peut aider à renouer avec la force qui vient de l’Évangile. C’est en tous cas l’expérience que j’ai faite durant la dizaine d’années où j’ai été chargé de la direction de l’Action Chrétienne en Orient. Souvent, physiquement   fatigué après une semaine de  rencontres intenses et parfois difficiles, je revenais avec un moral  en hausse : j’avais rencontré la foi en action, résistante, persévérante, et cela m’encourageais aussi pour mon  Église…

 

Ces  gens-là ne sont pas parfaits, j’en suis conscient. Pourtant, je suis, je reste plein d’admiration pour leur persévérance.  Car  quand on est chrétien et que l’on habite l’Iran, la Syrie, l’Égypte, l’Arabie Séoudite, la Turquie, la vie quotidienne n’est pas facile, il faut avoir la foi chevillée au corps. Il ne faut surtout pas généraliser, car chaque pays est très différent, et si un chrétien peut relativement bien vivre au Liban et en Jordanie, il sera sous haute surveillance en Iran et, selon la région, vivra en paix en Egypte, au Caire par exemple   ou au contraire devra craindre des attentats de groupes islamistes, dans le Sinaï. Si bien des chrétiens ont quitté le Moyen  Orient, d’autres ont fait le choix de rester, même si cela pèse lourdement sur leur vie familiale, professionnelle, et les soumet à un stress permanent. J’en parlerai plus en détails cet après-midi.

 

Comment   quitter les rivages de la peur pour arriver à la force, l’amour, la maîtrise de soi ? Comment vivre de la grâce, de la certitude que quoi qu’il arrive, notre vie est entre les mains de Dieu ? Là, plutôt que de faire un exposé théorique, je vais rapidement vous  raconter ce qui est arrivé depuis 2015 à un ami cher, le pasteur Sargez Benyamin, ancien secrétaire général du Synode  d’Iran.

 

Celui-ci vient d’une région reculée d’Iran, d’Urmia, près de la frontière irakienne. Il était l’un des cinq pasteurs protestants du pays, le Synode d’Iran étant formé de deux paroisses arméniennes, de deux paroisses assyriennes et d’une paroisse persophone, à Téhéran  même.  Tant qu’une  communauté    religieuse chrétienne reste cantonnée dans  son ghetto ethnique, on la laisse assez tranquille : le message est clair, le gouvernement de la République  islamique est tolérant … vis-à-vis de ceux qui ne sont pas vraiment iraniens ! Un iranien se doit d’être musulman chiite. Le Synode qui  regroupait aussi des convertis, de plus des communautés diverses, était vu avec suspicion. De plus, il suscitait des convoitises : il disposait de terrains, à l’origine dans une lointaine banlieue de Téhéran, mais    comme la ville s’était beaucoup agrandie, maintenant très intéressants d’un point de vue immobilier.

 

Les attaques, les unes insidieuses, les autres bien plus brutales sont montées en intensité. Le Synode a été interdit. On a trouvé des bibles sur le campus de l’une des paroisses, donc on y faisait du prosélytisme I Et des  menaces téléphoniques  anonymes  contre Sargez, sa femme, ses filles sont devenues de plus en plus courantes. Jusqu’à ce que, n’y tenant plus, en été 2015, il s’enfuit en Arménie avec sa famille. Je l’ai vu en octobre de  la même  année, malade, déprimé, voyant  l’œuvre d’une vie détruite, et n’ayant aucune perspective d’avenir. L’ACO a alors décidé de lui allouer un salaire, pour deux mois, nos amis américains de la presbyterian church (qui ont des moyens bien plus considérables) ont suivi. Pour un temps, il était à l’abri, ses filles ont appris l’arménien et ont rattrapé leur retard scolaire. Mais ce n’était pas une solution sur le long terme. Et puis est arrivé quelque chose d’invraisemblable et de beau : l’Église Universelle a montré qu’elle pouvait  vraiment aider : le Conseil Œcuménique, un organisme  missionnaire allemand évangélique, la « Allianz Mission », le Synode de l’Église Presbytérienne d’Écosse, et ACO France ont uni leurs forces, et Sargez a trouvé un poste de pasteur … en Allemagne, où, à Nuremberg, une paroisse qui accueillait de nombreux réfugiés iraniens voulait disposer d’un pasteur qui parle leur langue et comprend leur culture. Il a pu déménager en 2016, mais sa famille n’a eu l’autorisation de le rejoindre qu’en 2017. Et là, nouveau départ : il fallait apprendre la langue, se familiariser avec la culture allemande, bien différente de la perse et de l’arménienne.

 

Et Sargez, à 50 ans passés, doit reconstituer sa retraite, car en quittant son pays, il a perdu tous les droits qu’il avait précédemment acquis. Ses filles, habituées aux épreuves. Je connais plusieurs histoires de telles destinées, pas faciles, avec des moments de difficultés intenses, de dépression   même, mais aussi la découverte, ou le rappel que  même si les humains mettent bien des bâtons dans les roues des beaux projets du Seigneur, celui-ci trouve des voies où à vues humaines, il n’y en a pas.

Amen.

 

Saint-Dié (journée missionnaire)  –  Thomas Wild  –  8 mars 2020

 

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