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Psaume 80
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texte : Psaume 80
premières lectures : Ésaïe 5 / 1-7 ; 63 / 15 – 64 / 3 ; Évangile selon Matthieu 21 / 33-40
chants : 31-31 et 31-24
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Chers amis, le texte prévu pour aujourd’hui, j’ai déjà prêché dessus il y a 4 ans à Raon. Peut-être ne vous en souvenez-vous pas… Mais j’ai préféré ne pas le reprendre. Je me suis arrêté sur le psaume du jour dans cette liste alsacienne, ce psaume que nous avons aussi chanté au début de ce culte. Et puis, les débats que nous avons eus en synode régional, et du coup aussi au Conseil presbytéral avant-hier soir, résonnent avec ce psaume… « Dans quel état est notre Église ! Où allons-nous ? » La question qui est au fond, c’est celle de la tour, dans le « chant du bien aimé sur sa vigne » du prophète Ésaïe. Où est-elle, cette tour ? Mais surtout, à qui est-elle, cette tour, et cette vigne alentour ? Dans nos campagnes, ce n’est certes pas la saison des vendanges ! Et les vignes à faire du raisin et du vin ne sont pas tout à côté… La vigne dont parle le prophète ? « Elle a enfoncé ses racines et rempli le pays, les montagnes étaient couvertes de son ombre, elle étendait ses rameaux jusqu’à la mer et ses rejetons jusqu’au fleuve… » Mais « Pourquoi as-tu fait des brèches dans sa clôture ? » pleure le psalmiste, qui, lui, n’est peut-être pas si loin de nous.
Le psaume 80 ne parle pas de vendange végétale, bien sûr, mais humaine, de ce cépage si particulier qui avait nom Israël, et qui est la vigne de Dieu, le peuple de Dieu au cœur du monde. Et ce n’est pas affaire d’économie, ou plutôt : ce n’est pas affaire que de cela, car si vous lisez le prophète Ésaïe plus avant, vous verrez tout de suite que le péché d’Israël est aussi économique, là où chacun ne pense qu’à « ajouter maison à maison et joindre champ à champ » (És. 5 / 8). Mais ce n’est là qu’un élément, un signe, que nous ferions bien de méditer, certes ; hélas, le mal est encore plus profond, plus général, plus étendu… L’histoire de la tour de Babel, que je ne vous ai pas relue mais que vous connaissez, éclaire ce que le Maître de la vigne reproche à celle-ci, c’est-à-dire à son peuple : c’est qu’ils ont voulu « se faire un nom » (Gen. 11 / 4). Quoi de mal à cela, pour qui n’en a pas, pour qui ne doit compter que sur lui-même s’il veut exister ? Qui reprochera – ayant lui-même de quoi vivre – qui reprochera à celui qui n’a rien, de vouloir à son tour posséder, exister ? Mais pour la Bible, les humains ne sont pas dans ce cas, ils ont reçu un nom, ils peuvent compter sur Dieu leur Père pour exister, lui qui a fait d’eux les partenaires de sa seigneurie, en leur donnant la domination sur toute chose, sur toute vie. Vouloir s’auto-nommer, c’est refuser cette relation avec Dieu, c’est vouloir être soi-même son propre dieu, son propre maître… et donc aussi le maître des autres.
C’est exactement ce que reprend l’évangéliste Matthieu avec la « parabole des vignerons homicides » … La différence avec la « tour de Babel, c’est que, comme Ésaïe avant lui, Jésus applique cette image à Israël et à Jérusalem, et non plus à Babel-Babylone. Et c’est là la plus grande des critiques à l’égard du peuple de Dieu : il ne fait rien d’autre que les païens, il ne vaut pas mieux que Babylone ! La vigne de Dieu, l’Église, a été dévastée non point par des ennemis, mais par elle-même. Choyée et entretenue par son Seigneur, elle a pourtant donné des fruits pourris et non du raisin, se désolait le prophète. Alors, la tour de la vigne de Dieu, ou bien la tour de Babel ? Vigne de Dieu, ou bien vigne de fermiers indélicats et assassins ? Où est la tour ? Qui est le maître ?
Nostalgie. Nostalgie de l’époque bénie, et forcément passée – passée depuis bien longtemps – où cette vigne était belle, portait fruit, et était aimée de son maître au milieu de nations envieuses et admiratives… Est-ce seulement la plainte de l’Israël exilé à Babylone ? N’est-ce point aussi bien souvent la nôtre ? Où est-elle donc, l’époque bénie où nos temples étaient pleins, où nous avions survécu miraculeusement à des siècles de persécution et où nous tenions socialement aussi le haut du pavé ? Où est-elle, l’époque où enfants et filleuls suivaient sans question ni problème la voie tracée par les parents, parrains, aînés… ? À chaque réunion de notre Conseil, et souvent dans nos conversations, nous regrettons ce temps, nous constatons qu’il n’en reste plus rien aujourd’hui, à part les quelques personnes que nous sommes. Et nous pleurons de cette situation devant Dieu : « Éternel, Dieu des armées, jusques à quand t’irriteras-tu contre la prière de ton peuple ? »
Nous n’y sommes pas les seuls responsables, loin de là. Mais la question n’est pas là. Nous éprouvons cependant nous-mêmes la nostalgie dont fait preuve le psalmiste. Il faut la constater car, si cette nostalgie d’un passé peut-être glorieux, mais beaucoup fantasmé, porte à la prière, elle a par ailleurs un grand inconvénient : elle nous détourne du présent sous prétexte d’avoir douloureusement ce présent sous nos yeux ! Je veux dire : c’est une fuite, c’est un moyen de se proclamer impuissant devant les difficultés du jour ! Et je ne crois pas que Dieu nous demande cette impuissance. L’enjeu de la fin du psaume sera là-dessus, précisément. Mais dans la Bible, y compris notre psaume, le rappel du passé glorieux ou réputé tel ne sert jamais à se déclarer impuissant de changer le présent médiocre et douloureux dans lequel il faut bien se débattre, puisqu’on y est, et qu’on n’a pas moyen de faire autrement ! Le rappel de l’époque où « c’était mieux avant » est d’abord le rappel que cette époque fut celle de la gloire de Dieu manifestée pour nous, et non point le temps de notre propre gloire.
Ce rappel est important, il est fondamental. Sinon, nous sommes toujours à Babel, à pleurer sur nous-mêmes, et notre prière n’a aucune chance d’être entendue, serait-elle portée par les paroles du psaume 80. C’est d’abord notre regard sur le passé qui doit être nettoyé, purifié. Mais quelle peine nous y avons ! Et tant le rappel de l’abondance que le rappel de sa fin peuvent avoir ce rôle-là. Car s’il y eut abondance, c’est Dieu qui en fut cause, et non pas nos Pères qui en ont profité. Et si elle a pris fin, la cause n’en est pas ailleurs. Dieu seul est maître des temps, la gloire n’appartient qu’à lui. Elle fut manifestée afin d’être reconnue telle, elle se retira parce qu’elle n’était plus reconnue. Voilà la leçon du psaume, du prophète et de l’évangéliste réunis. Mais cela ne veut pas dire notre totale passivité. Bien au contraire. Si Dieu se montre et dispense des bienfaits, tant ceux qui semblent miraculeux que ceux que d’autres expliquent parfaitement par d’autres causes, c’est afin de susciter et d’entretenir « un peuple saint qui lui appartienne » (Deut. 7 / 6), sa vigne, pour reprendre l’image de nos textes. Il n’y a là ni récompense ni arbitraire, mais amour paternel de Dieu pour ses enfants. Et lorsque ceux-ci se croient grands et oublient d’où ils viennent et qui est leur Père, lorsqu’ils oublient à qui sont la vigne et la tour, alors il n’y a pas punition ou condamnation, mais simple changement de stratégie pour aboutir à la même fin.
Il s’agit donc pour nous, à la différence des vignerons assassins de l’héritier, de réaliser que nous, nous sommes bien les héritiers, non par droit acquis ou rétribution légitime, mais parce que le Maître de la vigne est aussi notre Père ! Ce qui est attendu de nous, c’est que nous nous tournions vers un Dieu enfin reconnu pour ce qu’il est : il est celui qui nous fait vivre par son amour, et que nous lui disions : « reviens » ! Car c’est bien lui qui doit revenir dans nos vies, dans nos cœurs, dans notre Église, et non pas l’abondance dans nos poches ou dans notre bancs, ou n’importe où ailleurs.
Ce détour par le passé, dans lequel nous nous complaisons, est donc nécessaire. Mais seulement pour que nous reprenions conscience au cœur du présent de la seule vraie vérité qui vaille dans n’importe quel monde et à n’importe quelle époque. C’est que Dieu est Dieu, et que nous n’avons de vie et de paix qu’en lui, qu’en son amour. Car, frères et sœurs, cette leçon est pour le présent, puisqu’elle est de toujours. Elle est pour tous ces moments où nous considérons notre misère, personnelle, communautaire, sociale, car la société ne va pas bien, et notre Église non plus, et nous-mêmes souvent pas. Mais à cela, il n’est pas de bons remèdes humains. Il en est de mauvais, certes ; il en est aussi qui ne servent à rien, il y a même de bons placebo, mais aucun vrai remède. Le seul remède, c’est la reconnaissance de la nécessité inéluctable de ce que le dernier verset du psaume demande : « Fais-nous revivre, et nous invoquerons ton nom, fais-nous revenir, fais briller ta face, et nous serons sauvés. » Ce que sera l’Église de demain : encore plus vide qu’aujourd’hui, ou beaucoup plus pleine qu’hier, nul ne le sait. Serons-nous reconnus, ou bien persécutés ? Riches ou pauvres ? Regorgeant de jeunesse ou refuge de vieilles personnes ?
Cela n’a pas d’importance, je vous le dis ! La seule question, c’est pour aujourd’hui, et c’est de savoir si Dieu est au centre, comme la tour dans la vigne, ou bien si nous mettons nos propres œuvres au centre. Je sais bien qu’un islamiste, un scientologue, un témoin de Jéhovah, et même un catholique intégriste, diraient la même chose. Je ne suis simplement pas sûr qu’avec les trois premiers, en tout cas, nous parlions du même dieu… Il ne s’agit pas de mettre la religion au centre, ni de l’imposer à qui que ce soit, y compris nos propres familles. Il ne s’agit pas de construire une tour et de l’appeler Jérusalem, elle serait Babel quand même, résultat de notre hubris ! Mais à chaque instant, se tourner vers la seule tour légitime, vers Dieu, vers le Père plein d’amour qui, en son Fils, nous a donné la vie éternelle. Nous tourner vers lui et lui dire « reviens », et puis, après le temps de la prière, savoir lui dire enfin « fais-moi revenir », « fais-nous revenir », car le problème, c’est moi, c’est nous, ce n’est pas lui !
Cela fait quelques centaines de milliers d’années, sinon plus, qu’il y a de l’humain au sens moderne sur cette planète. Cela fait peut-être 4 000 ans que Dieu a parlé avec Abraham, si l’on en croit les récits bibliques. Cela fait 2 600 ans qu’Israël a tout perdu et n’a pas compris grand’ chose, toujours pas. Cela fait 2 000 ans que le Fils de Dieu a habité notre existence humaine pour toujours. Sera-t-il temps un jour que Dieu règne au cœur de sa vigne, que celle-ci cesse de se regarder elle-même, qu’elle soit luxuriante ou ravagée, mais qu’elle regarde enfin celui qui s’occupe d’elle sans se lasser jamais, et jusqu’à la fin du monde ? Ma vie sera-t-elle enfin, un jour, ce que mon Seigneur en attend ? Notre Église assumera-t-elle aujourd’hui d’être l’Église de Jésus-Christ et non point à nous, non pas une religion mais une famille réunie autour de son Père et témoignant de lui devant tous les hommes et les femmes qui nous entourent, jeunes et vieux, malades ou bien-portants, riches ou pauvres, de toute race et de toute langue ? Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! « Fais briller ta face, et nous serons sauvés. »
Senones – David Mitrani – 5 décembre 2021