Première épître aux Corinthiens 10 / 16-17

 

texte :  Première épître aux Corinthiens, 10 / 16-17   (trad. Louis Segond)

premières lectures :  Exode, 12 / 1. 3-4. 6-7. 11-14 ;  Évangile selon Jean, 13 / 1-5. 34-35

chants :  24-03 et 24-05 (Alléluia)

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Chers frères et sœurs, je vais vous annoncer quelque chose de très original : la communion est une communion ! En doutiez-vous ? Ce n’est certes pas pour rien que Paul écrit ce qu’il écrit, et que les chrétiens ont continué d’appeler « communion » la célébration de la cène. Si les extraits de l’Exode que nous venons d’entendre nous rappellent pourquoi on parle du « sang de l’alliance » dès avant le départ d’Égypte, la maison de l’esclavage, vers la liberté ; si le récit évangélique nous rappelle quant à lui que le dernier repas de Jésus est aussi une invitation à être serviteurs les uns des autres ; le verset de Paul nous redit pourquoi : c’est que ce repas, comme d’ailleurs tout repas, crée une communion entre ceux qui le prennent parce que chacun est en communion avec la nourriture qu’il prend : or, c’est la même nourriture, le « même pain », pour chacun d’entre nous, et ce pain, c’est le corps et le sang de Christ, c’est sa personne et c’est l’alliance éternelle que Dieu a scellée avec nous dans la mort et la résurrection de Jésus.

 

Pour reprendre le récit mosaïque de la dixième plaie d’Égypte et de la Pâque, le sang de l’agneau immolé ce soir-là permet aux Israélites de ne pas subir la punition qui est pour tous, et qui va frapper tous ceux qui servent d’autres dieux et qui oppriment le peuple de Dieu : « Le sang vous servira de signe sur les maisons où vous serez ; je verrai le sang, et je passerai par-dessus vous, et il n’y aura point de plaie qui vous détruise, quand je frapperai le pays d’Égypte. » C’est la figure du sang versé par Christ, qui nous rachète de la mort éternelle que le péché nous mériterait. La rupture fondamentale entre nous et Dieu, et tous les effets de cette rupture chaque jour de nos existences, sont ainsi révoqués pour ceux qui sont au bénéfice de ce sacrifice réalisé une fois pour toutes. On a donc deux images qui se superposent : celle du sacrifice, du sang qui nous épargne le châtiment du péché, et celle du repas, qui par le biais de la nourriture crée une communion avec l’hôte. Les deux sont pour nous indissociables : la célébration cultuelle du dernier repas de Jésus, que celui-ci nous a ordonnée, nous met en communion avec lui en nous faisant partager sa propre vie, corps et sang, pain et vin, dès lors que c’est bien son Évangile qui est prêché ainsi, et non une quelconque fantaisie ; cet Évangile devient bonne nouvelle pour nous qui partageons cette parole et ce repas.

 

Rien de magique là-dedans sinon l’amitié du Maître, l’amour du Père qui fait de nous ses enfants et nous renouvelle sa parole d’adoption, entendue et reçue lors du baptême et en quelque sorte consommée lors de la célébration de la cène. Et c’est bien ainsi que cela se passe : adopté chacun à cause de Jésus-Christ et de l’alliance éternelle que Dieu a scellée avec nous, devenus ainsi fils et filles du Dieu Très-Haut, par conséquence directe nous avons donc bien été institués frères et sœurs les uns des autres. Ce n’est pas par une autre opération, ni en vertu d’un autre paragraphe ! Celui ou celle qui naît de parents ayant déjà d’autres enfants se retrouve doté sans l’avoir cherché ni voulu, sans les avoir choisis, de frères et de sœurs, enfants des mêmes parents. Voici, chers amis, ce qui nous est arrivé par le baptême, et ce que nous vivons en partageant la cène : une famille dans laquelle nous devons faire les uns avec les autres !

 

C’est une différence essentielle avec une association. Une association est fondée entre des gens qui ont décidé de partager un projet commun, et qui peuvent s’en retirer en tout temps selon les modalités définies par les statuts de ladite association. Ainsi pouvez-vous adhérer ou vous retirer de notre association cultuelle créée selon la loi du 9 décembre 1905 de la République française. Ainsi de telles associations peuvent se créer ou se dissoudre ou fusionner en tout temps moyennant le respect de leurs statuts et de la loi, et pour nous, de la Constitution de l’Église protestante unie. Il n’en est pas de même de l’Église, puisque, comme l’écrivait l’apôtre Paul, « nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps. » L’existence de l’Église, ses délimitations, le fait de lui appartenir ou pas, ne dépend en rien de nous autres, ni de quelconques statuts, ni de la loi, ni de la République ! Ce qui fonde l’Église, c’est la mort et la résurrection de Jésus-Christ, dans lesquelles j’ai été baptisé et par lesquelles je suis nourri corps et âme, ainsi que des tas d’autres gens dont vous êtes, vous aussi. Ce qui fonde l’unité de l’Église, ce n’est pas notre bonne volonté, ni même notre confession de foi, mais c’est parce qu’ « il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, qui s’est donné lui-même en rançon pour tous. » (1 Tim. 2 / 5-6)

 

Dans la cène, la « communion », nous ne célébrons pas autre chose. Nous ne célébrons pas notre bonne volonté, ni même notre fraternité : nous vivons cette fraternité dans la célébration de l’unique Dieu et Sauveur, Jésus-Christ. Mais maintenant il faut bien se demander à quoi se voit cette fraternité, cette communion. C’est le récit évangélique qui nous le précise ce soir : « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » Dans beaucoup de familles, les frères et sœurs ne s’entendent pas, et passent leur temps soit à s’ignorer soit à se combattre. Dans beaucoup de lieux d’Église, de même les frères et sœurs chrétiens passent eux aussi leur temps à ces vanités, et de leur fraternité on ne voit pas grand-chose. Le monde perçoit parfois une sorte de solidarité associative de bon aloi, surtout lorsqu’elle est ouverte sur l’extérieur. Mais perçoit-il la communion des enfants du Père céleste, la communion des frères et sœurs de Jésus-Christ ?

 

Vous comprenez bien que c’est une question importante. Dans une famille, on n’en est pas moins frères et sœurs quand on ne s’aime pas. Mais ça ne sert à rien, ça dessert plutôt. Dans l’Église de Jésus-Christ il en est de même, je vous l’ai dit : la fraternité ne se décrète ni ne s’annule, elle ne dépend pas de nous. Mais si l’Église a été dressée dans ce monde, si en particulier elle est dressée dans nos vallées vosgiennes quel qu’y soit le nombre de ses membres, c’est pour que témoignage soit rendu à Jésus-Christ. Et c’est l’amour fraternel, dès lors qu’il ne renvoie pas à notre capacité à aimer, mais à celle de Jésus-Christ, c’est l’amour fraternel entre nous qui porte notre témoignage. Nous ne servons qu’à ça. Les autres aspects de notre vie passent après. Lorsque nous les considérons comme prioritaires, et faisons de notre foi chrétienne seulement un « plus », nous avons tort. Le Christ vient en premier, ou bien nous sommes morts. C’est aussi ce que signifie la cène : sans manger, qui peut vivre ? D’aucuns pensent que la cène est réservée à ceux qui sont au top de la foi : c’est une bêtise. Elle est faite pour ceux qui ont besoin d’être sans cesse nourris du Christ, pour pouvoir vivre la fraternité chrétienne et témoigner ainsi de son salut. Si donc nous n’arrivons pas à aimer, nous avons d’autant plus besoin de venir » prendre la communion » !

 

Car cette communion se prend, se reçoit. Ce n’est pas un self où chacun se sert. Dans la tradition catholique, elle se reçoit en procession de la main du prêtre ou du servant. Chez nous aujourd’hui, elle se reçoit de son voisin de cercle, frère ou sœur – autrefois c’était du pasteur. Dans tous les cas elle se reçoit, comme le fait d’être fils ou fille, comme le fait d’être frère ou sœur. Cette image-même renvoie à notre fraternité : à défaut de se laver les pieds comme dans un pays de sable et de sandales, au moins nous donnons-nous à manger cette nourriture qui pourtant ne vient pas de nous. Mais comme nous l’avons reçue nous la transmettons. De même comme nous avons reçu notre identité d’enfants de Dieu, nous la transmettons par le moyen de notre fraternité vécue. Évidemment, a contrario prendre la cène sans rien en faire entraînerait une indigestion ! Communier sans vivre la communion : quelle étrange idée ! Ce n’est pas pour rien si Jésus a besoin d’insister, si Paul a besoin de le rappeler non seulement dans le petit passage lu ce soir, mais à longueur de ses lettres.

 

Le fait de manger donne de l’énergie pour ce que nous avons à faire. Il en est de même de la cène : en elle le Saint-Esprit nous est communiqué pour ce que nous avons à faire ensemble et dans le monde : non pas des réunions ni des discours, mais la charité, comme on disait autrefois. L’amour concret les uns pour les autres au service de tous. « Bénir la coupe » aurait-il un autre sens ? Le repas, la communion, voici ce qui nous bénit. Mais c’est par l’amour fraternel que nous bénissons celui qui nous bénit, car ainsi nous accomplissons sa volonté, ce pour quoi il a envoyé sa parole, ce pour quoi Christ est mort. L’apôtre Paul fait donc bien d’utiliser deux fois le mot « bénir » : « la coupe de bénédiction que nous bénissons… » À proprement parler nous ne bénissons pas Dieu ni un objet, mais nous rendons grâces à Dieu pour ce cadeau qu’il nous fait, cadeau de son salut, de son alliance, cadeau de son Fils qui est notre nourriture. Et nous rendons grâces en accomplissant le commandement de l’amour fraternel, en vivant ensemble du même pain et de la même coupe.

 

Comme Jésus l’exprime à son Père au cours de ce repas que nous célébrons ce soir et à chaque culte : « je prie […] que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jean 17 / 20-21) Qu’au moment où nous allons bénir la coupe et rompre le pain ensemble, cette parole s’accomplisse en nos cœurs et en nos existences par l’amour fraternel, « pour que le monde croie ». Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  29 mars 2018

 

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