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Première épître aux Corinthiens 1 / 26-31
Partage
texte : Première épître aux Corinthiens, 1 / 26-31
premières lectures : Ésaïe, 42 / 1-4 ; Évangile selon Matthieu, 3 / 13-17
chants : 41-07 et 43-14 (Alléluia)
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Lendemain de l’Épiphanie, et déjà d’autres textes bibliques, alors-même que nous nous retrouverons cet après-midi pour chanter encore Noël… Mais ce n’est pas si fou que ça : Noël se fête jusqu’à l’Épiphanie, c’est la même fête étalée sur deux semaines. Et le baptême de Jésus ne signe-t-il pas sa manifestation au monde, ce que justement célèbre l’Épiphanie ? Mais manifestation à qui ? L’accumulation de textes pour cette période peut nous donner le tournis ! Manifestation aux bergers selon Luc, manifestation aux « Mages d’Orient » selon Matthieu, manifestation à ceux « qui ne sont rien » selon Paul… Mais les bergers ne sont-ils pas rois, et les rois, souvent appelés fils de Dieu, ne sont-ils pas des bergers ? David n’était-il pas l’un et l’autre ? Tout homme politique, tout responsable d’une manière générale, n’est-il pas berger ? Et les jeux entre les citations bibliques n’ont-ils pas fait de nos Mages des rois ? Votre ministre lui-même s’intitule pasteur, berger, mais il n’est pas roi, juste président, ce qui n’est rien ou presque… Alors, que devient le texte que Paul écrivait aux Corinthiens, face à tous ces chefs-serviteurs ?
Eh bien Paul répond : « regardez-vous ! » Non pas pour que chacun puisse apercevoir ses propres qualités, plus ou moins cachées. Non, pas du tout. Au contraire : c’est pour que chacun réalise qu’il n’est rien, ou pas grand-chose. L’Apôtre veut-il alors nous enfoncer dans le pessimisme, la dévalorisation de soi, la culpabilisation ? On le lui reproche souvent, sans le comprendre, sans le lire jusqu’au bout. Alors non, ce n’est pas ça non plus. Il nous appelle au réalisme, réalisme de ce que nous étions, de ce que nous aurions été, sans l’appel de Dieu, sans le Christ. Peut-être vous semble-t-il parfois que votre vie aurait pu être meilleure, que vous auriez pu être autre chose, quelqu’un d’autre, que ce que vous êtes. Peut-être rêvez-vous parfois, sans forcément vous l’avouer, que vous auriez pu être berger ou roi ou reine… ou que vous auriez pu au moins leur ressembler ! L’attrait culturel des Français pour les fastes royaux viendrait-il de là ? Plus sérieusement, nous sommes rarement ravis de la vie que nous avons, qui est pleine de bonheurs certes, mais aussi pleine d’autres choses moins agréables : échecs, deuils, maladies, ruptures, etc. Mais oui, voilà ce que nous sommes quand nous nous regardons dans la glace.
Mais dans la glace il y a des choses que nous ne voyons pas, et qui pourtant sont aussi nous. Nous ne voyons pas la parole, nous ne voyons pas l’appel de Dieu. Et c’est là-dessus que Paul insiste, et c’est là-dessus que les évangélistes aussi ont centré leurs prédications de Noël : Dieu s’est manifesté à des gens qui ne sont rien ou pas grand-chose, Dieu s’est manifesté à des gens comme vous et moi, à une époque où les bergers ne sont plus des rois, mais des gens regardés de travers ; à une époque où les puissants étrangers ne sont plus des gens à honorer, mais à utiliser et dont il faut se méfier. En quelque sorte, Dieu s’est compromis avec des gens qui, à nos yeux, n’en valaient pas la peine ! Qui sont comme tous ces gens qui se pressent au bord du Jourdain, là où un prophète fanatique les accuse d’être injustes, c’est-à-dire pécheurs, loin de Dieu et de ses commandements, les appelant à la repentance, à regarder ce qu’ils sont et à le déplorer. Or, un jour, Jésus aussi s’approche…
Vous avez réentendu cette scène tout à l’heure. Jésus, « l’Envoyé du Très-Haut », n’a rien à faire là, avec la racaille et les paumés, avec les gens ordinaires qui sont ordinairement des « pécheurs indignes et misérables ». Tout comme, à sa naissance, il n’avait rien à faire dans une mangeoire, mais bien plutôt dans le palais royal vers lequel les Mages se sont tout d’abord dirigés, et vers lequel ensuite ils ne retourneront pas. Il y a eu un déplacement. Des Mages, bien sûr. Mais aussi de Dieu et de son Fils : du palais à la crèche, des puissants vers les misérables. Seul Jean, le Baptiste, semble résister à ce déplacement qu’il ne comprend pas, et dont on saura plus tard qu’il ne l’admet pas, au point de faire demander à Jésus s’il est « le vrai » (Matth. 11 / 3). Parce que le vrai Dieu, son vrai envoyé, ne peuvent être qu’avec et parmi les grands de ce monde, n’est-ce pas ? Dans l’Ancien Testament, Dieu n’a-t-il pas parlé aux rois et aux prophètes, plutôt qu’au petit peuple ? Mais les Mages ne l’ont pas trouvé chez le roi, et le prophète du Jourdain ne l’avait pas compris…
Alors, chers amis, regardez-vous et réjouissez-vous, vous tels que vous êtes : c’est vous que Dieu a appelés, c’est chez vous qu’il s’est invité, et non pas une fois seulement, comme en passant avant de s’occuper de choses et de gens plus importants ; mais chaque jour, à chaque moment, à chaque détresse, à chaque échec, vous pouvez à nouveau entendre son appel à ne plus regarder ce que vous êtes sans lui, mais ce que vous êtes pour lui. Car c’est vous qu’il a choisis, y compris lorsque vous êtes mal à l’aise dans son Église, y compris lorsque vous n’osez pas enseigner vos frères et sœurs, y compris lorsque vous êtes tiraillés entre des priorités incompatibles, y compris lorsque vous vous sentez ou vous savez indignes de lui. C’est vous qu’il a choisis, vous qui, sauf exception, n’êtes pas des philosophes ni des puissants ni des gens qu’on admire. C’est vous qu’il a choisis en venant au monde comme l’un de vous, l’un de nous, ni philosophe ni puissant ni admirable. Les prophéties l’annonçaient pourtant comme tel, mais elles pressentaient déjà en même temps que sa maîtrise s’exercerait tout autrement, comme nous l’avons encore entendu dans le prophète Ésaïe tout à l’heure. En connaissez-vous beaucoup, dans ce monde, des gens qui « ne brise[nt] pas le roseau broyé et [qui] n’étei[gnent] pas la mèche qui faiblit » quand ils en ont l’occasion ?
Y a-t-il des gens qui méritent qu’on ne les considère pas, voire qu’on les jette ? Alors Dieu est venu, en Jésus, prendre leur place. Il n’est pas venu justifier nos médiocrités, ni appeler bien ce qui est mal, ni renverser l’ordre des choses. Il est venu carrément prendre notre place, comme il l’a fait dans le Jourdain. Ou si vous préférez une autre image, prenez celle du « père prodigue » qui a pris son cadet dans ses bras, un cadet qui n’était plus rien et ne méritait plus rien, « qui était mort » même, et qui à cause de ça se fait rejeter par son fils aîné qui, lui, avait pourtant fait tout ce qu’il fallait (Luc 15 / 24). Il faut s’y faire : Dieu appelle et embrasse des pécheurs, pas des justes, justes à leurs propres yeux et aux yeux de la société, de la religion, du monde. Comme Jésus au Jourdain, Dieu « se mouille » auprès de ceux qu’on rejette.
Nous pouvons, bien sûr, en tirer des leçons éthiques, et vouloir à son image changer notre regard sur les gens que, sinon, nous critiquerions et rejetterions comme tout le monde. Je laisse à chacun de le faire, et de s’engager ou de poursuivre son engagement comme il l’entend : ce n’est pas ma conception de l’Évangile que de donner des consignes morales, des directives d’engagement social. Mais il nous faut bien entendre que Dieu « ne fait pas acception de personnes » (Deut. 10 / 17), qu’il ne regarde pas à ce qui brille. Et beaucoup des critiques que Jésus fait aux Pharisiens dans les récits évangéliques touchent à ce regard-là que nous avons, regard de courtisans et non pas de gens libres. Or Dieu est une personne libre, il ne s’attache pas à nos idoles, évidemment : il sait qu’elles ne sont que du vent, un vent qui peut s’avérer destructeur, en plus ! Si nous voulons ressembler à Jésus, alors portons au moins le même regard que lui sur les gens : aimons-les.
Mais pour ce faire, il faut d’abord porter le même regard que lui… sur nous ! Car l’Évangile ne consiste pas à faire comme Jésus, mais en ceci que lui-même a vécu notre propre existence avec ses misères et jusqu’à la mort y compris. L’Évangile n’est pas ce que nous faisons pour Dieu, mais ce que Dieu a fait pour nous en Jésus-Christ. Il « a été fait pour nous sagesse, et aussi justice, sanctification et rédemption », écrivait Paul. Ou si vous préférez la traduction « Parole de vie » à celle de Louis Segond, entendez-le bien : « Le Christ est devenu pour nous la sagesse qui vient de Dieu. Par lui, Dieu nous rend justes, il nous choisit pour lui et il nous libère du péché. » Là où nous étions décalés par rapport à Dieu, c’est Dieu qui a fait le mouvement vers nous, qui nous a rachetés sans que nous ayons rien à payer, qui nous a regardés comme siens avant-même le moindre changement dans nos existences. Tout ce que nous sommes à ses yeux, c’est lui qui l’a accompli, c’est lui qui a fait de nous ses enfants, à cause de Jésus. C’est en Jésus que tout ceci est vrai. Seulement en lui, mais pleinement en lui.
Alors, tout comme Jésus est glorifié en son Père et son Père en lui, nous aussi, nous pouvons, nous avons la liberté nouvelle, de ne tenir notre propre gloire, notre identité, notre valeur, que de Jésus qui est né pour nous et qui est mort pour nous. C’est à nous que Dieu s’est manifesté, en nous appelant à vivre en Jésus une autre existence que celle, ordinaire, qui mène à la mort, une existence dans laquelle nous sommes désormais ses fils et ses filles. Sa manifestation, son épiphanie, a changé notre nature. Elle peut changer nos comportements. Jésus a en quelque sorte plongé en nous et nous en lui, puisque « baptême » signifie « plongeon » ! Si vous devez raconter le baptême de Jésus – et le vôtre – à quelqu’un d’autre, à un enfant par exemple, ne le racontez pas comme un événement d’autrefois, comme un mythe. Racontez-le comme un événement qui vous concerne, qui est actuel, comme ce plongeon qui ne l’a pas laissé intact ni vous non plus. Mettez votre gloire dans ce que Jésus a fait et fait encore aujourd’hui pour vous ; désignez-le, lui, et non pas vous ni rien ni personne ni aucune vanité. Laissez-le cette fois se manifester aux autres, faire son épiphanie, à travers vous. Amen.
Senones – David Mitrani – 7 janvier 2018