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Première épître aux Corinthiens 1 / 18-31
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texte : Première épître aux Corinthiens, 1 / 18-31 (trad. : Bible à la colombe)
première lecture : Genèse, 12 / 1-4a
chants : 416 (Arc-en-ciel) et 45-24 (Alléluia)
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Chers amis, c’est complètement fou ! La foi chrétienne, c’est complètement fou… En avez-vous bien conscience ? Dans ce monde où toute référence au religieux est perçue comme une agression, sous prétexte que des bandits et des malades se réclament de la religion pour massacrer les gens, ou sous prétexte que d’autres religions que la nôtre n’ont pas le même sens de la fraternité humaine – encore que ceci demande à être vérifié – oui, dans notre société, il est fou de croire en Dieu et de le dire. Or nous venons de célébrer un baptême, qui n’est pas une cérémonie familiale, mais publique. Nous venons de déclarer enfant de Dieu une petite fille qui n’en sait rien et qui ne le comprendrait pas de toute façon. Nous la considérons comme notre égale, notre sœur, dans la foi, et nous nous attendons à ce qu’elle fréquente bientôt nos assemblées. C’est complètement fou. Tandis que notre Conseil presbytéral entend bien nous amener à confesser publiquement notre foi auprès de ceux qui ne la partagent pas, sans exercer aucune pression sur eux. Oui, nous nageons dans la folie douce…
Mais vous le savez, puisque vous la partagez, cette folie, en tout cas un certain nombre d’entre vous… Un jour, Dieu nous a appelés, chacun, chacun de manière particulière. Il l’a fait ce matin pour Emma, ses parents, parrain et marraine se sont engagés à lui répercuter cet appel, et nous aussi. Il l’avait fait il y a fort longtemps pour Abraham – nous venons de le réentendre. N’oublions pas qu’Abraham fut le premier des exilés, et qu’à sa suite les croyants du Dieu de la Bible sont invités à confesser : « mon père était un Araméen errant… » (Deut. 26 / 5). Nous avons là une certaine solidarité naturelle avec les Syriens, ces Araméens d’aujourd’hui, qui fuient la guerre et la terreur, et avec toutes les personnes déplacées. – Disant ceci, je ne préconise aucune politique particulière, ce n’est ni le lieu ni mon rôle, et chacun peut bien avoir là-dessus ses propres idées…
Mais Abraham, quant à lui – et c’est en ceci qu’il est notre modèle – n’a rien fui de particulier : il a écouté l’appel de Dieu, qui inaugurait avec lui une nouvelle histoire, à l’échelle du monde. Lorsque nous-mêmes nous entendons l’appel de Dieu – forcément un autre appel que celui d’Abraham – c’est aussi l’inauguration d’une nouvelle histoire. Nous aussi, nous sommes appelés non pas à bénir tout et n’importe quoi, mais à être bénédiction pour les gens, à être en quelque sorte les moyens à travers lesquels Dieu peut s’adresser aussi à eux pour les bénir. Et vu ce que nous sommes, vu notre faiblesse, notre péché, notre timidité, notre souci de nous-mêmes plutôt que des autres et de Dieu, là, oui, c’est vraiment complètement fou. À quoi donc Dieu pense-t-il ?!
C’est ce que l’apôtre Paul tentait d’expliquer au début de sa lettre à l’Église de Corinthe. Et il y a là de nombreux enseignements pour nous, car c’est aussi à notre sujet qu’il parle ! D’ailleurs il nous le dit par-dessus la tête des Corinthiens : « regardez-vous ! » : « Il n’y a parmi vous ni beaucoup… » etc. C’est vrai que parfois on se prend facilement pour plus ou autre chose que ce qu’on est vraiment… Mais quand même, on le sait bien que Paul a raison… Malgré une certaine prédication dans certains milieux issus du pentecôtisme afro-américain, si vous voulez devenir riche et estimé, ce n’est pas à l’Église que ça va se faire, ce n’est pas par la foi chrétienne que ça va se faire… Je le dis aussi aux parents de Lola et d’Emma, qui le savent bien : ni vous ni vos enfants ne serez mieux protégés de la vie et de la mort en étant baptisés. La foi ne rend même pas beau et intelligent ! Notre Dieu ne s’intéresse pas aux puissants, il s’intéresse aux gens tels qu’ils sont, et donc en majorité aux petites gens que nous sommes.
Pourquoi ? Parce qu’il ne ressemble pas du tout à un dieu tel que nous nous les imaginons. Nous avons tous en tête – parce que nous sommes Européens ou de culture européenne – nous avons en tête le vieux barbu dans son nuage, avec la foudre à la main, régnant sur un paradis qui est l’objet de nombreuses blagues faussement catholiques… L’imagerie anarchiste, l’imagerie populaire, parfois-même l’iconographie des églises et des palais, le représentent ainsi, mélange de Zeus et de Dionysos, père céleste et ogre sanglant. Parfois même notre théologie, et mon propre langage, s’y prennent les pieds… Mais ce dieu-ci, objet de crainte ou aujourd’hui de rejet, n’existe pas. Il n’est que le fruit de nos racines culturelles et de nos angoisses individuelles et collectives. C’est une invention de l’inconscient humain.
Le Dieu de la Bible, pour lequel nous utilisons le mot « Dieu » seulement par défaut d’en avoir un autre, n’a rien à voir avec ça. Le faux dieu dont je viens de vous parler demande, tandis que le Dieu biblique donne. Il convoque, là où le Dieu biblique envoie. Il demande qu’on tue ou qu’on meure pour lui, alors que le Dieu biblique donne sa vie pour nous. C’est ce que montre le seul témoignage authentique (cf. Jean 14 / 6-9) sur qui est ce Dieu étrange, à savoir la Croix de Jésus-Christ, « venu pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup » (Marc 10 / 45). On pourra dire ce qu’on veut sur lui ; la seule chose vraie sur laquelle notre foi est tout entière fondée, c’est la victoire que réalise pour lui et pour nous la mort de cet homme, dont nous affirmons, pour l’avoir expérimenté dans nos vies, qu’il est vivant, et qu’il est Dieu. En lui seul est la vie véritable, plus forte que même la mort. Je vous le disais avec Paul : c’est la folie totale !
Nos raisonnements sont rendus infirmes face à un tel amour : nous ne comprenons pas, c’est tellement le contraire de nos pensées et de nos pratiques ! Encore ce Dieu ferait-il des miracles éblouissants, tonitruants : ça nous convaincrait ! Mais non. Ni notre soif de comprendre, ni notre soif de voir, ne sont prises en considération. Seulement notre besoin : besoin d’amour, besoin de confiance, besoin de vérité et de vie. La question qui nous est renvoyée est celle-ci, comme le porte en titre un film (d’Anne GIafferi) bien sympathique : « Qui a envie d’être aimé ? ». Non pas « qui veut comprendre ? » ou « qui veut voir ? ». Il y a là, nous dit l’apôtre Paul, une sagesse bien supérieure, car elle change la vie. Ce n’est pas une question de psychologie, ou de subjectivité. Mais il s’agit d’une rencontre. Quand vous cherchez l’amour, cherchez-vous donc un ou une partenaire que vous comprendrez totalement ? Cherchez-vous quelqu’un de « canon » ? J’imagine que vous avez cherché – et trouvé – quelqu’un qui vous surprend par-delà les apparences et qui ne se laisse pas enfermer dans une description, avec qui vous avez vécu et continuez à vivre de plus belle une rencontre qui vous change, vous ! Il en est de même de la foi…
Celui ou celle, donc, qui abandonne apparences et faux-semblants, et qui porte en vérité son regard et son attente vers la Croix du Fils unique, celui-ci ou celle-ci est en quelque sorte « éligible » à l’amour inconditionnel du Dieu de Jésus-Christ. Mais avec lui, dire qu’on est éligible, c’est déjà dire qu’on est élu, car « Dieu ne fait pas acception de personnes » (Deut. 10 / 17 ; Luc 20 / 21…). Chacun est à la fois objet d’un amour unique de la part du Père de Jésus-Christ, et à la fois se retrouve dans la grande famille de tous ceux, toutes celles, qui sont aimés du même amour. Ceci aussi est folie : ça s’appelle l’Église ! Emma aujourd’hui est entrée dans cette famille : elle n’est ni sage, ni forte, ni rien, c’est un enfant ! Bref : elle est comme nous, elle ne serait rien sans l’amour de Dieu pour elle, sans la mort de Jésus pour elle. Elle ne pourra jamais tirer aucune gloire d’elle-même, sauf à se méprendre totalement sur elle – et ceci est vrai pour chacun de nous, les pires comme les meilleurs… Mais comme l’écrivait Jérémie que cite Paul, toute sa gloire, tout ce qui fait qu’elle vaut quelque chose de beau, de bon, de solide, elle le trouvera dans l’amour du vrai Dieu, et dans le regard que lui porte sur elle.
À nous de le lui apprendre, comme à nos enfants, nos parents, nos amis, non pas par de grands discours ou des prises de position qui flattent la sagesse, non pas par le pouvoir ou l’argent ou toutes choses qui brillent aux yeux des gens, mais par notre propre confiance, certitude d’être inexplicablement aimés, sauvés, vivifiés, par l’amour de ce Dieu sur lequel nous ne mettrons jamais la main, mais qui a donné sa vie pour nous. Il est notre puissance, il est notre sagesse, c’est en lui seul que nous avons la vie. Et comme il a envoyé Abraham, il nous envoie nous aussi, et non pas chacun dans notre maison, mais vers les autres, les puissants et les faibles, pour leur montrer par notre propre vie que Dieu n’a rien à faire ni de leur puissance ni de leur faiblesse, ni des nôtres, mais qu’il les aime tels qu’ils sont pour les faire naître à autre chose. La folie de Dieu a du bon : il nous a choisis, nous, pour que son amour coule en nous et à travers nous, qui ne sommes rien. Quelle grâce étonnante ! Vivons-là ! Amen.
Saint-Dié (avec baptême) – David Mitrani – 26 juin 2016