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Première épître à Timothée 1 / 12-17 (1)
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texte : Première épître à Timothée, 1 / 12-17 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Ézéchiel, 18 / 1-4. 21-24. 30-32 ; Évangile selon Luc, 15 / 1-10
chants : 45-24 (Alléluia) et 539 (Arc-en-ciel)
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« Vous dites : “La voie du Seigneur n’est pas normale.” » (Éz. 18 / 25) Dans le chapitre d’Ézéchiel dont je vous ai lu des extraits, c’est ce que le prophète reproche aux gens à qui il parle. Et c’est aussi notre réaction à nous, n’est-ce pas ? La manière de faire du Seigneur n’est pas celle que nous aurions choisie, et ce pour tout un tas de sujets ! Et d’abord, bien sûr, pour ses fréquentations ! Nous avons bien de la peine à comprendre comment et pourquoi il choisit ses amis, sur des critères très différents des nôtres. Regardez cet étrange berger, qui laisse 99 brebis sur 100 risquer de se perdre ou de se faire dévorer, pour aller chercher celle qui est perdue… j’allais dire : de toute façon ! Je ne suis pas berger, je ne suis pas non plus très aventureux. Il me semble qu’à sa place, j’aurai mieux protégé celles qui me restaient, au lieu de courir ce risque parfaitement insensé. Mais ça, c’est comme « le semeur sorti pour semer » n’importe où… (Luc 8 / 5) Bon, il faut peut-être aussi se demander, quand il ne reste qu’une centaine de brebis, si ça ne vaut pas le coup d’aller en acquérir d’autres, non ? « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie ; celles-là, il faut aussi que je les amène ; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau, un seul berger. » (Jean 10 / 16)
« Les Pharisiens et les scribes murmuraient et disaient : “Celui-ci accueille des pécheurs et mange avec eux.” » Sommes-nous donc comme eux, « scribes et Pharisiens hypocrites » (Matt. 23 / 13 et s.) ? Si vous tenez à vous poser la question, alors la réponse est oui. Mais qui donc tient à se poser la question, sinon justement les scribes et les Pharisiens ?! La bonne question – je veux dire : celle qui trouve réponse dans le texte – n’est pas celle-ci ; c’est l’autre : « sommes-nous donc comme eux », ces pécheurs avec qui Jésus mange ? La réponse est encore oui, mais cette fois c’est une bonne nouvelle. Enfin… je trouve. Et pourquoi est-ce que je trouve que c’est une bonne nouvelle d’être considéré comme un pécheur ? D’abord, ça veut dire que la Bible en tant que miroir fonctionne bien, parce que, oui, je suis pécheur, hélas. « Je ne fais pas le bien que je veux, mais je pratique le mal que je ne veux pas. » (Rom. 7 / 19) Que le mal que je fais, les désobéissances nombreuses qui sont les miennes, ne soient pas à la hauteur de ce que d’autres font, cela n’est ni un critère ni une raison… Le critère, ce ne sont pas les autres, non plus que ma propre opinion. Le critère, c’est la Loi de Dieu, le double commandement d’amour (Luc 10 / 27 p.ex.) qui me ferait regarder Dieu et mon prochain comme prioritaires – si je cherchais à le mettre en œuvre, ce que je ne fais même pas…
Le miroir fonctionne donc bien : c’est bien de moi que parle la Bible ! Il faut que je m’y habitue. Comment une collection de livres écrits il y a entre 19 et 26 siècles peut-elle parler de moi ? C’était écrit pourtant : « Alors je dis : “Voici, je viens avec le rouleau du livre écrit pour moi.” » (Ps. 40 / 8) C’est peut-être que la nature humaine est toujours la même, et que « je ne suis pas meilleur que mes pères… » (1 Rois 19 / 4) C’est peut-être aussi que derrière les mots anciens, les phrases vieilles mais non vieillies, se cache et se révèle tout à la fois celui qui les a inspirées. Et si c’est quelqu’un, alors pourquoi ne me parlerait-il pas à moi personnellement ?
Mais je reviens à ma bonne nouvelle, à son autre aspect, sur le fond. C’est que la Bible ne se contente pas de me montrer pécheur. Elle montre le Seigneur comme s’approchant de moi, ce berger qui est parti me chercher au fin fond de nulle part, cette maîtresse de maison qui a tout remué jusqu’à tant qu’elle me trouve ! Était-ce bien sérieux de sa part ? La Bible me dit que oui, il est comme ça ! L’exemple de Paul, tel qu’il en parle lui-même dans cette lettre à Timothée son disciple et successeur, cet exemple est éloquent. Certes, au regard de la Loi de Moïse, Paul était irréprochable, comme le « jeune homme riche » (Luc 18 / 21). Et malgré cela, il n’avait pas compris ni reconnu la parole du Dieu qu’il prétendait servir, et ainsi il persécutait les chrétiens… avant de le devenir lui-même. Il argue de son « ignorance », de son « incrédulité », mais c’est bien ça qui constitue le péché : l’incrédulité, le manque de foi. Car la confiance en soi et en sa religion n’est pas synonyme de foi. C’est la confiance en Dieu qui constitue la foi.
Et Paul de constater, dans sa propre existence, que Dieu, loin de le punir, l’a gracié et transformé. Dans tous les textes où Paul en parle, directement ou sous une autre plume, il en parle de la même manière. Il a été saisi par Jésus Christ et proprement retourné, expérimentant dans un même mouvement reçu de l’extérieur la grâce, la foi et l’amour de Dieu. Le raisonnement n’y fut pour rien, non plus que des miracles. Mais l’action de Dieu en Jésus-Christ, seulement. Pourquoi Dieu a-t-il voulu comme apôtre, ministre, serviteur, d’un persécuteur fondamentaliste ? Paul en a bien trouvé et donné une raison, mais c’est a posteriori, bien sûr. Toujours est-il que ni vous ni moi n’aurions choisi ce personnage ! D’ailleurs, au fil des Actes des Apôtres ou de l’épître aux Galates, on voit bien qu’à l’époque, les autres chrétiens non plus ne l’auraient pas choisi ! Ils se sont assez méfié de lui ensuite… Un taliban repenti comme missionnaire ? Euh… non, merci… Eh bien si ! « La voie du Seigneur n’est pas normale… » Non pas impénétrable, comme on le dit trop vite comme excuse au manque de foi. Mais « pas normale », pas « comme il faut ».
Oui, mais avec moi, « pécheur indigne et misérable » (Louange et prière n° 236), il aurait fallu quoi ? – Surtout, surtout, ne restez pas du côté de ceux qui disent : « lui, oui, mais pas moi ; moi je ne suis pas pécheur… » Ne restez pas du côté des Pharisiens ! Il y en a assez comme ça. Nous le sommes tous assez souvent. Non : regardez-vous avec les yeux de la justice de Dieu, et là vous saurez ! Alors seulement, vous pourrez aussi vous regarder avec les yeux de l’amour de Dieu, cet amour qui a tout donné, jusqu’à son Fils, c’est-à-dire lui-même, pour vous, pour moi ; parce que nous ne le méritions pas ; parce que nous en avions besoin… Et qu’à preuve du contraire, nous en avons toujours besoin ! Comment pourrions-nous témoigner du salut auprès de ceux qui en ont besoin, si nous-mêmes n’en avons pas eu besoin, si nous-mêmes n’en vivons plus ?! Comment pourrions-nous témoigner de l’amour de Dieu en Jésus-Christ, si nous-mêmes nous nous passons la plupart du temps et de Dieu et de Jésus-Christ ? Certes, moi qui prétends instruire mes frères et sœurs – et à cause de cela-même – je suis le premier des pécheurs de cette communauté, et non pas le premier des justes… Mais ça ne m’est un titre de gloire que parce que ce péché, qui s’agite toujours en moi, a été racheté, effacé, par la croix de Jésus-Christ.
« Servir d’exemple », écrivait Paul. Nous entendons toujours ce mot au sens moral. Comme s’il suffisait d’être quelqu’un de bien pour attirer les autres à Jésus-Christ ! Et comme si les païens et autres mécréants n’étaient pas aussi, souvent, des gens bien, tout en étant aussi parfois des bêtes, comme moi… Non. La bonté, la morale, ne disent rien du Dieu de Jésus-Christ. Parce que « [sa] voie n’est pas normale. » Et, finalement, après coup, ça m’arrange bien que le « bon berger » préfère courir après les brebis perdues que de garder les sages. M’aurait-il retrouvé sinon ? Maintenant que je suis dans le troupeau, certes j’aimerais bien qu’il s’occupe un peu de nous – pas vous ? Mais « [sa] voie n’est pas normale », il fait métier de s’occuper des gens pas fréquentables, de ceux que, moralement ou politiquement, moi, je rejette. Ce qui ne m’empêchera pas de garder ma morale, ainsi que mes idées sur une meilleure gestion de notre pays et du monde ! Mais le fait est là : Jésus-Christ est mieux à sa place entre deux brigands qu’entre deux disciples…
C’est donc seulement en tant que j’ai été racheté, que je puis être un exemple, servir d’exemple à d’autres de ce que Dieu est capable de faire pour des gens qui ont de la religion ou qui n’en ont pas, mais qui ne le connaissent pas et vivent leur vie centrée sur eux-mêmes, ou bien sur rien ni personne, mais en tout cas pas sur Dieu. Il y a une vie qui mène à la mort, et c’est celle de la plupart de nos contemporains, et c’est la nôtre dès que nous la vivons sans Dieu. Mais la bonne nouvelle, c’est qu’il y a une mort qui mène à la vie : c’est la mort de Jésus, qui me mène à la vie éternelle, dès maintenant, dès cette existence-ci. « [Il] est venu dans le monde pour sauver les pécheurs », nous rappelle Paul. Il n’a pas attendu au ciel, ou au bord du monde, ou dans un temple ou un palais, que les pécheurs se repentent et viennent à lui, pour les faire sortir du monde. Non : il est venu là où les gens sont perdus, jusque dans la mort, la leur, la sienne.
Et c’est seulement là que moi aussi, et vous aussi, nous pouvons témoigner de ce que Jésus a fait : non pas dans notre victoire – les gens diraient : « je n’y arriverai jamais » – mais dans notre défaite, dans notre faiblesse, dans notre besoin de Jésus-Christ pour simplement pouvoir vivre et respirer. Là, nous rejoindrons les autres gens et ils pourront peut-être apercevoir, pour eux aussi, que Jésus est mort et qu’il a triomphé de la mort. Parce qu’à la différence de la parabole de la brebis perdue, nous autres aujourd’hui n’avons pas vocation à faire troupeau – d’ailleurs ça se voit en nous comptant dans ce temple ce matin. Mais nous avons vocation à servir d’exemples de l’amour de Dieu, de sa patience, de sa compassion. Cela n’empêche ni la morale ni la générosité. Mais c’est autre chose. Une vocation que seuls des chrétiens peuvent accomplir, bien sûr. C’est Pierre et Jean à la « Belle Porte » du Temple de Jérusalem, s’adressant au boiteux qui mendiait : « Je ne possède ni argent, ni or ; mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus-Christ le Nazôréen, lève-toi et marche ! » (Actes 3 / 6)
Ce que j’ai, la seule chose que je possède vraiment, c’est que Jésus-Christ a donné sa vie pour moi. Cette bonne nouvelle est donc la seule chose que je peux donner vraiment, et qui plus est sans rien en perdre. C’est la seule chose qui n’attirera pas à moi, mais à Christ. C’est le seul don derrière lequel je m’efface, car je n’y suis pour rien, pour rien du tout. Si Jésus a donné sa vie pour moi, c’est parce que lui l’a voulu : « ma vie, personne ne me l’ôte, mais je la donne de moi-même », disait-il (Jean 10 / 18). Et s’il la donne pour un autre ou une autre que moi, que moi je n’aurais pas choisi(e), ce n’est pas non plus à cause de moi. Tout au plus puis-je témoigner de ce que lui a fait gracieusement : « il m’a été fait miséricorde », comme l’écrivait Paul. Si, de cela, je ne témoigne pas, alors je ne sers à rien ni à personne. Pas même à moi, puisque je ne laisse pas cette miséricorde transpirer et porter fruit en moi. Alors certes : non pas à moi, mais à Dieu seul soit la gloire, une gloire à laquelle je ne peux ni ajouter ni enlever, mais que je peux désigner à d’autres. À Dieu seul soit la gloire dans ma vie, dans mon Église et dans le monde. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 12 juin 2016