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Évangile selon Matthieu 4 / 1-11
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texte : Évangile selon Matthieu, 4 / 1-11 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Genèse, 2 / 24 – 3 / 19 ; deuxième épître aux Corinthiens, 6 / 1-10
chants : 14-09 et 45-06 (Alléluia)
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« Jette-toi en bas ! » C’est l’invitation que le diable faisait à Jésus ce jour-là… et j’allais dire que Jésus ne l’a pas écouté… Voire. En tout cas pas comme le diable s’y attendait. Mais, au fait, c’est quoi, le diable ? On entend souvent cette question, soit que les gens sont vraiment interrogatifs, soit qu’ils veulent se moquer de croyances qu’ils imaginent archaïques. Le diable ? C’est celui qui fait la même chose que ce que l’évangéliste Matthieu nous montre dans cette scène de la tentation de Jésus au désert. Il le fait avec tout le monde – en tout cas tout ceux qui connaissent un tant soit peu le vrai Dieu, sinon d’une part il n’en a pas besoin, et d’autre part son argumentation serait à revoir. Le diable, c’est toujours celui qui nous dit « Jette-toi en bas… » C’est bien ce qu’il avait fait avec la femme au jardin, et c’était déjà la même tentation : mange et jette-toi en bas !
Le serpent était « nu » comme les humains, il est ce qui nous ressemble, il est la voix que nous entendons à l’intérieur, voix humaine s’il en est, et qui nous invite non pas à « monter plus haut » (cf. Luc 14 / 10), mais au contraire à dégringoler. Évidemment, le serpent ne nous dit jamais ça comme ça. Il nous flatte, il nous attire par des arguments auxquels nous ne sommes pas insensibles – évidemment, rappelez-vous : c’est une voix qui vient d’au-dedans de nous, c’est la voix de nos fantasmes et de nos vanités. Pourquoi donc Dieu ne fait-il pas taire cette voix, pourquoi la permet-il ? Parce que c’est la nôtre, encore une fois. Et Dieu ne cherche pas à nous faire taire, mais à nous faire grandir – et c’est par la parole qu’on grandit, la sienne et la nôtre. Comme Dieu le disait dans le psaume qui a ouvert ce culte : « L’homme m’appelle, et moi, je lui réponds ; je suis avec lui dans son épreuve. » (Ps. 91 / 15) Comment donc pourrais-je l’appeler s’il me faisait taire, et comment répondrait-il, comment serait-il « avec [moi] dans [mon] épreuve » si je ne l’appelais pas ?
Mais ma liberté a un prix : elle me laisse dire et faire et croire n’importe quoi, dès que moi, je m’éloigne de mon Dieu et de sa Parole. Ah, si j’étais comme l’apôtre Paul dans le passage de sa lettre que je vous ai lu ! – en fait, c’est sur ce texte-là que j’aurais dû prêcher ce matin, mais je n’en ai pas eu le courage, il vous aurait été trop facile de voir en moi le contraire de ce que Paul décrit d’un vrai apôtre, d’un vrai pasteur… Bref, je ne suis pas comme lui, hélas, et je n’ai pas voulu en plus être menteur… Mais sa parole reste présente, pour nous tirer vers le haut, alors-même qu’elle semble se complaire dans la faiblesse… comme il nous l’avait déjà dit il y a quinze jours ! En fait, Paul et le diable sont deux voix parfaitement opposées : l’une dit que pour être grand il faut accepter la faiblesse, tandis que l’autre nous invite à choisir la puissance en nous entraînant dans le vide. Moi, j’aurais préféré aucune des deux, mais une autre voix qui me dise à la fois la puissance et le sommet, mais ce n’est en fait rien d’autre que la voix du diable, la voix mensongère qui appelle « sommet » le fond du gouffre…
Ma liberté… Mensonge encore du diable, qui appelle liberté ce qui n’est que le fait d’être esclave de mes désirs de puissance et d’autonomie. Je rêve de me passer des autres, voire de les utiliser. Je ne pense qu’à moi, et j’appelle cela liberté – c’est l’idéologie par laquelle nous avons en Occident remplacé la foi chrétienne. Nous avons promu l’Homme, mais l’homme n’existe pas sans Dieu qui l’a créé. Nous avons appelé liberté ce qu’a fait la femme (avec son homme) devant « l’arbre de la connaissance de bien et mal » … Nous sommes chacun notre propre dieu, n’écoutant que nous-mêmes pour le meilleur et pour le pire. Faut-il s’étonner que couples, familles et sociétés se cassent la figure ? Toute vie sociale repose sur le dialogue, sur la prise en compte de la parole d’autrui – et à plus forte raison de la parole de Dieu. Toute vie sociale suppose que je ne suis pas seul au monde. Mais regardez les gens dans les hypermarchés : une collection de « seuls au monde » ! Le diable a bien fait son travail…
Sauf qu’il y en a un qui a résisté ! Il a résisté avec la Parole de Dieu telle qu’elle est portée par l’Écriture sainte. Et lorsque le diable a utilisé lui aussi cette Écriture, Jésus lui a rappelé que Dieu est plus grand que même l’Écriture ! Car Dieu est aussi plus grand que ma faim et que mon rassasiement, plus grand que l’Écriture et que la lecture intéressée que j’en fais, plus grand que le pouvoir et plus grand que ceux qui occupent le pouvoir ou qui le proposent faussement aux envieux ou aux nécessiteux. Face à chacune des interventions du tentateur, une seule réponse de Jésus : Dieu ! Nous, face aux tentations, face aussi aux épreuves, face à toutes les situations en fait, nous avons toujours une seule réponse – encore que la fin de la phrase puisse varier, mais ça commence toujours par « moi, je… » Ah, si… quand on est découvert, quand on est nu devant les autres, la réponse change : « ce n’est pas moi, c’est toi, c‘est elle… », comme au jardin… Toujours premier, mais jamais coupable… Comme l’autre qui dit « je l’ai tuée, mais c’était accidentel… » Hélas, on n’est pas esclaves de soi, de sa propre nature et de la voix du diable par accident, ni lui, ni vous, ni moi…
Jésus se positionne donc tout autrement que nous, lui qui pourtant est autant humain que nous, et autant soumis à la tentation que nous pouvons l’être sans cesse, soumis à la tentation de nous faire passer en premier, serait-ce seulement au bureau des pleurs… Face à ses plus élémentaires besoins, tout comme face aux plus grands élans, face aux plus hautes possibilités, y compris celle d’agir « pour un plus grand bien », Jésus met encore et toujours Dieu en premier. C’est ce que demandait le commandement du Shema’ Israël : « Écoute, Israël ! Le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Deut. 6 / 5), ce commandement que Jésus reprendra en lui adjoignant celui du Code de sainteté : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur. » (Lév. 19 / 18) Comme vous l’entendez, le sujet principal dans ces deux commandements n’est pas « tu », mais « le Seigneur ». C’est parce que la Loi a été déviée de son objet, entendue avec les oreilles et la langue du diable, qu’il a fallu que Jésus vienne et meure. Dans la Loi nous entendons ce que nous avons à faire ou à ne pas faire, nous ; c’est ce que dit sans cesse le diable. Tandis que la Loi disait que c’est Dieu qui est à l’œuvre et que nous avons à le connaître et à le reconnaître. C’est ce dont Jésus témoigne.
Que ce soit au début de l’humanité ou aujourd’hui, la tentation reste la même de faire à chaque instant comme si moi, j’étais au milieu du jardin ! C’est une voix de mensonge, c’est un chemin de mort, comme le montre toute la Bible. La volonté de Dieu n’est pas que je fasse ceci ou cela, mais que je ne fasse pas, que je m’abstienne de faire, que je lui laisse la place, sa place à lui. C’est le shabbat. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » (Jean 17 / 3) Ainsi Jésus s’adressait-il à son Père, à propos de nous autres. Notez au passage que c’est le contraire du « γνωθι σεαυτον » des philosophes, le fameux « connais-toi toi-même ». La connaissance de ce que je suis ne passe pas par l’introspection ni par la psychanalyse ni par le questionnement ni par le discernement de bien et mal, mais par l’écoute de la parole de Dieu qui m’interpelle et qui me nomme. C’est par elle que Dieu fait de moi son enfant, non pas par mes efforts ni par mes mérites.
L’arbre de vie, c’est Jésus. Il peut avoir faim ou soif, mais n’a pas besoin de manger ni de boire, comme dans sa rencontre avec la Samaritaine : « Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit : “donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » (Jean 4 / 10) Il peut être sûr que le Père céleste le protège et le garde, sans avoir besoin de l’éprouver, de le tenter. Il est le Seigneur du monde, et il n’a pas besoin qu’on lui donne ce qui est à lui, mais sur lequel il ne règne pas par la puissance, mais par la croix. Le diable se dévoile dans sa troisième prise de parole, lorsqu’il dit « si tu te prosternes et m’adores » : c’est lui qui a besoin de reconnaissance et de soumission. Jésus, lui, n’en a pas besoin. Notre religion ne s’appelle pas « soumission », mais « confiance, espérance et amour » (1 Cor. 13 / 13). Et malgré la faim et le dénuement, malgré le silence de Dieu, malgré la croix, Jésus est et reste tourné vers son Père plutôt que vers lui-même ou vers toutes les paroles de tentation qui l’assaillent : « Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même ! Il est roi d’Israël, qu’il descende de la croix ; et nous croirons en lui. Il s’est confié en Dieu ; que Dieu le délivre maintenant, s’il l’aime. Car il a dit : “Je suis Fils de Dieu”. » (Matth. 27 / 42-43) À cela Jésus répond seulement : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (v. 46 // Ps. 22 / 2) Mais c’est encore vers Dieu qu’il se tourne alors, certain que Dieu répondra, comme dans le psaume dont ce cri est le premier verset.
Les grands-prêtres au pied de la croix ne faisaient que redire « jette-toi en bas », comme le diable au désert… Mais ce n’est ni en bas du pinacle du Temple, ni en bas de la croix, que Jésus est descendu. C’est en bas de la mort, en bas de nos morts à nous, au plus profond de nos souffrances humaines. C’est lui aussi qui crie à notre place le De profundis : « Des profondeurs je t’invoque, Seigneur ! Seigneur, écoute ma voix ! » (Ps. 130 / 1-2) C’est lui que Job rencontrera dans la mort elle-même : « Je sais que mon rédempteur est vivant, et qu’il se lèvera le dernier sur la terre, après que ma peau aura été détruite ; moi-même en personne, je contemplerai Dieu. C’est lui que moi je contemplerai, que mes yeux verront, et non quelqu’un d’autre ; mon cœur languit au-dedans de moi. » (Job 19 / 25-27) Oui, Jésus s’est « jeté en bas », là où je suis, au plus profond de mes obscurités, et la mort elle-même ne lui a pas été épargnée. Ceux qui aiment la parole du diable ne peuvent pas comprendre cela, parce que c’est le contraire de ce sur quoi ils ont bâti leur vie. Ils ont cru qu’en montant sur le pinacle du Temple il y avait encore une marche pour aller plus haut, mais il n’y avait que le précipice. Jésus s’est « jeté en bas » en sachant que les anges de Dieu ne le serviraient pas en lui évitant la tombe, mais tout autrement : en proclamant dans la tombe sa résurrection, sa victoire !
Après tout, c’est bien ce dont l’apôtre Paul se réclamait : « pauvres, nous enrichissons plusieurs ; n’ayant rien, nous possédons tout. » C’est ce que Jésus a vécu, c’est ce qu’il veut aujourd’hui pouvoir vivre dans nos existences et nos relations à nous. Il veut être en nous la voix qui nous renvoie vers Dieu, qui nous détourne de nous et du diable, pour nous tourner vers Dieu et vers les autres. Le diable nous dit de nous « jeter en bas », nous l’avons malheureusement trop souvent écouté, nous l’avons donc fait ; Jésus est venu nous y chercher pour nous en faire remonter. Entre les deux paroles, il n’y a pas photo ! Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 18 février 2018