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Évangile selon Marc 8 / 27-38
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texte : Évangile selon Marc, 8 / 27-38 (trad. : Bible à la Colombe)
premières lectures : Ésaïe, 50 / 5-10 ; épître aux Romains, 8 / 28-39
chants : 21-04 et 56-04 (Alléluia)
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Frères et sœurs, quelle parole de Dieu pour aujourd’hui ? Comme d’habitude, on peut tirer beaucoup de choses de ces textes, et même seulement du récit évangélique que je vous ai lu en dernier. Beaucoup de choses, et non pas n’importe quoi, comme il est de bon ton de prétendre dans les discussions mondaines. Beaucoup de choses parce que ces textes sont riches, donc polysémiques : ils portent beaucoup de sens, beaucoup de niveaux de compréhension. Beaucoup de choses aussi parce qu’à travers eux, c’est Dieu lui-même qui s’adresse aujourd’hui à chacun de nous. Et peut-être n’a-t-il pas la même chose à dire à chacun ! Parce qu’il parle non pas par la lettre du texte biblique, mais par le Saint-Esprit, il peut s’adresser à plusieurs en même temps sans dire la même chose à tous… Voici en tout cas maintenant un peu de ce que j’ai cru entendre comme Parole de lui à travers cette Écriture qu’il a inspirée pour moi, pour vous, pour notre Église :
C’est qu’il y a d’abord une question que Jésus nous adresse, par-dessus la tête de ses premiers disciples. Une question qui suppose que nous y répondions, comme Pierre l’a fait en son temps. « Vous, qui dites-vous que je suis ? » Cette question, entendez-la bien, cette question touche deux personnes. Jésus bien sûr : qui dites-vous qu’il est ? Mais aussi le « vous » de la question : qu’est-ce que vous, vous dites qu’est Jésus ? Je ne veux pas épiloguer aujourd’hui sur la réponse de Pierre, sur l’ambiguïté du titre donné à Jésus avant que ce Messie royal que Pierre confessait souffrît sur la croix. Je n’épiloguerai pas même sur le dialogue pourtant édifiant entre Jésus et Pierre devant ou derrière les autres disciples. Ce que je voudrais souligner, c’est l’adresse directe de Jésus aux disciples, le fait qu’il sollicite une réponse personnelle et non pas seulement des on-dit. « Vous, qui dites-vous que je suis ? » …
Bien évidemment, cette question nous renvoie non pas aux livres de théologie qui peuplent mon bureau à Saint-Dié, et peut-être les étagères de vos propres bibliothèques, mais à nous-mêmes, à ce que nous pensons, à ce que nous savons ou supposons, à ce que nous avons fait nôtre d’enseignements reçus parfois depuis très longtemps en catéchèse, en prédication, en études, lectures et rencontres diverses, ou encore à travers nos prières et nos chants, etc. En fait, la question de Jésus nous renvoie à nous-mêmes encore plus profondément – et la suite du dialogue et la remontrance de Jésus à Pierre le disent aussi : la question et notre réponse nous renvoient à notre propre relation avec Jésus. La réponse de notre foi personnelle. Et la réponse de notre tradition ecclésiale, telle que nous la vivons dans notre culte communautaire.
Et nos réponses parlent, c’est aussi ce que Jésus nous dit dans sa question : non pas « pour vous, qui suis-je ? », mais bien « vous, qui dites-vous que je suis ? » Ainsi, nous disons… Que nous ouvrions la bouche ou pas, nous disons notre relation à Jésus à travers nos paroles certes, mais aussi nos gestes personnels et communautaires, notre culte, nos relations aux autres chrétiens et aux autres tout court,… Pour le dire autrement, nous qui sommes chrétiens, chacun de nous, et aussi nous ensemble, de quel Jésus, de quel Dieu, témoignons-nous devant les autres – et devant lui aussi, d’ailleurs ? Qu’est-ce que, de dehors, on comprend de Dieu et de Jésus en nous voyant et en nous écoutant ? Selon la réponse – même si elle est juste théologiquement – il vaut peut-être mieux nous taire, comme Pierre l’aurait dû ! Les Réformés font ça très bien, la plupart du temps…
Mais ce n’est pas ce que Jésus nous demande ! Il nous demande de « dire », au contraire. Il sollicite notre parole. Il veut que nous nous engagions, que nous nous « mouillions » dans notre réponse. D’ailleurs, si nous avons une relation personnelle avec lui – quand bien même cette relation passerait par la relation communautaire, ecclésiale – eh bien ce que nous disons de lui sera forcément personnel, engageant, engagé. Parlez-vous de votre conjoint ou de vos enfants comme vous parleriez du facteur ou de la boulangère ? J’imagine que non ! C’est donc la même chose : la relation personnelle intime modifie le discours sur la personne en question. Aucun livre, pas même la Bible, ne vous donnera la réponse à la question de Jésus. Pierre l’avait cru, il a dû déchanter honteusement devant tout le monde ! Vous, vous tels que vous êtes au fond de vous, vous réellement, qu’avez-vous à dire, que pouvez-vous dire, de Jésus ?
La réponse « rien, je suis trop petit » n’est pas une réponse admissible. Certains prophètes l’ont tentée pourtant au moment de leur vocation, mais Dieu ne retient pas ce type de réponse ! Quand Jésus pose une question, on ne regarde pas au plafond en attendant que quelqu’un d’autre réponde… Il vous la pose, à chacun de vous comme à moi, quel que soit votre âge, vos responsabilités, votre théologie, vos forces ou vos faiblesses physiques, morales ou spirituelles. Il ne faut pas craindre d’avoir des réponses différentes les uns des autres. La Pentecôte n’est pas un retour à Babel, la diversité des langues n’est pas remise en cause, et l’Église n’est pas le lieu totalitaire où chacun dirait par devoir – ou pire, par conviction – la même chose que son voisin ! Puisse l’Église de Jésus-Christ retentir de toutes les réponses qui rendent vraiment compte des relations personnelles différentes que nous avons à celui qui pose la question et qui est le même, inconnaissable, impossible à s’approprier. Et cela pas seulement entre confessions et dénominations différentes : réformés, luthériens, pentecôtistes, évangéliques, catholiques, orthodoxes, anglicans, coptes, etc. Mais aussi au sein de chaque communauté, y compris parmi nous ici.
Alors oui, nous avons des réponses différentes, et c’est normal, et c’est bien – même si parfois ça agace, qu’importe. Mais il faut les dire, c’est ça que Jésus demande à ses disciples. Oui, mais nous ne savons pas faire, et puis, nous avons peur… C’est la seconde chose que je retiens ce matin de ce texte. Nous avons peur parce que « notre » Jésus ne fait pas vendre. Contrairement à ce qu’avait cru Pierre – mais c’était avant la Passion de Jésus – notre Dieu n’est ni un guerrier victorieux ni un assoiffé de pouvoir. C’est un Dieu mort qui a vaincu la mort. Mais dans ce rôle ce n’est pas non plus Osiris, ni un quelconque dieu ou principe du renouvellement de la nature. On n’adore donc pas ce Dieu comme s’il était l’empereur du monde ou le principe de la création. Mais comme quelqu’un qui a dû « souffrir beaucoup, être rejeté par les Anciens, par les grands-prêtres et par les scribes, être mis à mort, et ressusciter trois jours après ».
Les gens admettent que Jésus a souffert, a été rejeté, a été mis à mort. Comme tant de pauvres gens, malheureusement, dans notre monde. Et ils ne comprennent donc pas que nous en fassions notre Dieu ! Par contre, ils n’admettent pas qu’il soit ressuscité, ça leur paraît une belle absurdité. Et c’est une autre raison pour ne pas comprendre notre foi. Bref, quand nous sommes conscients que notre religion, à la différence du judaïsme et de l’islam, n’est pas une obéissance à un Dieu tout-puissant, et ne fait donc pas envie, mais plutôt pitié, et qu’en plus nous passons pour des illuminés à croire des absurdités, alors oui, nous nous taisons, nous ne disons plus rien, sinon entre chrétiens. Ou alors nous tenons des discours humanistes, comme tout le monde. La culture occidentale tient des discours humanistes chaque fois que les humains détruisent l’humanité ou la planète !… Alors si nous parlons, par crainte de faire tache nous disons la même chose que tout le monde. Et là, oui, c’est Babel.
Mais comme Jésus nous le confirme, il faut « renoncer », renoncer à paraître, renoncer à un discours crédible, efficace, convaincant. Et renoncer aussi à nous taire, donc à notre confort. Être bien vus ou pas vus, voici ce à quoi nous aspirons. Et Jésus nous envoie être mal vus ! Parce qu’il est le Dieu crucifié, il faut nous « charger de [notre] croix et le suivre ». Quand on dit « porter sa croix », soit on pense à nos propres souffrances offertes au Christ – c’est une vision catholique très « tradi » – soit on a l’image stupide d’une religion qui consiste en signes extérieurs, à porter une croix, fût-elle huguenote, autour du cou… Image stupide ? Après tout, je n’en suis pas si sûr. « Signe ostentatoire de religion », c’est aujourd’hui presque un acte militant qui vous fera mal voir, que d’arborer une croix autour du cou ou un poisson sur la voiture. Et puis, la croix ne dit-elle pas – à notre place ? – que nous sommes chrétiens, que nous portons la croix de celui qui est mort pour nous, tel Simon de Cyrène (Marc 15 / 21) ? Mais ce n’est pas nous qui y mourons pour lui, ni pour les autres : c’est lui, Jésus, lui seul.
Ce qui fait le caractère scandaleux de notre religion fait aussi notre force, et c’est ça que nous oublions. Et c’est ça que les deux premiers textes que je vous ai lus ce matin nous rappelaient aussi, plus clairement : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » « Le Seigneur, l’Éternel, m’a secouru ; c’est pourquoi je n’ai pas été outragé ; c’est pourquoi j’ai rendu mon visage semblable à un roc, sachant que je ne serais pas honteux. Celui qui me justifie est proche : qui veut entrer en procès contre moi ? Affrontons-nous ! Qui s’oppose à mon droit ? Qu’il s’avance vers moi ! Voici que le Seigneur, l’Éternel, viendra à mon secours : qui me condamnera ? »… Porter la croix, c’est aussi savoir et confesser que nous n’avons plus rien à craindre de qui que ce soit, car celui qui y est mort a vaincu le mal, le péché et la mort, et il ne l’a pas fait dans un univers mythologique, mais dans la vraie vie, pour vous, pour moi, afin que nous éprouvions cette victoire chaque jour. Toutes les bonnes raisons de nous taire sont donc caduques. Lorsque Jésus nous demande « vous, qui dites-vous que je suis ? », nous n’avons à avoir honte ni devant lui, ni devant les gens, mais seulement à répondre une vraie réponse, et qu’elle soit audible pour les gens.
La question que nous devons nous poser, aussi bien personnellement qu’en Église, n’est donc pas « quoi dire ? », mais comment le dire pour être entendus par les gens, par les gens qui ne sont pas là, que ce soit d’anciens protestants ou de purs étrangers à notre confession. Ils ont toute liberté de se moquer ou de s’intéresser, de croire ou de ne pas croire, et s’ils croient, de le faire comme nous ou d’une autre manière : tout ceci n’est pas entre nos mains. Ce qui l’est, c’est seulement notre réponse à haute voix. Que pouvons-nous dire aux gens de notre expérience avec Jésus crucifié et ressuscité ? Que pouvons-nous témoigner de lui, c’est-à-dire de notre relation avec lui – sans nous étaler impudiquement sur ce qui ne regarde personne de notre vie intime ? Comment « bien » parler de Jésus, sans qu’il soit obligé de nous reprendre en nous ordonnant de repasser derrière lui, à la place qu’un disciple ne devrait jamais quitter ? Comment trouver en lui la capacité et la force de parler de lui, et comment trouver dans notre raison et notre science la manière de le faire de telle sorte que les gens entendent et comprennent ?
N’ayons pas « honte » de Jésus, et ne le laissons pas avoir honte de nous. D’autant que le monde a soif d’une parole qui ne soit pas creuse et vide. Non pas celle de la bonté humaine, que tout dément chaque jour, mais celle de l’amour de Dieu pour ceux qui n’en sont pas dignes. Qui d’autre que nous pourrait la dire ?… Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 13 septembre 2015