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Évangile selon Marc 12 / 12-40
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texte : Évangile selon Marc, 11 / 27-28 ; 12 / 12-40 (trad. : Bible à la colombe)
première lecture : Deutéronome, 6 / 1-9
chants : 22-04 et 43-04 (Alléluia)
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Chers amis, je ne vous prêcherai pas aujourd’hui sur la Toussaint, car le Réformés, dont nous sommes, ne célèbrent pas cette fête… Encore que l’anniversaire de la Réformation y ressemble beaucoup, et en tout cas largement plus que de se promener déguisé en sorcier ou en courge, ou d’aller fleurir les cimetières ! Pourtant, la fête de tous les saints est bien une fête chrétienne, c’est la fête de toute l’Église, car, vous le savez, les saints sont les chrétiens, ceux qui font la volonté de Dieu en Jésus-Christ. Oui, mais au fait, c’est quoi, faire la volonté de Dieu ? Et qu’est-ce que ça rajoute, de nommer ici Jésus ? Les commandements de la Loi de Moïse ne suffisent-ils pas ? À moins que Jésus n’ait innové avec son double commandement d’amour…
Eh bien non, Jésus n’a pas innové avec cette citation de deux versets de l’Ancien Testament. Tout le montre : le fait que ce sont donc des citations de l’Écriture, évidemment, l’une du Deutéronome – vous l’avez entendu – et l’autre du Lévitique ; et aussi la réaction de l’homme qui lui avait posé la question. Jésus, dans ces quelques versets, n’est rien d’autre qu’un bon rabbin juif, un scribe instruit dans la Torah. Alors, sommes-nous juifs ? C’est à cause de toutes ces questions que j’ai élargi l’extrait de l’évangile de Marc qui nous était proposé à toute cette dispute qui se déroule au Temple de Jérusalem, sans doute sous l’un des portiques qui bordaient l’esplanade, et où tout un chacun – même les païens – pouvait venir se promener ou écouter ce qui se disait. Dans ce que raconte l’évangéliste, les choses ont d’ailleurs commencé un peu plus tôt, quand Jésus est officiellement contesté par les autorités du Temple, qui ne reconnaissent évidemment pas son autorité. Renvoyés dans les cordes et craignant la réaction des gens s’ils arrêtent Jésus maintenant, ils envoient alors des scribes de diverses obédiences « afin de le prendre au piège de ses propres paroles ».
Ceci est resté un exercice très prisé encore aujourd’hui. Outre les anarchistes, dont la littérature est édifiante à ce propos, dénuée de toute intelligence comme de tout respect – je puis bien le dire, même si ça ne justifie pas les crimes commis contre certains d’entre eux il y a 10 mois – d’autres aussi, sur les radios et les télévisions, voire dans les journaux, aiment se moquer de ce qui leur apparaît comme un tissu d’invraisemblances mais aussi de contradictions. Ça me rappelle tout à fait le discours du serpent à nos mythiques ancêtres : « Dieu a-t-il vraiment dit… ? » (Gen. 3 / 1) Ce discours non seulement a droit de cité – et pourquoi pas ? – mais aussi il est très fortement dominant dans notre pays. Vous le savez bien, ceux qui écoutent Jésus pour se nourrir de ses paroles en croyant qu’elles sont dites pour eux, pour qu’ils en vivent, ceux-ci sont aujourd’hui bien peu nombreux, mais nous en sommes… La Toussaint bien comprise pourrait être notre fête à nous, plutôt que celle des morts !
Alors, que dit Jésus exactement ? Dans toute cette séquence, il y a d’abord une question éthique de la part des Pharisiens ; puis une question théologique de la part des Sadducéens ; puis une question posée par un scribe sur la Torah ; et enfin une critique par Jésus des scribes et de leurs contradictions. On est donc bien dans ce qu’on appelait au XVIème siècle une dispute, où il s’agit de défendre le bien-fondé de son point de vue et d’argumenter contre le ou les points de vue de ses adversaires. Aux yeux des gens qui ont écouté tout ça, Jésus est manifestement le vainqueur de cet exercice ce jour-là. Or toute la série a commencé avec une question sur la Loi : « Est-il permis… ? » C’est sans doute une question typiquement pharisienne, puis rabbinique. Vous savez bien qu’encore aujourd’hui, les plus connues des prescriptions du judaïsme rabbinique, les prescriptions alimentaires, s’appellent la « kasherout », c’est-à-dire « ce qui est kasher, permis ». La question particulière des Pharisiens ce jour-là, sur l’impôt juif dû au fisc impérial, n’est pas notre sujet ce matin. Mais entendez que, pour ces Pharisiens, la question de l’autorité de Jésus est celle de sa capacité à interpréter le concret de l’existence en rapport avec la Loi de Dieu, avec ce qui est permis ou défendu. Entendez aussi que ceux qui posent la question dans ces termes sont révoqués par Jésus en tant qu’hypocrites et en tant qu’idolâtres, remplaçant Dieu par César, la foi par le politique ou l’éthique, la Parole de Dieu par la morale.
Arrivent alors les adversaires des Pharisiens, à savoir les Sadducéens « qui disent qu’il n’y a pas de résurrection ». À l’époque des premiers lecteurs de cet évangile, ce sont donc les plus farouches adversaires des chrétiens au sein du judaïsme, ceux qui prétendent que la foi au Ressuscité est absurde. Or, ils se basent sur les Écritures, c’est-à-dire sur les « livres de Moïse » – ils n’ont sans doute pas les Prophètes, et certainement pas les autres Écrits. Mais ils le font de manière littéraliste. Ils ne prennent pas le recul nécessaire non pas pour relativiser les textes, mais pour apercevoir leur centre, qui est Dieu lui-même. Car ce ne sont pas les Écritures qui sont divines, mais leur auteur ! Or, puisque Dieu est l’auteur des Écritures, la clef de lecture de toutes les Écritures devrait être ce qu’il dit sur lui-même, lui, Dieu. Aussi Jésus peut-il leur dire : « Vous ne comprenez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu. […] Votre erreur est grande. » Puissions-nous être gardés, nous protestants, attachés à l’Écriture, de ce dérapage qui nous ferait oublier ce qui est au centre de toute la Bible. Amen ! Mais… qu’est-ce qui est au centre de toute la Bible ?
C’est la question suivante, celle d’un scribe dont la théologie n’est pas indiquée. Il est donc là en tant que connaisseur des Écritures. Et peut-être même pas pour coincer Jésus : le texte est ambigu, laissant entendre la satisfaction du scribe devant les réponses précédentes de Jésus. Pourquoi pose-t-il alors sa question ? Pour confirmer son sentiment sur la qualité des réponses de Jésus ? Ou bien au contraire pour prouver, lui, que Jésus n’est pas digne d’être écouté ? Toujours est-il qu’il pose la vraie question de ce qui est au centre de la Bible, de la Torah. Il le fait de manière juive, évidemment, à propos donc des commandements. Les chrétiens garderont une particulière affection pour ces quelques versets, au point parfois de les prendre pour l’Évangile – ce qu’ils ne sont pas, nous allons le voir. Je vous ai dit d’où ils venaient : Jésus n’invente rien ici, ne fait preuve d’aucune originalité dans son résumé des deux Tables de la Loi. Ce n’était d’ailleurs pas ce qui lui était demandé. Le scribe confirme qu’il a bien répondu… et donc qu’il n’est pas original ! C’est peut-être la raison du silence qui suit : pourquoi poser encore des questions à ce Jésus qui répond comme tout le monde ?… Ses opposants auraient-ils gagné ?
Mais Jésus n’a pas répondu comme tout le monde. Il a simplement répondu comme le scribe ! D’ailleurs, l’évangéliste souligne l’ironie de Jésus à ce propos : « Jésus, voyant que le scribe avait répondu avec intelligence », etc. Ce que Jésus a formulé, c’est seulement la réponse du scribe à sa propre question sur le plus grand commandement. Et cette réponse ne résout rien, ni ce qu’il faut faire avec l’impôt juif, ni sur la résurrection ou la manière de lire la Bible, ni sur aucune des autres questions qui se posent au cours d’une existence croyante. L’histoire du « Bon Samaritain » l’annonçait d’entrée de jeu, avec la question qui, ici, ne vient pas, mais qui serait logique : « Et qui est mon prochain ? » (Luc 10 / 29) On pourrait aussi demander : « Et c’est quoi, aimer ? » Et tout un chacun, sans avoir fait d’études de psychologie ou de philosophie, peut remarquer qu’il n’est pas possible de commander d’aimer : soit on le fait par obéissance, et ça n’aura qu’un lointain rapport avec l’amour ; soit on aime, et ça n’aura qu’un lointain rapport avec l’obéissance à un commandement ! C’est comme de commander : « sois heureux », ou quoi que ce soit d’autre du même genre.
Les versets suivants arrivent donc en toute logique, comme une accusation portée par Jésus contre les scribes, c’est-à-dire contre ceux qui posent la question du plus grand commandement, ou qui se contentent de la réponse classique ! Et l’intervention de Jésus face à ses contradicteurs, voire ses sympathisants, est de reposer autrement la question de ce qui est au centre de la Bible, et d’affirmer que le Christ est Seigneur ! Là est la réponse originale à toutes les questions : ce n’est ni la pratique, ni la théorie, ni l’exégèse, ni l’obéissance, qui est au centre ; rien de ce qui est ou pourrait être mien. Ce qui est au centre, c’est le Christ. Il est Seigneur. C’est-à-dire qu’il est Dieu. Il est, lui, le centre et l’auteur et le but des Écritures, de toutes les Écritures bibliques. Lire les Écritures, penser la foi, pratiquer la foi, sans la référence centrale à Jésus-Christ, c’est se tromper ou mentir. C’est donc tout logiquement que Jésus accuse les scribes, tous ceux qui l’ont questionné jusqu’à maintenant, d’être menteurs et hypocrites, intéressés seulement par eux-mêmes. Ce n’est pas parce qu’ils sont méchants, mais parce qu’ils n’ont pas le Christ. Or, si je ne vois pas Jésus au centre, comment ne pas m’y mettre moi-même ?! La Bible, la foi, la religion, sont alors les supports pieux de mon propre intérêt : « Bon maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » (Marc 10 / 17 ; Luc 10 / 25) Chaque fois que la question lui est ainsi posée, Jésus tente de décentrer de lui-même l’homme qui la pose, pour lui faire découvrir que c’est lui, Jésus, qui est au centre, et que c’est ça, la vie éternelle !
Et si vous tenez à réfléchir au double commandement d’amour, comme d’ailleurs à tous les commandements, vous verrez que seul Jésus a appliqué ce commandement jusqu’au bout – ce que l’évangile de Jean souligne tout particulièrement, tout en prenant bien soin de ne jamais citer ce double commandement comme s’il exprimait la volonté de Jésus pour nous. Jésus seul a aimé Dieu par-dessus tout. Et Jésus seul a aimé les gens jusqu’à mourir pour eux, même pour ses ennemis et tous ceux qui ne le méritaient pas, moi y compris. Si je prends le double commandement d’amour pour lui obéir, alors certes il me montre la volonté de Dieu, mais il me condamne encore plus que tous les autres réunis : jamais je ne serai à la hauteur de cette volonté-là, jamais je ne serai capable de mettre en œuvre ce commandement et d’aboutir à quelque chose. La Loi de Dieu est bonne, mais elle me condamne : je vous renvoie encore une fois à l’épître aux Romains…
Voici pourquoi Jésus veut en détourner notre regard, non pas pour nous tourner vers des choses plus légères, ni vers des devoirs plus faciles à accomplir. Non : vers lui, vers lui seul. Avec cette mise en garde qui termine la séquence : « méfiez-vous de ceux qui prétendent y arriver ! » Si vous pensez le pasteur, ou vos parents, ou le voisin, plus pieux, meilleur, etc., que vous-mêmes, vous vous trompez ! Ne regardez pas les qualités humaines, mais regardez celles de Jésus, et regardez non pas ce que vous pourriez faire pour lui et que vous ne faites pas, mais plutôt regardez ce que lui a fait pour vous, et qu’il continue à faire, par son Esprit, par la prédication de sa Parole lorsqu’elle vous atteint, par la célébration des sacrements lorsqu’ils vous nourrissent, et par tout autre moyen à sa convenance et dont vous n’avez peut-être pas idée… La mort de Jésus et sa résurrection sont « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, et qui n’est pas monté au cœur d’ l’homme » (1 Cor. 2 / 9). Personne n’en parle dans l’Ancien Testament, et pourtant tous les versets en parlent : les lire autrement n’a pas de sens ! Et dans la vie chrétienne, lorsque je m’en remets entièrement à Jésus, alors c’est lui qui agit, c’est lui qui paie l’impôt à César, c’est lui qui, en moi, aime Dieu et mon prochain. Lui seul. Lui « le premier et le dernier, le Vivant » (Apoc. 1 / 18). Amen.
Senones – David Mitrani – 1er novembre 2015