Épître aux Éphésiens 3 / 13 – 4 / 6

 

texte :  Épître aux Éphésiens, 3 / 13 – 4 / 6  (trad. : Bible de Jérusalem)

premières lectures :  Jérémie, 31 / 31-34 ;  Évangile selon Jean, 15 / 26 – 16 / 3

chants :  413 et 606  (Arc-en-ciel)

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Rien ne change jamais ! C’est la première constatation que nous pouvons faire en entendant ces textes ce matin… Peut-être n’est-ce pas à cet aspect que vous vous étiez arrêtés à la première audition. Mais pourtant, ils nous le font bien remarquer, et à plusieurs titres. La promesse de Jérémie, d’abord. Promesse de renouveau ? Certes ! Mais elle s’appuie sur quelque chose qui ne change jamais, depuis au moins le Néolithique sinon avant : « le cœur de l’homme est disposé au mal dès sa jeunesse », pour le dire comme Dieu lui-même lorsque Noé offrit un sacrifice après le Déluge (Gen. 8 / 21). Comment est-ce que j’entends ceci dans le passage du prophète que je vous ai lu ? C’est que Dieu, ici – comme d’ailleurs après le Déluge – déclare à propos de nous autres : « je pardonnerai leur faute et je ne me souviendrai plus de leur péché. » S’il y a pardon, s’il y a oubli, c’est bien qu’il y a à pardonner, c’est bien qu’il y a à oublier… N’y a-t-il donc rien dans votre vie, dans vos paroles, dans vos comportements, dans votre relation à vous-mêmes, aux autres ou à Dieu, n’y a-t-il rien qui nécessite le pardon ? La vie du croyant, la vie du peuple croyant – l’Église – n’est donc pas une vie sans tache, mais c’est une vie à laquelle Dieu est sans cesse obligé d’appliquer du détachant ! Le croyant n’est pas un saint au sens courant du terme, il est un pécheur pardonné. L’Église n’est pas un peuple pur, mais un peuple racheté. Car depuis toujours, nous sommes pécheurs, « enclins au mal, incapables par nous-mêmes d’aucun bien », comme la confession des péchés de Calvin et Bèze le soulignait autrefois…

 

Rien ne change jamais. A-t-on persécuté les chrétiens autrefois, comme Jésus l’annonçait à ses disciples avant sa Passion ? On les persécutera toujours. Le pape François le soulignait il y a peu, les chrétiens n’ont jamais autant été persécutés de par le monde que de nos jours. Ça nous est mis sous les yeux pour la Syrie et l’Irak, pour le Nigéria aussi, mais vous savez bien que cela se produit un peu partout, notamment dans le monde musulman et en Extrême Orient. Ça ne se passe pas ici, me direz-vous… Pourquoi alors nos élites ont-elles tenu à faire poser tout récemment une plaque en souvenir de la Saint-Barthélemy, pourquoi notre protestantisme se complaît-il dans la remémoration des persécutions du passé, si ce n’est par crainte de nouvelles persécutions, par crainte pour la liberté d’expression notamment religieuse ? Bien sûr, nous n’y sommes pas les seuls concernés. Tous les religieux, toutes les religions, risquent de faire d’excellents boucs émissaires d’une société apeurée et sans espérance. Mais dans combien de lieux de notre propre pays l’islam ou la crainte de l’islam ne servent-ils pas de prétexte à limiter l’expression chrétienne là où elle est pourtant pleinement autorisée par la loi, à savoir dans la rue, dans l’université, dans le monde associatif, dans le secteur privé, etc. ? Notre confort à Saint-Dié ne doit pas nous faire oublier ce qui se passe ailleurs, y compris en France. Combien « la fille aînée de l’Église » compte-t-elle encore de pratiquants chrétiens ? Combien les diverses Églises chrétiennes de Saint-Dié même totalisent-elles de gens au culte ou à la messe ce week-end ?

 

Rien ne change jamais, et nous avons besoin de réentendre cet encouragement de l’Apôtre : « je vous en prie, ne vous laissez pas abattre… » Car de tout temps nous nous laissons décourager au bout du compte, plus ou moins vite selon les gens et les moments, mais dès lors que nous comptons sur nos propres forces et notre propre capacité de séduction des gens et de la société, le découragement finit bien par arriver. Car nos forces sont insuffisantes, et évangéliser n’est pas séduire le monde : les récentes émissions sur la 5 ont bien montré comment le protestantisme a su séduire la société française ; mais, je le répète, où sont les gens ? Pas ici avec nous… Ils ont d’autres priorités, et cela nous laisse désarmés, bien peu capables de réagir. N’en culpabilisez pourtant pas outre mesure : ça aussi, ça a toujours été comme ça. L’Ecclésiaste ne le reconnaissait-il pas ? « Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Y a-t-il une chose dont on dise : “Vois ceci, c’est nouveau !”, elle a déjà eu lieu dans les siècles qui nous ont précédés. » (Eccl. 1 / 9-10)

 

Mais, frères et sœurs, cette constatation elle-même est aussi un encouragement. Car l’amour et le pardon de Dieu ne changent pas non plus. Ce qui fut le sommet de notre péché : l’assassinat du Fils unique de Dieu, qui aurait pu nous mériter la plus forte des sanctions, bien pire que ce que fut le Déluge, cela-même fut le moyen par lequel le pardon de Dieu nous a été offert et a véritablement pris corps. Le lieu et le moment du plus fort refus de Dieu par les humains ont été pour nous ceux à travers lesquels Dieu a définitivement accepté l’humanité telle qu’elle est, afin de pouvoir l’accompagner là où il sait qu’elle connaîtra le bonheur éternel, ce bonheur qu’elle est totalement incapable d’atteindre par elle-même. À travers tous ses textes tellement variés dans le fond et dans la forme, la Bible est le témoin véridique de cet engagement de Dieu pour nous qui ne le méritons pas, qui ne le mériterons jamais. Comme nous le déclare Jésus : « vous êtes avec moi depuis le commencement. » Par-dessus ses apôtres pour qui cette phrase est évidente, c’est bien aussi à nous qu’il s’adresse. Il est, lui, le commencement, il est notre commencement.

 

En cela, il est une fidèle image du Père céleste. L’apôtre Paul glisse un jeu de mots au début du passage que nous avons entendu : c’est du Père « que toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom. » Bien sûr. Mais qu’est-ce que ça veut dire, sinon justement que nous-mêmes ne sommes enfants, fils et filles, que de ce Père-ci, le Père de Jésus, et ce depuis toujours, même si cela ne nous est signifié que le jour de notre baptême. Et toute famille chrétienne, ou plutôt toute manière chrétienne de vivre la famille, ne tient sa légitimité que de ce commencement absolu : en Christ, nous avons été engendrés par Dieu notre Père. Au-delà de nos propres foyers, c’est aussi ce qui nous définit dans le monde. De quelle famille sommes-nous, de quelle patrie sommes-nous ? D’abord de la famille de Dieu, de la patrie qui se réunit autour de notre frère aîné qui est vivant, ressuscité d’entre les morts : Jésus, le Christ, le Seigneur et le Sauveur du monde. C’est cette identité que nous vivons à travers tous nos engagements familiaux certes, mais aussi sociaux au sens le plus large du terme. Pas en portant un signe religieux quelconque, mais parce que nous sommes ce que nous sommes : des enfants du Père, depuis toujours et pour toujours, à cause de Jésus.

 

Pourtant, comme dans toute famille, comme dans toute vie, il y a aussi besoin de nouveauté. Non pas par effet de mode ! Mais simplement pour grandir. Alors, même si rien ne change jamais, ou justement à cause de ça, il y a aussi du neuf – mais comme rien ne change jamais, cela ne peut venir que de Dieu, pas de nous ! Depuis toujours, cela vient de lui… Aussi, depuis toujours, sa promesse est au futur : Dieu nous attend devant nous, tout comme un parent attend son enfant en tant qu’adulte, plutôt que de le maintenir dans la nostalgie de son enfance. L’enfance est-elle le temps de l’apprentissage – ce que notre société ferait bien de se rappeler ? Alors, Dieu nous promet et nous promeut le temps de la fin de l’apprentissage, le temps où « celui-ci n’enseignera plus son prochain, ni celui-là son frère, en disant : “connaissez l’Éternel !”, car tous me connaîtront. » Mais qu’est-ce que connaître Dieu, sinon connaître « la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur – connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance » ? Ce n’est pas de géométrie qu’il s’agit, mais de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, dans lesquelles Dieu nous a aimés au-delà de tout ce qui est imaginable.

 

Rien ne change jamais : la nouveauté du don de l’Esprit saint est de toujours et pour toujours. Y aurait-il dans votre vie un moment, une raison, de croire que vous ne le méritez pas ? Bien sûr ! Mais ça ne compte pas ! Le Père nous tire vers demain, vers notre stature de chrétiens adultes, et pour ça il sait que nous avons besoin de son Esprit, cet Esprit promis par Jésus et offert depuis toujours. Mais il sait aussi, par pédagogie, qu’il nous faut le demander, pour nous ou pour les autres. L’Esprit est celui qui prie en nous ; comme Paul l’écrivait aux Romains, « l’Esprit vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu’il convient de demander dans nos prières ; mais l’Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables. » (Rom. 8 / 26) Mais c’est lui-même qui est aussi l’objet de cette prière : « si donc, vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il l’Esprit saint à ceux qui le lui demandent ! » (Luc 11 / 13) Cet Esprit n’est pas là pour nous rendre riches, beaux, en bonne santé, etc. Il est là, donné, pour nous faire grandir, nous fortifier dans la certitude que nous sommes aimés de Dieu, adoptés par lui comme ses enfants.

 

C’est seulement dans cette certitude, cette confiance totale, que nous pourrons mesurer l’amour de Christ, et perdre tout sens de cette mesure parfaitement insensée, inutile : l’amour ne se mesure pas, il se reçoit, il se vit, il se donne. Ainsi est-il évident, quand on est aimés et quand on aime, que « l’amour du Christ surpasse toute connaissance. » Car il n’est pas objet de connaissance. Aussi cela n’a-t-il pas de sens de vouloir grandir dans cette connaissance, sinon par manière de dire. Rien ne change jamais : j’ai toujours envie et besoin d’être aimé ! Puissé-je être rassuré ici : l’amour de Dieu pour moi n’a pas de cesse ! Aussi « large, long, haut et profond » que je pourrais l’imaginer, le concevoir, il sera toujours plus, toujours au-delà ; et il sera toujours plus à même de faire pour moi, en moi, et par moi, bien au-delà de ce dont je me sais capable, bien au-delà de ce que je suis capable. Et cela est vrai aussi pour l’Église, même la nôtre ! Si nous nous abandonnons à l’amour de Dieu, si notre Église sait s’abandonner à l’amour de Dieu, alors nous réaliserons de grandes choses. Comme le chante un cantique évangélique : « avec Dieu, nous ferons des exploits ! » (Alléluia 52-15)

 

Car nous sommes là pour ça, n’est-ce pas ?! Nous ne sommes pas là pour dormir, nous satisfaire de notre religion, ni même en être insatisfaits… Paul nous « exhorte donc à mener une vie digne de l’appel que vous avez reçu », écrit-il. Vous qui êtes enfants de Dieu, vivez en enfants de Dieu, là où il vous a placés, là où il vous a appelés, pour ce pour quoi il vous a mis là en sachant ce qu’il faisait. Bref, faites confiance à votre Père qui a aussi fait de vous, bien sûr, des frères et sœurs. Il vous appelle avant tout à vivre cette fraternité que vous n’avez pas plus choisie que vous n’avez choisi votre Père, car c’est de lui que vous êtes tirés, et non l’inverse. Cette fraternité est un cadeau, mais aussi un moyen, un témoignage de ce que vous êtes et de qui est votre père. Jésus disait un jour à ses adversaires : « vous avez pour père le diable » (Jean 8 / 44). Mais rien ne change jamais : vous, vous avez pour père le Père de Jésus-Christ ! Ne donnez pas aux gens l’impression que vous en avez un autre… Soyez assez fiers de votre Père, et de votre frère aîné, pour que ça se voie, pour que votre amour se donne, pour que ce soit la paix qui coule de toute votre existence, et qui inonde ceux qui vous entourent. Telle est l’œuvre de l’Esprit saint : « celui qui vous a appelés est fidèle, et c’est lui qui le fera ! » (1 Thess. 5 / 24) Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  8 mai 2016

 

 

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