Psaume 147 / 1-12

 

texte :

Louez l’Éternel !
Car il est bon de célébrer notre Dieu,
Car il est agréable et beau de le louer.
L’Éternel rebâtit Jérusalem,
Il rassemble les exilés d’Israël ;
Il guérit ceux qui ont le cœur brisé
Et il panse leurs blessures.
Il compte le nombre des étoiles,
À toutes il leur a crié des noms.
Notre Seigneur est grand, puissant en force,
À son intelligence pas de limite.
L’Éternel soutient les humbles,
Il abaisse les méchants jusqu’à terre.
Répondez à l’Éternel avec reconnaissance,
Célébrez notre Dieu avec la harpe !
Il couvre les cieux,
Des nuages il prépare la pluie pour la terre ;
Il fait germer les montagnes d’herbe.
Il donne au bétail sa nourriture,
Aux fils du corbeau qui crient.
Ce n’est pas dans la vigueur du cheval qu’il se complaît,
Ce n’est pas dans les jambes de l’homme qu’il met son plaisir ;
L’Éternel met son plaisir à ceux qui le craignent,
À ceux qui s’attendent à sa grâce.
Jérusalem, glorifie l’Éternel !
Loue ton Dieu, Sion !

 

premières lectures :  Ésaïe 29 / 18-24 ; Actes des Apôtres 9 / 1-20 ; Évangile selon Marc 7 / 31-37

chants :  138 et 43-10 

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prédication :

 

Au milieu de cette semaine, mes vacances n’étant pas encore finies, j’ai regardé les émissions de la télévision un peu plus souvent que d’ordinaire. Un soir, sur Arte je crois, cela parlait de ce que nous appelons en France le « développement personnel » – émission d’ailleurs assez équilibrée, pour une fois. Le lendemain, une autre émission évoquait longuement la vie d’Eliud Kipchoge, un athlète kényan de 37 ans, champion du monde de marathon. La tonalité dominante des deux émissions, et même exclusive dans la deuxième, était ce que je résumerais par : « quand on veut vraiment, on peut. » Nul doute que Kipchoge y arrive ! Moi pas. Serais-je donc jaloux ? Pas vraiment. Certes je ne rêve pas de courir le marathon ! Mais il y a d’autres choses auxquels j’aimerais bien, ou j’aurais bien aimé, arriver dans mon existence personnelle, et puis non… Manque de volonté ? Sûrement. Mais pas seulement, me semble-t-il. Une des conséquences de la « psychologie positive », comme disent les psychologues américains, c’est de marginaliser, d’exclure de la vie socio-économique, ceux qui n’y arrivent pas. Après tout, ceux qui n’y arrivent pas, c’est de leur faute, n’est-ce pas, puisqu’il suffit de vouloir…

 

Vous entendez bien mes réticences… Et voilà que les textes bibliques de ce matin confortent non pas la « psychologie positive », mais justement mes réticences ! Car, bien sûr, il ne suffit pas de vouloir, quoi qu’en disent les penseurs du libéralisme, pourtant d’honnêtes protestants bien moraux. Justement : trop moraux ? La morale, c’est une « théologie des œuvres » : fais ce que tu dois, et tout ira mieux pour toi et pour la société. Mais voilà, « je le sais : ce qui est bon n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair. Car je suis à même de vouloir, mais non pas d’accomplir le bien. Je ne fais pas le bien que je veux, mais je pratique le mal que je ne veux pas. » C’est l’apôtre Paul qui écrivait ceci (Rom. 7 / 18-19), qui correspond bien à l’expérience croyante – en tout cas à la mienne. Qu’en disent nos textes ? Les Actes des Apôtres et Marc nous montrent Jésus s’occupant de choisir et / ou de guérir ceux qui n’en étaient pas dignes, pas capables, pas croyants… Ésaïe quant à lui oppose d’une part les sourds et les aveugles à la Parole de Dieu et les humbles et les pauvres, tous appelés à être restaurés et guéris, avec d’autre part les tyrans, les moqueurs et tous les injustes.

 

Mais le texte du psaume me semble encore plus parlant, et de manière plus poétique et originale. Certes il rappelle que « L’Éternel soutient les humbles, Il abaisse les méchants jusqu’à terre. » N’est-ce pas ce que nous chantons avec Marie (Luc 1 / 51-53) en attendant Noël ? Je viens de chanter ce « Magnificat » en latin tout une semaine à la manière de Vivaldi pendant mes vacances, alors croyez-m’en ! Mais plus loin dans le début de ce psaume 147, il est écrit : « Ce n’est pas dans la vigueur du cheval qu’il se complaît, Ce n’est pas dans les jambes de l’homme qu’il met son plaisir… » Évidemment j’ai repensé alors à Kipchoge ! Je ne suis pas sûr que ce soit le sujet : le psalmiste pensait sans doute plutôt à la puissance militaire, mais le raisonnement est le même. Les prophètes reprocheront assez, dans le livre des Rois, à ceux-ci d’avoir préféré se confier dans leur propre puissance et dans une armée bien équipée en chevaux et en chars, plutôt qu’en Dieu seul ! Tout le livre montre l’inanité d’une telle confiance : de coups d’État en protectorats, Israël et Juda tomberont finalement sous les coups de plus forts qu’eux…

 

Le même passage du psaume se poursuit ainsi : « L’Éternel met son plaisir à ceux qui le craignent, À ceux qui s’attendent à sa grâce. » Je pense que notre athlète kényan est croyant. Mais il semblait, dans le reportage, ne s’attendre qu’au triomphe de ses propres efforts, de sa propre volonté, qu’à améliorer ses propres performances sportives en s’assurant de conditions optimales afin que rien ne se mette en travers de sa victoire. Le psaume insiste alors un peu lourdement : ce n’est pas dans de tels « winners » que Dieu met son plaisir, non plus évidemment que dans des « loosers » quasi professionnels ! Mais il ne regarde pas à la réussite physique ou sociale, et le capitalisme libéral n’est pas son ambiance préférée ! Il s’attache à ceux qui ont besoin de lui, qui s’attendent à lui, qui savent que c’est auprès de lui et non pas en eux-mêmes qu’ils trouveront le bonheur. Aujourd’hui, la course effrénée au bonheur est une course suicidaire qui n’a que deux issues possibles : le mur et le précipice ! Paul conseillait à Timothée : « Exerce-toi à la piété ; car l’exercice corporel est utile à peu de choses, tandis que la piété est utile à tout, elle a la promesse de la vie présente et de la vie à venir. » (1 Tim. 4 / 8) Bien sûr ce verset flatte ma flemme sportive, mais il propose un autre exercice bien plus exigeant : être tourné vers Dieu.

 

Alors je reviens au début du psaume, avec trois versets qui se suivent et que je veux regarder comme synonymes, selon la manière de la poésie biblique. « L’Éternel rebâtit Jérusalem, Il rassemble les exilés d’Israël ; Il guérit ceux qui ont le cœur brisé Et il panse leurs blessures ; Il compte le nombre des étoiles, À toutes Il leur a crié des noms. » Quel rapport, me direz-vous, entre Jérusalem, les cœurs brisés et les étoiles ? La synonymie s’exerce d’abord dans chaque verset, entre les deux stiques : rebâtir et rassembler, guérir et panser, compter et nommer. Mais ça, ça saute aux yeux… Non. Je vous propose de considérer ceci : Jérusalem, les cœurs brisés et les étoiles sont une seule et même réalité, à savoir le peuple de Dieu, le peuple de ceux qui s’attendent à sa grâce, qui ne comptent que sur Dieu pour la vie présente et la vie éternelle, pour la vie individuelle et la vie communautaire.

 

On pourrait croire, bien sûr, simplement à l’intervention divine pour la restauration de Juda et de Jérusalem aux Vème et IVème siècles. Mais si Dieu l’a fait, que n’a-t-il épargné la croix à son propre Fils ?! Et que n’a-t-il agi déjà pour que cette Jérusalem rebâtie soit un centre rayonnant de foi et de piété – ce qu’elle ne fut pas, loin de là, non plus que l’actuelle ? Il faut donc lire autre chose, à la manière du livre d’Ésaïe et de l’Apocalypse de Jean : la vraie Jérusalem, le vrai Israël, ce ne sont pas une ville ni une nation, mais une Église, un rassemblement de croyants en communion avec leur Dieu. Le « rassemblement des exilés d’Israël » est l’œuvre du Christ par-delà les origines religieuses, ethniques, culturelles, sociales, etc. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle. » (Jean 3 / 16) « L’Évangile est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit : du Juif d’abord, puis du Grec. » (Rom. 1 / 16) Et tant d’autres versets…

 

Et que sont les étoiles ? Dieu est parfois appelé « Adonaï Tsevaôth », qu’on a traduit « l’Éternel des armées ». Or ce sont les armées célestes, bien sûr, les armées angéliques, c’est-à-dire les étoiles, telles que les met en scène par exemple le récit des bergers à Noël : « Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait : “Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée !” Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel », etc. (Luc 2 / 13-15a) Et Dieu a nommé les étoiles, tout comme l’être humain a nommé les animaux (Gen. 2 / 19-20) mais n’a pas de pouvoir sur les domaines qui lui restent hors d’atteinte. Mais hormis pour les férus d’astronomie, que nous importent Sirius, Aldébaran ou Bételgeuse, voire Sagittarius A*, le trou noir central de la Voie lactée ?! Car là encore ce sont les croyants qui sont concernés. Comme le dit aussi le Seigneur dans l’Apocalypse : « Au vainqueur je donnerai de la manne cachée, je lui donnerai une pierre blanche, et, gravé sur la pierre, un nom nouveau que personne ne connaît sinon qui le reçoit. » (Apoc. 2 / 17) Nous sommes les étoiles qui ont reçu leur nom de Dieu en Jésus-Christ ! Les anges sont des messagers, et c’est bien ce que nous sommes, nous chrétiens, témoins porteurs de la Bonne nouvelle de Jésus-Christ ! Dieu n’a-t-il pas dit à Moïse, le messager par excellence : « tu as trouvé grâce à mes yeux et je te connais par ton nom » (Ex. 33 / 12. 17) ?

 

Rappelez-vous aussi l’histoire racontée par Jésus avec un riche et un pauvre nommé Lazare : seul le pauvre a un nom dans cette histoire, et ce nom signifie « Dieu aide » (Luc 16 / 19-20). Entre Jérusalem rebâtie et les étoiles qui ont reçu un nom, le verset central s’éclaire tout à fait : comme pour Lazare – celui de la petite histoire et celui qui sera ressuscité (Jean 11) – et comme pour le blessé de la parabole du « Bon Samaritain » (Luc 10 / 30-37), Dieu s’occupe de rebâtir et de nommer « ceux qui ont le cœur brisé », les blessés de la vie et de la foi. Il ne s’agit pas de faire du misérabilisme, mais de bien considérer ce que nous sommes et comment nous vivons, pour pouvoir nous tourner vers Dieu en vérité et non dans l’indifférence ou le mensonge. « Les sacrifices de Dieu, c’est un esprit brisé ; Un cœur brisé et contrit, Dieu, tu ne le dédaignes pas. » Ainsi chantait David au Psaume 51 (v. 19). Vous savez, il y a un cantique évangélique que j’aime bien, que j’ai souvent fait chanter à des confirmations par exemple, et qui dit : « Avec Dieu, nous ferons des exploits » (Alléluia n° 52-15). Ce n’est vrai, ce n’est un programme légitime, que si l’exploit consiste à vaincre notre propre nature pécheresse et égocentrique pour nous tourner vers Dieu en attendant de lui non pas qu’il nous fasse gagner nos combats à nous, mais qu’il nous donne sa grâce à lui, qu’il fasse gagner en nous le combat que son Fils a mené sur la croix.

 

Rappelez-vous : « L’Éternel met son plaisir à ceux qui le craignent, À ceux qui s’attendent à sa grâce. » Ceux-ci seuls sont sa Jérusalem rebâtie, et les étoiles qu’il nomme au firmament du Royaume ! Ainsi en sommes-nous, nous qui nous reconnaissons comme blessés, sourds et aveugles, incapables de courir. Nous ne demanderons pas à Dieu de réparer nos corps ni nos facultés, même si nous aimerions qu’il le fasse : il nous a donné ce dont nous avions besoin, quand bien même nous pensons qu’il nous en manque beaucoup et, souvent, de plus en plus… Nous lui demanderons plutôt de nous renouveler sa grâce, sa miséricorde et sa paix, et de nous renouveler nous-mêmes en elles. Bref, comme le chante un autre cantique bien connu : « C’est toi-même, Dieu suprême, toi que je demande à toi. Ta présence, ton absence, c’est vie ou c’est mort pour moi. Que ta grâce en moi fasse à jamais régner mon Roi ! » (Alléluia n° 47-13, str. 4) En Jésus-Christ, Dieu répond à cette prière. Il se donne lui-même à nous, et cela nous suffit. Grâces lui en soient rendues. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  4 septembre 2022

 

 

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