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Première épître de Pierre 1 / 3-9 (2)
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texte : Première épître de Pierre 1 / 3-9
premières lectures : Évangile selon Jean 20 / 19-29 ; Ésaïe 40 / 26-31
chants : 45-03 et 45-10
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« *Shalom aleikhem », « Paix à vous ! » C’est la première parole de Jésus ressuscité à ses disciples hommes – car selon le même évangéliste, il avait déjà parlé avec Marie la Magdalénienne (Jean 20 / 14-18). « Heureux ceux qui ne voient pas et qui croient ! » Cette autre parole termine cette rencontre entre Jésus ressuscité et Thomas. Et c’est bien le même contenu que l’apôtre Pierre propose aux destinataires de sa lettre qui sont « dispersés » au nord et au centre de l’actuelle Turquie. Il commence en rendant grâces à Dieu pour cette paix, qui consiste non pas en tranquillité ou en passivité, mais en « régénération pour une espérance vivante… » « Régénérés », « nés de nouveau » (Jean 3 / 3), l’adverbe est devenu préfixe, mais le sens est le même. La paix que donne le Ressuscité est non seulement une parole, mais un acte d’engendrement. « La résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts », voilà ce qui opère notre nouvelle naissance, et c’est de ça que parle notre texte. Elle a certes eu lieu il y a un peu moins de 2.000 ans, mais elle nous concerne, chacun de nous, aujourd’hui. Par-dessus les siècles, la résurrection de Jésus dont nous venons de célébrer l’anniversaire prononce aujourd’hui sur nous et réalise en nous une parole de paix qui change notre identité, notre espérance, notre vie ici-bas et pour toujours.
La question qui se pose, n’est pas celle de la distance entre ce passé et notre aujourd’hui, c’est : que faisons-nous entre d’une part l’ici-bas, l’ici et maintenant, et d’autre part ce “pour toujours”, ces « derniers temps » où toute chose sera révélée et où nous entrerons en possession de « l’héritage qui nous est réservé » ? Que faisons-nous entre la terre présente et le ciel à venir, entre la misère de ce monde et le Royaume de Dieu ? Pour le dire encore autrement, qu’avons-nous à vivre entre l’aujourd’hui de la foi et la promesse de la vue… ? Car telle est bien notre condition de chrétiens dans le monde : nous « croyons sans avoir vu », et cela nous complique singulièrement les choses ! Pourtant, c’est de nous que Jésus a dit à Thomas que nous sommes « heureux », c’est donc nous qui accomplissons la promesse de tout le psautier qui commence par ce même mot « heureux », tout comme nous accomplissons les bien-nommées Béatitudes. Or celles-ci déjà renvoyaient à une tension vitale entre ce que nous voyons et ce que nous ne voyons pas encore, entre la misère et le Royaume, entre le combat toujours-déjà perdu et la victoire pourtant toujours-déjà acquise…
Le premier mouvement est donc bien celui de la foi : croire ce que nous ne voyons pas encore, faire confiance à une parole, qui est celle de la résurrection de Jésus, qui est sa bénédiction de paix sur nous ; une parole qui nous a fait naître de nouveau. Ce premier mouvement – qui en fait n’est pas nôtre, car il est opéré par Dieu, par son Esprit – ce premier mouvement est indispensable. Vu de notre côté, c’est celui du baptême, c’est celui par lequel nous pouvons nous tourner vers Dieu et lui dire « *Abba – Père ! » (Rom. 8 / 15). Ce n’est pas notre foi qui nous fait renaître, certes. Mais la foi est la reconnaissance de ce qui a été fait en nous et pour nous par la résurrection de Jésus-Christ : oui, nous reconnaissons être désormais enfants du Père de Jésus, nés comme enfants de Dieu à une nouvelle vie qui ne sera apparente que « dans les derniers temps », à une date qu’il ne nous est pas donné de connaître. Le « tressaillement d’allégresse » dont parle l’apôtre Pierre est comme le cri du nouveau-né, qui respire l’air du nouveau monde dans lequel il émerge.
Mais aussitôt mentionnée cette « allégresse », l’apôtre rajoute : « quoique vous soyez maintenant, pour un peu de temps – puisqu’il le faut – affligés par diverses épreuves… » Est-ce le retour du réel ? Dans le sens où ce réel s’oppose au spirituel, oui. Mais pas dans le sens où s’y manifesterait la vérité de nos vies. Car la vérité de nos vies est en Jésus-Christ ressuscité. N’oubliez pas, n’oubliez jamais ce premier mouvement qui ne fut pas le vôtre, mais au bénéfice duquel vous êtes pour toujours, y compris dans ces « diverses épreuves ». N’oubliez jamais que votre vérité, la vérité de votre être, c’est d’avoir été engendrés par Dieu. Sinon, que voudrait dire l’oraison dominicale, le « Notre Père » ? Dieu n’est pas le père des galaxies, des bactéries ni des mollusques, quoiqu’il soit leur créateur ! Il est le père de ceux et celles qui ont été « régénérés, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, pour une espérance vivante ». Dieu est « notre Père » parce qu’il nous a changés, parce qu’il nous a fait renaître à une vie nouvelle qui est la sienne.
C’est seulement lorsque nous sommes adossés à cette identité nouvelle, offerte, appuyés sur la certitude de la résurrection de Jésus-Christ, que les « diverses épreuves » qu’évoque l’auteur de l’épître peuvent être affrontées par nous. Serait-ce que les autres ne les connaîtraient pas ? Non, bien sûr : c’est l’histoire de la maison bâtie sur le sable ou sur le roc, les tempêtes viennent de toute façon ! (Matth. 7 / 24-27) Mais nous sommes, nous chrétiens, dans une position originale, différente des autres gens. La situation est pour nous plus difficile : les défaites que nous voyons et vivons s’opposent à la victoire qu’atteste notre foi, nous sommes pris dans la contradiction, comme je le disais tout à l’heure. Et en même temps, oui, en même temps, la situation est pour nous plus facile : nous savons que la défaite n’est que transitoire, quand bien même elle produirait la mort de nos corps ; nous savons que cette défaite n’est pas la vraie réalité de ce que nous sommes. Nous sommes donc mieux armés pour faire face, pour lutter dans les combats quotidiens, ceux contre le diable comme ceux qui sont inhérents au monde dans lequel nous sommes placés.
Mais si nous y avons été placés – et nous l’avons été, par Dieu, dans un but précis, quoi que disent l’histoire, la génétique, la psychologie et la sociologie, même réunies ! – si nous avons été mis là, donc, c’est bien pour un témoignage, c’est bien pour une attitude particulière : la foi, au cœur-même du monde. Dans ce monde, nous ne sommes les témoins ou les promoteurs ni du progrès, ni de la morale, ni de l’écologie, nous ne sommes ni conservateurs, ni révolutionnaires, ni réactionnaires – quels que soient nos penchants naturels ou assumés – mais nous sommes témoins d’une résurrection qui change la vie, d’une parole de paix qui donne vraiment la paix, non pas demain dans le bonheur éternel, mais aujourd’hui dans les détresses et les défaites. Celles-ci, du coup, ne nous apparaissent plus comme un risque de mort, de destruction, mais comme un risque – oui, c’en est aussi un, même bénéfique – un risque de purification, comme on purifie au feu un minerai de sa gangue d’impuretés, un risque de justification, comme on justifie une pièce présentant des défauts pour que ceux-ci disparaissent…
Pourquoi Pierre a-t-il besoin d’écrire tout ceci ? Pour l’édification de ses lecteurs évidemment. C’est-à-dire parce que ses lecteurs ont besoin d’entendre ceci. Et s’ils en ont besoin, c’est qu’ils ne le font pas d’eux-mêmes. Car « chassez le naturel, il revient au galop », dit le proverbe. Laissés à nous-mêmes, face aux « épreuves » nous réagissons comme tout un chacun : nous plongeons, nous sombrons, ou bien nous les assumons de manière tout humaine, avec nos propres forces, nos propres ressources. Or l’apôtre Pierre nous montre que nous ne sommes pas là pour ça. Quelqu’un fait-il face avec les moyens que lui donne sa psychologie, sa richesse, sa forme physique, ou quelque autre ressource, on dira de lui qu’il s’en est bien sorti, qu’il soit chrétien ou bouddhiste ou humaniste ou tout ce que vous voulez. C’est à lui qu’on rendra témoignage. Un autre sera-t-il doté de trop peu de ressources de quelque ordre qu’elles soient, on dira qu’il n’a pas eu de chance, ou qu’il s’est mal débrouillé, ou bien qu’il est maudit, etc. Là encore, quelles que soient ses convictions, car les convictions ne sont qu’un mélange de croyances et de psychologie. Le témoignage rendu sera cette fois contre lui.
Mais pour un chrétien, tel que Pierre l’y exhorte, c’est avec la foi que nous pouvons faire face aux « diverses épreuves » qui nous « affligent ». De même, c’est avec la foi que nous pouvons faire face aux détresses collectives de notre monde. La foi, dans ce sens, n’est pas une conviction. C’est juste notre manière de dire ce qui nous dépasse et nous englobe : la résurrection victorieuse de Jésus-Christ. Ainsi, je ne m’en sors pas parce que je suis fort – d’ailleurs je ne le suis pas, mais quand bien même le serais-je ! – mais je m’en sors parce que Dieu m’en sort : c’est lui qui agit, c’est sa victoire à lui. Et d’ailleurs, s’il est une détresse dont je ne me sors pas, alors je puis au moins témoigner que Dieu sait ce qu’il fait même si pour moi c’est incompréhensible, voire humainement inacceptable – mais si je suis en Christ, je puis accepter quand même. Quelle que soit l’issue, je ne dois, je ne suis là que pour manifester que ma vie elle-même, et que la vie du monde, sont dans la main de Dieu, et que c’est bien. Et quand bien même je déploierai toutes mes ressources, toute mon énergie, ce ne doit être que pour manifester là encore non pas ma gloire à moi, mais la gloire de Dieu seul, de celui qui me dit : « Ma grâce te suffit » (2 Cor. 12 / 9). Qu’on dise alors : « il fait confiance à son Dieu », cette parole sera le signe que je n’ai fait que ce pour quoi j’étais là, dans la force ou dans la faiblesse.
D’autres fois que la nôtre pensent que le but de la vie humaine est de s’extraire du monde, ou bien, à l’opposé, de le transformer. La foi chrétienne est plus humble : son but est de témoigner de la confiance qu’elle met en celui qui donne sens à toute vie. Le chrétien ne cherche pas à s’extraire du monde, mais à y vivre comme témoin du Royaume de Dieu. Le chrétien ne cherche pas non plus à changer le monde, mais à y aimer les gens, à témoigner ainsi auprès des petits comme des grands que Dieu les aime au point d’avoir donné sa vie pour eux en son Fils Jésus. Il importe que non seulement nous, nous apprenions à vivre en Christ afin que les épreuves ne nous engloutissent pas, mais aussi que nous apprenions ainsi aux autres que leur bonheur et leur victoire sont en Christ, en Christ seul, et que toutes les religions et idéologies sont des mensonges. Par notre parole et notre amour, par notre foi, par la manière dont nous pouvons panser les plaies sans croire pour autant être capables de donner la vie, bref par notre témoignage de chrétiens et d’Église dans ce monde qui passe, nous avons à rendre manifestes dès maintenant la victoire du Christ sur la mort et l’ouverture du Ciel à tout être humain qui regarde lui aussi au Christ.
Vivre ainsi, c’est vivre déjà « le salut de nos âmes », car celui-ci consiste dans « notre foi ». Croire, c’est être sauvé. Parce que croire, c’est voir avec les yeux de l’Esprit saint, c’est remplacer « épreuve » par « confiance » dans tout ce qui nous arrive parce que nous nous tenons dans la présence de Jésus ressuscité. C’est à cette confiance active, au cœur des épreuves, que les autres pourront voir, peut-être, ce que nous-mêmes ne voyons pas encore. C’est parce que nous aurons entendu Dieu nous dire « ne craignez pas » (Matth. 10 / 28 ; 1 Pi. 3 / 14), « la paix soit avec vous », et que nous en aurons fait quelque chose dans nos vies, que d’autres pourront recevoir à travers nous le même « ne craignez pas », la même paix, pour en vivre dès ici-bas. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 28 avril 2019