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Première épître aux Corinthiens 2 / 1-10
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texte : Première épître aux Corinthiens 2 / 1-10
premières lectures : Exode 33 / 18-23 ; Évangile selon Jean 2 / 1-11
chants : 22-08 et 46-03
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Que suis-je en train de faire ? Je veux dire : moi, maintenant, dans ce temple, depuis cette chaire ? Quelle autorité ai-je pour être ici ? Ceux qui savent comment ça se passe pourraient répondre : j’ai fait 5 ans d’études de théologie, j’ai été agréé par la commission des ministères de notre Église, j’ai été pasteur dans plusieurs Églises locales jusqu’à ce qu’enfin les conseils presbytéraux (il y en avait encore deux) et le conseil régional me nomment ici. Ces réponses sont institutionnelles : cette chaire est mienne par délégation des autorités locales, régionales et nationales de notre Église. J’y suis donc « autorisé ». Et cette autorisation n’est pas seulement administrative ou académique, mais aussi spirituelle : comme on disait autrefois, j’ai été reconnu « apte et digne » d’exercer ce service. Et puis, concrètement, il y a votre fraternité, votre gentillesse, qui me supporte, dans les deux sens de ce verbe !
Certains d’entre vous, sans doute pas tous, vont par ailleurs dire que je prêche bien, ou pas trop mal. Et voilà où le bât blesse ! Serait-ce donc « avec une supériorité de langage ou de sagesse que je suis allé vous annoncer le témoignage de Dieu » ? Voilà justement ce que l’apôtre Paul réfute quant à lui-même, et à travers quoi il rejette la prétention d’autres prédicateurs, tels qu’Apollos par exemple… Certes je ne prétends pas avoir la classe ni la connaissance philosophique d’Apollos ! Mais pourtant je tâche de construire mes prédications dans un langage présentable, en dégageant des cohérences, à partir aussi de ma connaissance biblique, dans un discours où il m’arrive de mêler des éléments culturels ou historiques tout en essayant de ne pas faire un discours trop partisan politiquement. Bref, un discours raisonnable. C’est peut-être pour ça que vous me supportez, donc. Mais c’est peut-être pour ça aussi que personne d’autre ne vient… ?
Que dit Paul là-dessus ? Que l’Évangile n’est ni raisonnable ni rationnel, que la philosophie, la science, l’histoire, etc., ne sont pour rien dans cet Évangile. Bref, qu’un discours raisonnable n’est pas, ne peut pas être, une prédication évangélique. N’est-ce pas aussi pour ça que nous échouons à témoigner de Jésus-Christ, de notre Dieu, à ceux qui vivent auprès de nous et qui ne sont pas croyants ? Notre discours ne les convainc pas. Paul nous confirme que nos discours ne peuvent pas convaincre de l’Évangile. La raison en est simple, elle concerne le cœur de cet Évangile. C’est que nous voulons témoigner, moi à vous et vous aux gens, d’un homme qui était certes admirable par bien des côtés, mais qui est mort cloué sur un poteau il y a 2 000 ans. Et cela ne passe pas. Et comme cela ne passe pas, nous enrobons cette annonce folle et irrationnelle avec des arguments bibliques, avec de l’histoire, avec de la morale – souvent beaucoup de morale, personnelle, familiale ou sociale, selon les époques – etc. Bref et pour le dire comme Paul, avec de la « sagesse des humains ». Mais si c’est pour dire la même chose que tout le monde, ou même seulement que certains autres, si l’Évangile n’est pas le centre de notre témoignage, alors nous ne servons à rien, nous ne témoignons de rien, sinon de l’emprise des valeurs du monde sur nous-mêmes et notre religion.
La difficulté est là : nous avons à témoigner de quelque chose dont il n’est pas possible de témoigner, surtout lorsqu’on essaye d’être fort et sage, quelles que soient les manifestations de notre force et de notre sagesse. Et – ne craignez rien – je ne vais jamais a contrario me présenter devant vous en vous disant qu’aujourd’hui je ne sais pas quoi dire, que ma science a été prise en défaut, et qu’en guise de prédication nous allons rester en silence pendant 20 minutes… Peut-être devrais-je le faire une fois ? Non, je n’y arriverais pas ! Non pas à rester en silence 20 minutes, ça je devrais pouvoir ! Mais à oser vous le proposer… Et à ma connaissance Paul non plus ne l’a pas fait ! Ce n’est donc pas ça qu’il demande. Témoigner seulement de Jésus crucifié suppose, dans le fond et dans la forme, de rendre compte de lui. Comment bien parler de celui qui fut la faiblesse-même, sans être soi-même faible ?! Il est plus facile, il a été plus facile dans le passé, de parler du Christ pantocrator, du vainqueur de la mort, du tout-puissant Seigneur et sauveur, que du crucifié fût-il ressuscité… Il est plus facile d’être convainquant en parlant d’un puissant, en donnant comme modèle et comme dieu quelqu’un qui a réussi !
Paul rappelait aux chrétiens de Corinthe qu’il était devant eux « dans un état de faiblesse ». Rappelez-vous un autre texte, celui des Actes des Apôtres racontant la prédication de Paul devant l’Aréopage d’Athènes, une prédication bien construite comme un discours sage, audible, caressant les auditeurs dans le sens du poil… C’est le passage de la sagesse humaine à l’Évangile qui a fait capoter sa prédication (Actes 17 / 22-32). Dans le souvenir qu’il rappelle aux Corinthiens par contre, c’est bien non pas sa sagesse, mais sa faiblesse, qui leur porta l’Évangile. Que signifie donc cette faiblesse, en quoi a-t-elle consisté ? Il a laissé Dieu parler, en « une démonstration d’Esprit et de puissance », dit-il. Dit autrement : il a laissé la place à Dieu, il n’a pas pris, il n’a pas usurpé, cette place. Le prédicateur évangélique est celui qui s’efface, non pas celui qui cache Dieu par sa propre puissance, sa propre sagesse. Mais qu’est-ce que c’est – à nouveau – que de laisser la place à Dieu, que de s’effacer devant lui ?
Ça suppose d’abord de le faire dans sa propre vie. Car un témoin crédible – même si on trouve que son témoignage défie la raison – un témoin crédible est un témoin qui vit ce dont il témoigne. Et comment dire qu’il faut laisser la place à Dieu, et comment le faire en chaire, quand on ne le fait pas le reste du temps ? Je confesse ici mon péché, sans rien savoir de celui de Paul en la matière : j’ai de la peine à laisser la place à Dieu dans ma vie de tous les jours. Comment ?! Un pasteur ? Eh bien oui, comme vous… Un pasteur n’est rien d’autre qu’un paroissien qui a, un jour, laissé Dieu le mener sur un chemin imprévu – parfois sans s’en rendre compte. Mais c’est difficile d’en rester là, le naturel revient au galop, et « je » reprends ma place, je ne la laisse que rarement à Dieu.
La « démonstration d’Esprit » est donc de laisser la place à Dieu, à son Esprit saint, son souffle, son inspiration, pour chaque moment de sa propre vie, et pour chaque occasion de témoignage. Car alors, c’est cette manière de vivre en laissant « Christ vivre en moi » (Gal. 2 / 20) qui crée les occasions de témoignage ! Comment se fait-il que tu vives comme ça ? Comment se fait-il que tu sois comme ça ? Qu’est-ce qui te motive ? Qui donc te pousse à ça ? Voilà ce que les gens peuvent alors oser demander. Et la réponse n’est pas un discours théologique, c’est seulement le témoignage de ce que ce Dieu fait ou a fait dans ma vie. Évidemment, si je parle de ce que j’ai fait dans ma vie, ça peut être indécent, ça peut être de l’exhibitionnisme, ce que la mode actuelle flatte au-delà de toute mesure. Mais si je parle de Dieu dans ma vie, tout en gardant quelque pudeur, voilà le témoignage. « La démonstration d’Esprit », le voile levé sur l’action de l’Esprit, est alors bien une « démonstration de puissance », mais de la puissance de Dieu, pas de la mienne.
Tout ceci n’empêche pas de prêcher, en chaire ici à des chrétiens, ou d’autre manière dehors aux gens qui sont là, famille, collègues, voisins, dès lors qu’on ne les agresse pas avec notre propre vie, mais qu’on suscite en eux des questions sur ce qui nous fait vivre : alors on peut témoigner du Christ ! Le témoignage de l’Évangile ne peut passer, ici ou dehors, que par la faiblesse du témoin, qu’en laissant la place à Dieu. N’est-ce pas ce qu’a fait le Christ : laisser en lui toute la place à Dieu ? Certes je ne suis pas le Christ, mais c’est bien là ce à quoi il m’appelle, ce à quoi il vous appelle, chacun dans sa propre mission, là où il est. Laisser s’exprimer le bonheur, la joie profonde, qu’il y a à se savoir aimé de Dieu au point qu’en Christ il m’a donné, il nous a donné sa propre vie ! Laisser paraître non pas l’orgueil de mes convictions protestantes, mais la liberté qu’il y a à être enfant de Dieu plutôt qu’à décider soi-même de sa vie et de sa mort. C’est une sagesse inverse de celle du monde !
Car c’est bien une sagesse, celle des « parfaits », comme le dit Paul, c’est-à-dire non pas des gens exceptionnels, ce que nous ne sommes pas, mais des gens qui ont laissé la place à Dieu, qui ont atteint cette liberté-là, et à qui donc il ne manque rien : si « l’Éternel est mon berger, je ne manque de rien… » (Ps. 23 / 1) Or ceux qui ont laissé en eux la place à Dieu, dans leur vie et pas seulement dans leur intelligence, ont expérimenté en eux la mort et la résurrection de Jésus-Christ, ce beau projet que Dieu avait depuis toujours afin que nous revenions à lui non par nos vains efforts, mais par la puissance qui s’est manifestée dans cette mort victorieuse de la mort. Comment la mort de quelqu’un peut-elle être une victoire ? Je ne parle pas de la martyrologie des militants de toutes les idéologies ! Mais j’expérimente sans cesse, quand je laisse faire le Saint-Esprit, j’expérimente que cette mort est non seulement une victoire pour Christ, mais qu’elle est ma victoire sur ma mort à moi, grâce à lui. Et c’est vrai non seulement pour le dernier jour de mon existence ici-bas, que je n’ai naturellement pas expérimenté mais pour lequel je n’ai aucune crainte, mais c’est vrai aussi pour toutes les morts qu’il me faut subir et consentir au fur et à mesure de mon existence depuis toujours, et qui sont différentes pour les uns et pour les autres.
Tout ceci « n’est pas monté au cœur de l’être humain », comme le disait Ésaïe que cite Paul. Aucune raison, aucune philosophie, aucune puissance ni aucune misère, ne peut inventer un tel Évangile. Nous ne le savons, nous ne le comprenons, que par le témoignage que l’Esprit de Dieu nous rend à nous, pourtant simples mortels : « qu’est-ce qu’un être humain ? – tu l’as fait de peu inférieur à Dieu… », comme le chantait David (Ps. 8 / 5-6). Si nous acceptons la faiblesse de dépendre de ce que Dieu fait pour nous, alors, ce qu’il fait, c’est de nous élever à lui. Voilà comment la mort de Jésus est sa victoire, bien que ses ennemis n’aient pas été vaincus : il y a retrouvé sa place en Dieu, lui pleinement homme pourtant, « afin que là où je suis vous y soyez aussi », disait-il (Jean 14 / 3). Accepter pour notre vie cette faiblesse humaine et donc cette victoire divine, c’est aussi laisser l’Esprit qui nous la communique la parler à d’autres par nos propres mots, nos propres expériences, nos propres gestes. Alors seulement c’est au Christ que nous rendons témoignage, et non pas à nous-mêmes.
Vous prêcherai-je une bonne théologie ? Quel intérêt ? Sachez seulement ceci, vous qui êtes faibles : Christ s’est fait semblable à vous, et certes il en est mort, mais avec lui vous êtes ressuscités, vous avez en vous la puissance de Dieu, qui est une puissance d’amour et de pardon, ce que les gens considèrent comme une faiblesse, bien sûr. Car aimer, c’est abdiquer son autonomie et son intérêt propre au profit de quelqu’un d’autre. Dieu l’a fait pour moi, pour vous. Apprenons de lui à le faire les uns pour les autres, et pour d’autres – car l’amour ne supporte pas les frontières. Soyons faibles, soyons sagement fous, acceptons que notre identité nous vienne d’ailleurs que de nous : c’est une identité filiale, et ça, c’est bien ! Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 16 janvier 2022