Zacharie 9 / 9-10

 

texte :  Zacharie 9 / 9-10

autres lectures :  Épître aux Romains 13 / 8-12 ; Évangile selon Matthieu 21 / 1-11

chants :  31-09 et 31-24

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« Béni soit celui qui vient ! » Oui, c’est ce qu’annonçait le prophète : « Voici ton Roi, il vient à toi… » Et pourtant nous ne sommes pas « transportés d’allégresse », alors que le prophète nous y invite. Bien sûr, la Jérusalem historique ne l’a pas acclamé, à part le cortège éphémère des Rameaux : « Jérusalem qui tues les prophètes », comme l’appellera Jésus (Matth. 23 / 37) … Mais la prophétie est pour nous, chrétiens, qui sommes par vocation images ici-bas de la Jérusalem céleste ! Pourquoi donc ne sommes-nous pas « transportés d’allégresse » aujourd’hui… mis à part le confinement et la pandémie de virus ?!

 

Une première raison : Jésus est venu, mais c’était il y a deux millénaires… La joie s’est un peu émoussée depuis ! Et nous aurions bien besoin de lui maintenant… Dommage… – Mais dommage aussi : ce n’est pas là une vision chrétienne ! Cela revient à considérer que Jésus n’était qu’un prophète. C’est d’ailleurs ce que disent les foules dans le cortège des Rameaux, tout comme les Juifs, les Musulmans et les agnostiques : « C’est Jésus, le prophète, de Nazareth en Galilée. » Petit prophète étranger, agitateur éliminé par les autorités. Fin de l’histoire. Est-ce vraiment cela que vous croyez ? Moi pas ! Certes Jésus fut un prophète, annonçant la parole de Dieu. Mais il fut plus que cela, et les foules qui criaient ce jour-là ne lui ont pas pardonné d’être autre chose qu’un prophète ou un contestataire, et l’ont lâché quelques jours plus tard, comme vous le savez. Et ce qu’il fut de plus et d’autre qu’un prophète adulé puis rejeté, il l’est toujours ! Nous allons fêter Noël – je ne sais pas dans quelles conditions, ceux qui se pensent grands dans ce monde nous le diront en temps et en heure… Mais si c’est seulement un anniversaire : « il est né, le divin enfant », il y a 2 020 ans, alors ça n’a aucun intérêt, il faut bien le dire. Nos traditions populaires n‘en sont pas à ça près, me direz-vous, mais ce n’est pas anodin. Dans l’Église, nous ne fêtons pas l’anniversaire de quelqu’un qui est mort il y a tant de siècles, mais de quelqu’un qui est vivant aujourd’hui.

 

Alors, une autre raison de ne pas être joyeux de l’annonce prophétique ? Nous regardons le monde autour de nous, voire en nous, et nous ne voyons en aucune manière le règne de ce roi-là. Le monde va mal, mais ça, ce n’est pas original, c’est de tout temps. Nous l’avions oublié parce que nous avons vécu dans la paix et l’abondance pendant quelques dizaines d’années en fermant les yeux sur le reste du monde. Nous avions même oublié l’épidémie de grippe espagnole qui, à la sortie de la Grande Guerre, a pourtant fait bien plus de morts que la guerre elle-même… Nous redécouvrons aujourd’hui qu’il y a des pauvres, et de plus en plus, dans notre pays lui-même. Nous redécouvrons que notre richesse repose sur la destruction de l’écosystème global du monde que nous habitons. Nous redécouvrons que nous ne sommes pas immortels, et qu’il pourrait y avoir dans l’existence d’autres priorités que la santé physique des individus ; mais cela veut dire aussi que nous redécouvrons que la mort est là, au cœur de nos existences. Bref, notre univers ne nous porte pas à l’optimisme. Et comme les Israélites face à leurs ennemis qui se gaussaient de leur foi en leur demandant : « Où est ton Dieu ? » (Ps. 42 / 4. 11), nous laissons résonner en nous cette question lancinante, sans savoir quoi répondre…

 

C’est que nous rêvons, nous persistons à rêver de Zeus, Baal, Jupiter ou Thor, donnez-lui le nom qui vous plaira, mais ne l’appelez pas « l’Éternel » ! Nous rêvons d’une divinité puissante et interventionniste, pur produit fantasmatique de notre propre désir de puissance – qui est bien compréhensible quand nous en manquons, mais le fantasme ne résout rien. En même temps, nous sommes par rapport à ce dieu qui n’existe pas comme nous sommes devant le gouvernement : nous le voulons à la fois interventionniste, et qu’il nous laisse vivre comme nous voulons… ! Le « en même temps » qui nous fait rigoler ou hurler quand nous l’entendons est en fait dans nos têtes et dans nos cœurs à nous. Ce n’est pas une raison pour l’encourager ou le flatter. Il faut choisir. Comme le disait Pierre Mendès-France, président du Conseil des ministres avant que je sois né, « gouverner, c’est choisir ». C’est vrai pour nous aussi, dans notre vie personnelle et sociale, et dans notre vie religieuse. De quel dieu sommes-nous et voulons-nous être les serviteurs, les disciples, les enfants ? D’un fantasme de puissance, ou bien du Dieu vivant ?

 

C’est seulement lorsque nous répondons évangéliquement à cette question que nous avons des raisons de nous réjouir et d’exulter ! Si nous répondons selon le monde, en choisissant Jupiter alors que nous n’en voyons nulle trace nulle part, alors il ne nous reste que nos yeux pour pleurer, et la tombe comme seule perspective ! Mais si nous sommes ici, c’est que nous avons choisi Jésus-Christ comme Dieu et Seigneur, c’est que nous nous savons les enfants aimés du Père. Or ce Dieu-ci n’est pas au ciel, malgré le cri incohérent de la foule : « Hosanna dans les lieux très hauts ! » Si nous crions « Hosanna ! » – « sauve donc ! » – ce n’est pas au ciel, « in excelsis » ! C’est bel et bien ici-bas, et les gens le savaient bien quand même, en acclamant celui qu’ils appelaient par ailleurs « Fils de David » ! Car c’est un Roi. Mais pas un roi à la manière des humains. « Il n’en sera pas de même parmi vous, disait-il. Mais quiconque veut être grand parmi vous, sera votre serviteur et quiconque veut être le premier parmi vous sera votre esclave. C’est ainsi que le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Matth. 20 / 26-28) L’expression qui passe souvent inaperçue dans ces versets, c’est « parmi vous », trois fois dans la même phrase. Jésus est le Dieu qui vient parmi nous ; Il est « Emmanuel – Dieu avec nous » (Matth. 1 / 23).

 

Qu’est-ce que ça change ? Ça change que ce Dieu si original, qui ne correspond en rien à nos attentes, est le seul à pouvoir changer notre vie en positif, en bien. Il ne possède pas de baguette magique ni nous non plus. Il ne se sert pas des armes du monde : les livres prophétiques de la Bible ont à la fois admiré et fustigé « les chars et la cavalerie » d’Israël, armée de métier d’un royaume qui ne croyait pas en son propre Dieu, et qui avait élaboré les moyens efficaces de se défendre sans lui… Un peu comme nous lorsque nous ne croyons pas en la grâce de Dieu, et que nous essayons de gagner notre salut par des bonnes œuvres, de la générosité, de la solidarité – toutes choses effectivement bonnes, mais qui ne servent à rien pour le salut ! Luther disait que, lorsque nous voulons faire de telles choses pour Dieu, alors nous portons atteinte à son salut gratuit, nous le rendons vain. On ne peut pas croire en même temps à « Dieu et Mammon » (Luc 16 / 13) : « Mammon » veut dire « richesse », c’est aussi la richesse que nous prétendons gagner aux yeux de Dieu, nos œuvres soi-disant méritoires… Encore une fois, il faut choisir !

 

Car Dieu, lui, en Jésus-Christ, a choisi. Il a choisi l’âne, et même précisément « un ânon, le petit d’une ânesse », qui est le contraire des chevaux et des chars. Il a choisi le contraire de nos armes de puissance individuelles ou collectives. Car comment peut-on « parler de paix aux nations » avec des armes dans les mains ? Oh, je sais bien que ce que je dis, transposé politiquement ou socialement, mènerait à l’échec. « Tendre l’autre joue » (Matth. 5 / 39) mène encore plus directement à la défaite que de se battre… « L’ânon » des Rameaux a fait entrer le Roi dans Jérusalem, non pas vers le palais, mais vers sa Passion et sa Croix. Noël ne dit pas autre chose : lorsque la Parole de Dieu a revêtu l’humanité, ce n’était pas en descendant du ciel sur un nuage, mais en naissant dans un foyer humain, dans un milieu pauvre, à l’écart de tous les signes de puissance que le monde reconnaît. Pas de palais, pas de journalistes, pas de puissants, pas de religieux de son peuple. Et il en est toujours ainsi. L’incarnation du Fils de Dieu n’était pas un accident, ni sa mort ignominieuse. « Il fallait » (Marc 8 / 31) qu’il en soit ainsi, car sinon, Jésus n’aurait été qu’un prophète, il serait devenu puissant au moins au milieu de ses disciples, il serait mort dans son lit « rassasié de jours » … Ç’aurait été super ! Ça n’aurait servi à rien…

 

Et nous, que choisir ? Toute l’ambiance actuelle est à se protéger soi-même (accessoirement à protéger les autres, ça ne peut pas faire de mal). Tout le discours et la mentalité qu’on nous serine à longueur de journée, y compris pour justifier des décisions parfois ridicules, consiste à nous refermer sur nous-mêmes, sur notre bien-être individuel, sur l’illusion de pouvoir éviter la mort. Mais pour quelle vie ? Une vie sans les autres ?! Les anciens, bouclés en EHPAD, en hôpital ou chez eux, le savent bien, et meurent seuls non pas à cause du virus mais parce qu’ils sont privés des autres. Nous voulons des armes efficaces pour nous protéger, du masque au vaccin en passant par le télétravail, du confinement au subventionnement de toute la vie sociale, alors que les souffrances des autres passent, dans le meilleur des cas, au second plan. Quand nous serons tous à la fois assistés et solitaires, nous serons bien avancés ! Nous ferons de jolis morts, riches et sains… Cette société qui sent mauvais la science-fiction s’approche de nous à grands pas, et se passe très bien de la famille, des relations sociales, comme de la religion. Société de puissance, société déshumanisée, société de mort.

 

Ne vaut-il pas mieux la faiblesse, l’humilité, la paix ? Ne vaut-il pas mieux se mettre au service des autres au lieu de se priver d’eux ? Ne vaut-il pas mieux être « transportés d’allégresse », comme Louis Segond a traduit le « réjouissez-vous beaucoup » du prophète ? Ce changement de regard, ce changement de comportement, bref : cette conversion, voilà ce qui suscite la joie que le prophète annonçait et attendait. Et sans cette joie, comment peut-on témoigner du Christ, comment peut-on prétendre servir ce Roi, être ses messagers, diriger les gens vers lui ? Il m’est arrivé de rencontrer des chrétiens, aussi bien évangéliques que libéraux, dont la tristesse et le rigorisme donnaient envie de partir en courant. Il m’est arrivé de rencontrer des chrétiens dont le premier souci était tourné vers eux-mêmes et leurs proches, plutôt que vers les autres. Il m’est arrivé de rencontrer des chrétiens pour qui l’amour et la fraternité étaient des gros mots, préférant une relation exclusive avec Dieu : mais quel dieu ? Il m’est arrivé, je le confesse, d’avoir envie moi aussi de puissance, de ne pas avoir envie de rire à cause de ce que j’étais, de ce qui m’arrivait ou du spectacle du monde…

 

Mais l’Évangile nous parle de joie et la met dans nos cœurs afin que nous puissions dire à chacun, avec nos mots et nos gestes à nous, que le Roi vient, lui le Vivant, celui qui était mort et qui est ressuscité. Si nous n’éprouvons pas cette « allégresse », quelles « clameurs » lancerons-nous ? Et comment éprouver cette allégresse sans simplicité de cœur, sans l’humilité de préférer le petit âne au prestigieux cheval, sans faire confiance à celui qui a donné sa vie pour nous, lui faire confiance pour notre existence présente autant que future ? La joie véritable ne vient pas des événements qui nous arrivent ou nous entourent, mais de l’amour que nous recevons et donnons. Ne nous en privons pas, n’en privons pas les autres ni le monde. Nous sommes aimés de Dieu, aujourd’hui-même. Réjouissons-nous en lui ! Il vient. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  29 novembre 2020

 

 

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