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Psaume 50
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texte : Psaume 50 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Jérémie, 8 / 4-7 ; Évangile selon Matthieu, 25 / 31-46
chants : 319 et 630 (Alléluia)
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« Il nous faudra tous comparaître en pleine lumière devant le tribunal du Christ. » C’est ce que l’apôtre Paul écrivait aux chrétiens de Corinthe (2 Cor. 5 / 10). Les textes bibliques de ce dimanche, l’avant-dernier de l’année liturgique, ont été choisis en fonction de cet Évangile. Je dis bien “Évangile” car, tout comme tout est louange dans le psautier biblique, de même tout est Évangile, bonne nouvelle du salut, dans notre Bible. L’annonce du jugement est donc elle aussi une bonne nouvelle, contrairement à ce que la plupart des gens pensent le plus souvent, hormis ceux qui règlent la question en disant qu’il n’y a pas de jugement, voire pas de Juge…
Mais pour bien entendre cette annonce comme bonne, il y faut une certaine attitude, qui est l’humilité. En effet, pour recevoir un enseignement, il faut accepter l’idée qu’on a besoin d’être enseigné, et se mettre en situation de l’être ! C’est l’attitude inverse que le prophète Jérémie reprochait à ses compatriotes. Contrairement à ce qu’ils faisaient, eux, il faut se poser la question « Qu’ai-je fait ? » et reconnaître ainsi au moins implicitement que tout n’était pas forcément bon ni au top dans ce que j’ai fait… Et Jérémie de conclure, vous l’avez entendu : « Mon peuple ne connaît pas le droit de l’Éternel. » Dans la célèbre parabole de Jésus sur le Jugement dernier, « les nations » semblent également ne pas le connaître, ce droit en fonction duquel elles seront jugées. Et, le jour du procès, c’est trop tard !
Mais dans le Psaume 50, le dernier des textes que je vous ai lus, ce ne sont plus « les nations », mais au contraire « mes fidèles », dit Dieu – c’est donc non pas du voisin, mais de vous et moi qu’il s’agit. Ou plutôt de l’ancien Israël – « mes fidèles qui concluent une alliance avec moi par le sacrifice » – c’est en tout cas ce qu’à première lecture nous pouvons conclure. Si la parabole de Jésus est clairement une bonne nouvelle pour les païens – il y a possibilité de salut pour eux aussi ! – dans le psaume c’est le contexte inverse : à ceux qui se croyaient sauvés de toute façon, il y a annonce de jugement ! Or ceux-ci, les croyants, sont caractérisés dans ce psaume par le fait qu’ils offrent des sacrifices. Mais d’entrée de jeu, Dieu élimine la possibilité d’une certaine critique : ce n’est pas parce que les sacrifices seraient mal faits ou insuffisants qu’il y a procès…
Cela nous renvoie non pas aux sacrifices sanglants que nous offririons, puisque nous ne le faisons pas, mais plus généralement à ce que nous faisons pour Dieu, pour Jésus, ou à cause de notre foi. L’apôtre Paul utilise d’ailleurs lui-même ce mot de sacrifice pour parler de ce que nous faisons de conforme à la volonté de Dieu : « Je vous exhorte, frères, par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu. » (Rom. 12 / 1) Ce n’est donc pas, je le répète, la qualité ou la quantité de ce « sacrifice », avec tous les guillemets que vous voulez, qui est en cause. Celui que nous nommons « le jeune homme riche », dans les évangiles, en est témoin : il a fait tout ce qu’il fallait, et pourtant il sait très bien qu’il lui manque encore… eh bien, le principal ! (Luc 18 / 18-21) Dieu le dit clairement dans le psaume : tout est à lui, il n’y a rien que nous puissions lui apporter qui puisse ajouter à ce qui est sien. Penser qu’il nous devrait quelque chose à la hauteur de ce que nous faisons pour lui est tout simplement stupide.
Mais comme nous ne sommes pas à l’abri d’une telle pensée saugrenue, autant entendre déjà cette affirmation opposée à notre autoglorification : Dieu ne nous doit rien, car tout est à lui. Et c’est une bonne nouvelle : que pourrions-nous donc offrir qui lui convienne ?! Dieu nous dit donc que la question n’est pas là. Elle n’est pas là pour lui, elle n’est pas là pour nous. Certes, nous chrétiens, nous travaillons pour lui. Mais nous y sommes « serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire. » (Luc 17 / 10) Et pour certains d’entre nous il s’agit de beaucoup, et pour d’autres il s’agit de beaucoup moins. Mais c’est le Maître qui sait ce qu’il peut demander à chacun. À nous d’entendre et de recevoir ses ordres, et de lui obéir.
Mais une fois cette question écartée comme hors sujet, il reste deux éléments dans ce procès. Une recommandation, et une accusation, et la recommandation encadre l’accusation, laissant ainsi entendre que c’est elle le principal, ce qui est à nouveau une bonne nouvelle. Mais commençons par ce qui semble bien être, maintenant, la mauvaise : l’accusation elle-même, l’objet-même du procès de Dieu contre son peuple. « Et Dieu dit au méchant : “Quoi donc ! tu énumères mes prescriptions, Et tu as mon alliance à la bouche, Toi qui détestes l’instruction, Et qui jettes mes paroles derrière toi !” » L’accusation que Dieu nous fait, c’est d’être des hypocrites, des menteurs. Nous connaissons la parole de Dieu, mais nous ne l’aimons pas, et nous faisons donc le contraire, notamment à l’égard de nos frères et sœurs, c’est-à-dire à l’égard les uns des autres. Avec des mots différents, c’est le même reproche que Jérémie nous renvoyait.
C’est que nous sommes chrétiens, nous connaissons les commandements, nous connaissons l’exigence de Dieu, son amour pour nous et pour ceux que nous aimons, et son amour pour ceux que nous n’aimons pas. Et pourtant nous agissons toujours et seulement en fonction de nos propres intérêts, comme si nous ne pouvions compter que sur nous-mêmes et que nous devions nous défendre des autres. En fait, nous agissons comme si Dieu n’était pas là, n’existait pas, comme si nous n’avions pas d’occasions de lui dire merci. Ainsi font « les nations » et c’est bien normal : elles ne connaissent pas Dieu ! Mais de la part de ceux que Dieu appelle « mes fidèles », voilà qui est plus étonnant. Je vous l’ai dit, ce n’est pas ce que nous faisons pour lui qui nous est reproché, mais c’est donc de ne pas compter sur lui, de ne pas lui faire confiance.
Vous le savez, au cœur des Dix commandements, il y a celui sur le shabbat. La plupart des autres commandements sont négatifs : « tu ne feras pas… » Celui sur le shabbat est positif : « observe le shabbat », mais c’est parce que le shabbat tout entier, c’est de ne pas faire : « tu ne feras aucun ouvrage » (Ex. 20 / 10). Ne pas faire pour moi, ne pas faire contre les autres. Vivre totalement dans la confiance que Dieu fait pour moi ; confiance aussi que Dieu me venge lui-même des autres lorsqu’il y a lieu qu’il le fasse. Ne pas me prendre pour lui, à croire que ma vie et celle du monde dépendent de moi, de ce que je fais ou pas. Non, ma vie et celle du monde ne dépendent que de Dieu. Il me le rappelle aussi dans ce psaume : « Invoque-moi au jour de la détresse ; Je te délivrerai, et tu me glorifieras. »
Mais comme le psaume, restons encore un peu dans le reproche qui nous est fait, afin d’en tirer notre profit et de tâcher de ne plus encourir un tel reproche. « Toi qui détestes l’instruction, Et qui jettes mes paroles derrière toi ! Si tu vois un voleur, tu te plais avec lui, Et ta part est avec les adultères. Tu livres ta bouche au mal, Et ta langue tisse la tromperie. Tu t’assieds et tu parles contre ton frère, Tu diffames le fils de ta mère. » Serait-ce maintenant de la morale ? Certes. Mais l’accusation n’est pas d’être immoral, mais de prétendre être obéissant alors que nous désobéissons sans cesse, et en particulier dans le rapport aux autres. Là où « les nations » étaient jugées sur ce rapport aux autres, elles qui ne connaissent pas Dieu, à combien plus forte raison nous-mêmes, qui connaissons Dieu et qui savons son point de vue sur la question ! Nous savons son point de vue, et pourtant nous continuons à regarder notre vie et les autres et le monde à partir d’un autre point de vue. Nous nous refusons donc sciemment à regarder avec son regard à lui, puisque nous le connaissons et que nous faisons le contraire…
Plus encore : il nous arrive de reprocher aux autres les mêmes comportements contraires à la volonté de Dieu, que nous-mêmes nous avons pourtant. Ailleurs, l’apôtre Paul fait le même reproche : « Tu es donc inexcusable, qui que tu sois, toi qui juges, car en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque toi qui juges, tu agis comme eux. » (Rom. 2 / 1) C’est le rappel que Dieu seul est juge, de mes frères et sœurs comme de moi-même. Les commandements de Dieu ne sont pas opposables par moi à qui que ce soit d’autre, mais ils me le sont à moi-même, c’est même leur fonction : m’accuser. Et pourquoi donc ? Afin que je me tourne – oui, que je me tourne enfin ! – vers celui qui, de juge, s’est fait avocat par amour pour moi. Mon salut, ma vie-même, sont dans cette position juste de moi, pauvre pécheur, devant le Père des miséricordes. C’est ce positionnement-ci qui s’appelle la foi.
Et cette foi peut alors se transformer en reconnaissance. Pécheur, oui, mais, à cause de Jésus, pardonné, et reconnaissant à cause de ce pardon. Ce n’est pas un fonctionnement pervers, circulaire, mais c’est une réalité vraie, une relation donnée, établie une fois pour toutes, et sans cesse réactualisée notamment dans la participation à la cène. S’il y a un « sacrifice de reconnaissance », c’est que c’est Dieu qui offre le sacrifice et que c’est nous qui sommes portés à la reconnaissance. En grec, pour dire merci, on dit « eucharistie ». Celle-ci n’est pas le sacrifice, mais c’est la reconnaissance. Elle ne sacrifie rien ni personne, mais elle offre en retour le merci au pardon, le sourire au sourire, le baiser au baiser, l’amour filial et fraternel à l’amour paternel de Dieu. Nos œuvres ne témoignent que de nous-mêmes, tandis que notre reconnaissance témoigne du Dieu qui nous a fait du bien.
Voici pourquoi, au bout du compte, notre jugement est Évangile : parce qu’il est nécessaire à notre conversion afin que celle-ci débouche sur la reconnaissance. Le jugement qu’on dit « dernier » est déjà là, il a été prononcé et réalisé sur la croix de Jésus-Christ : c’est tout à la fois ma condamnation et mon salut, c’est la mise à mort de ce qui en moi s’oppose à Dieu en prétextant le servir, et c’est la libération de ce qui en moi appartient au Père en tant que je suis son enfant. Puissions-nous cesser de nous prendre au sérieux en tant que serviteur offrant notre service à Dieu, pour enfin prendre au sérieux le fait que nous sommes ses enfants et que son amour n’appelle que notre amour et notre reconnaissance. Si toutes les familles marchaient ainsi les uns à l’égard des autres, si tous les couples marchaient ainsi l’un envers l’autre, le monde en serait sans doute changé. Si nous-mêmes marchons ainsi avec Dieu, le monde saura peut-être un peu quelque chose de ce à côté de quoi il passe la plupart du temps… Et quant à nous, nous serons heureux, avec certitude. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 13 novembre 2016