Psaume 46

texte :

Au chef de chœur. Aux fils de Coré.

Sur une voix de soprane. Chant.

 

Dieu est pour nous un abri et un appui,

un secours bien présent dans la détresse.

C’est pourquoi nous n’avons pas peur quand la terre bouge,

quand les montagnes vacillent au cœur des mers,

quand leurs eaux grondent, écument

et font trembler les montagnes en se soulevant.

 

Il est un fleuve dont les canaux réjouissent la cité de Dieu,

le sanctuaire des demeures du Très-Haut.

Dieu est en son sein – elle ne vacille pas ;

Dieu la secourt à l’approche du matin.

Des nations grondent, des royaumes vacillent ;

il fait entendre sa voix – la terre s’effondre.

L’Éternel des armées est avec nous,

le Dieu de Jacob est pour nous une citadelle.

 

Venez, regardez les œuvres de l’Éternel,

la dévastation qu’il a semée sur la terre !

Il fait cesser les guerres jusqu’aux extrémités de la terre ;

il brise l’arc, il rompt la lance, il met le feu aux chars.

Arrêtez, et sachez que je suis Dieu !

Je domine sur les nations, je domine sur la terre.

L’Éternel des armées est avec nous,

le Dieu de Jacob est pour nous une citadelle.

 

 

premières lectures :  Deutéronome 6 / 4-9 ; Épître aux Romains 3 / 19-28

chants :  37-01 et 68

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prédication :

 

Pour cette fête de la Réformation, la lecture l’un après l’autre des deux premiers textes bibliques proposés fait choc. Le premier texte dit la Loi de Dieu, cette Loi dont le second texte affirme qu’elle produit la connaissance du péché, mais aucunement la justification du pécheur ! Ce choc est bien là l’essence de la Réforme protestante, et à un double titre. D’une part cela oppose la Bible et Jésus-Christ : la Bible seule a autorité, et non un quelconque magistère ou une quelconque hiérarchie, dans la mesure où à travers cette Écriture le Saint-Esprit nous met en communion, par la foi, avec la mort et la résurrection de Jésus-Christ, qui est, lui, en personne, la vraie Parole de Dieu, la seule vérité. D’autre part cela oppose la Loi et la grâce, qui sont les deux paroles divines complémentaires (prises dans cet ordre-ci, évidemment) : la parole de la Loi qui dit la condamnation que nous mériterions, et celle de l’Évangile qui dit le pardon que nous avons obtenu sans considération de nos mérites et de nos fautes lorsque nous faisons confiance à cette parole.

 

C’est donc bien ainsi qu’il faut entendre le Psaume 46 qui est proposé à notre méditation ce matin. La détresse qui est la nôtre est d’abord celle causée par notre péché. Ou plutôt non : sans la Parole de Dieu, nous serions très contents de vivre comme des pécheurs, nous n’en aurions aucune conscience. C’est bien ce que Jésus reproche aux Pharisiens, par exemple : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché. Mais maintenant vous dites : “Nous voyons” ; aussi votre péché demeure. » (Jean 9 / 41) Ou encore quand il compare un Pharisien et un péager, et que le Pharisien « priait ainsi en lui-même : “Ô Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou même comme ce péager : je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus.” » (Luc 18 / 11-12)

 

Mais nous nous garderons de critiquer les Pharisiens de cette époque, sinon qu’ils nous sont donnés en miroir. Nous qui, la plupart du temps, sommes d’honnêtes citoyens généralement dévoués, nous n’avons pas conscience par nous-mêmes d’être des pécheurs, de désobéir aux commandements de Dieu. Il suffirait pourtant de les relire : qui donc parmi nous aime Dieu par-dessus toute chose, et son prochain comme lui-même ? Dieu ne nous demande pas d’être bons, mais d’être saints – ce qui bien sûr implique la bonté ! Mais qui, surtout, signifie : lui appartenir. Or nous, la plupart du temps, nous pensons que c’est Dieu qui nous appartient, que c’est à lui de répondre favorablement à nos demandes. En fait nous pensons et agissons en païens, nous donnant à nous-mêmes notre propre loi, notre propre morale, notre propre religion, et faisant ce que nous pensons devoir faire pour que Dieu nous soit favorable. C’est bien sûr le contraire de l’Évangile, c’est bien sûr le contraire de la foi protestante.

 

Mais lorsque nous nous mettons à l’écoute de ce que Dieu a à nous dire, lorsque nous nous mettons à lire les pages de la Bible dont il se sert pour nous parler, alors la réalité du péché nous apparaît, et nous devenons bien malheureux – à moins que nous ne rejetions cette parole, refermant et jetant aux oubliettes ce livre si dangereux pour notre bon moral ! Mais si vous êtes ici, c’est que vous ne faites pas ça, n’est-ce pas ?! Alors écoutons cette parole et reconnaissons-nous pécheurs, tels les Ninivites avertis par Jonas, dont le roi « se couvrit d’un sac et s’assit sur la cendre » (Jonas 3 / 6), ou tel David après le meurtre d’Urie le mari de sa maîtresse (Ps. 51 / 3-7). Faut-il s’étonner des images utilisées par le psalmiste ? « La terre bouge, les montagnes vacillent au cœur des mers, leurs eaux grondent, écument et font trembler les montagnes en se soulevant. » Tel est notre état lorsque nous prenons vraiment conscience de ce que nous sommes devant Dieu à cause de notre nature et de nos œuvres : tout notre être en est remué, bouleversé. Comme Simon Pierre dans sa barque de pêche devant Jésus reconnu comme Dieu : « Seigneur, éloigne-toi de moi parce que je suis un homme pécheur. » (Luc 5 / 8)

 

Or Jésus ne s’éloigne pas, bien au contraire : il est venu pour ça ! Et c’est ce que chante le psaume : « Dieu est pour nous un abri et un appui, un secours bien présent dans la détresse. » Comprenez que ceci n’a rien d’évident. Lorsque je réalise ce que je vaux, l’évidence consiste en ma condamnation par Dieu, pas en son aide ! Le détour par ma culpabilité est un détour obligé, sous peine de me méprendre sur Dieu. D’ailleurs, dans notre pays, ceux qui se méprenaient ainsi sur Dieu, l’appelant à leur secours comme s’ils y avaient droit par naissance, ont fini par ne plus croire en lui, ou alors, à l’opposé, par croire en une caricature de lui tel qu’en d’autres religions on l’adore et pour lui on tue. Mais le vrai Dieu ne se laisse pas trouver dans l’autojustification ni dans les sacrifices. Il se laisse rencontrer, justement, « dans la détresse », comme chante le psaume, cette détresse qui n’est pas produite par l’extérieur, mais bien par l’intérieur de moi-même. Ce qui est bien plus grave : contre une agression extérieure je puis me défendre, mais lorsque je suis moi-même mon propre agresseur, l’auteur de ma détresse, que puis-je y faire ?

 

« Mais je sais que mon rédempteur est vivant, Et qu’il se lèvera le dernier sur la terre, Après que ma peau aura été détruite ; Moi-même en personne, je contemplerai Dieu. C’est lui que moi je contemplerai, Que mes yeux verront, et non quelqu’un d’autre… » (Job 19 / 25-27a) Ces paroles de Job, que j’aime particulièrement, décrivent bien ce que le psaume chante sur un mode bien plus léger : cette certitude que, tout au fond du fond, le Seigneur me rachète de ce qui m’a détruit, qu’il me libère à la fois de mon péché et de ma culpabilité, à la fois du diable et du fait que je l’écoute complaisamment… Car lorsque je décide de ne plus l’écouter, il ne susurre plus, il hurle, telles les grandes eaux, telles les nations du monde, pour m’engloutir. Or, dit le psaume, c’est lui, sa voix, son monde, qui sont engloutis par la bonne Parole de Dieu qui habite au milieu de nous, dans « la cité de Dieu ».

 

Il me faut alors découvrir que, parlant de cette « cité », il ne parle pas de la Jérusalem historique, ni même de la Jérusalem céleste, mais de moi : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? – écrivait Paul – Si quelqu’un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira ; car le temple de Dieu est saint, et c’est ce que vous êtes. » (1 Cor. 3 / 16-17) Ce que mon obéissance ne m’avait pas gagné, ce que mes efforts de piété ou de morale ne m’avaient pas gagné, ne manifestant que mon orgueil, l’intervention souveraine de Dieu me l’a acquis : par son Esprit, il est venu habiter en moi à cause de Jésus-Christ. Et ce fleuve spirituel bienfaisant, secourable, aimable, a remplacé en moi les eaux tumultueuses des mers du péché et de la mort. Et voici l’action concrète de Dieu en moi : « Dieu est en son sein – il ne vacille pas ; Dieu le secourt à l’approche du matin. » Car après la nuit du péché et de la culpabilité vient le matin de la justice et de la paix : « la terre s’effondre », la terre qui me faisait prisonnier de moi-même.

 

Ce que nous montre le psaume, c’est une guerre. Plus que ça : Dieu fait la guerre à la guerre ! Et il le fait pour nous ! Cette strophe est prise entre les deux refrains du psaume : « L’Éternel des armées est avec nous, le Dieu de Jacob est pour nous une citadelle. » Ou, comme nous l’avons chanté : « C’est un rempart que notre Dieu… » Autant dire que cette guerre – dont nous sommes la cause, mais au bénéfice de laquelle nous sommes – cette guerre se fait sans nous : c’est Dieu qui lutte pour nous, comme il le décrira avec d’autres images à Job à la fin de son livre, ou autrement encore à Jean dans son Apocalypse. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? », se demandera Paul (Rom. 8 / 31). La voix de Dieu retentit : « Arrêtez, et sachez que je suis Dieu ! » Que le diable l’entende ! Que tout ce qui me fait du mal l’entende ! Et que moi-même je l’entende et me taise, faisant taire en moi tout autre voix que la sienne ! Que je laisse la place à Dieu, et alors le diable n’en aura plus, le diable ne sera plus, et la justice du Christ remplacera en moi mon propre péché.

 

Il aurait été plus facile, plus agréable, d’entendre ce psaume comme s’appliquant au monde où nous vivons. Nous prions d’habitude pour la paix, et ce psaume nous annoncerait cette paix… Aucune remise en cause personnelle alors : le méchant, c’est toujours l’autre ! Vous pouvez bien entendre ainsi ce psaume. Dieu fera la paix sur la terre. Dieu fera la paix dans l’Église. Dieu fera la paix autour de moi et de ceux que j’aime. Mais comment ne m’y opposerais-je pas, tant que je ne suis pas moi-même pacifié ?! Voilà pourquoi il faut lire ce psaume comme parlant de moi, de chacun de nous, nous parlant à chacun de nous. Si Dieu « fait cesser les guerres jusqu’aux extrémités de la terre », c’est qu’il aura d’abord fait cesser la guerre en moi, la guerre contre moi et contre les autres que je mène sans cesse sans voir qu’elle est aussi une guerre contre Dieu. C’est bien pourquoi Dieu fait cesser la guerre en moi. « C’est pourquoi nous n’avons pas peur », confessons-nous en tremblant !!! Car oui, la paix de Dieu vient nous déranger, elle change notre regard, nos pensées, nos volontés, nos actes, elle nous change, et cela, nous le craignons…

 

Mais non, alignons-nous sur le psaume, faisons-le nôtre, il est là pour ça. Abandonnons toute peur de Dieu et de son Esprit, il vient pour nous sauver, pour que son salut efficace et offert une fois pour toutes prenne enfin corps en nous, en chacun de nous. « Nous comptons que l’être humain est justifié par la foi, sans les œuvres de la Loi. » « Venez, regardez les œuvres de l’Éternel ! » Laissez-moi vous rappeler, pour finir, un autre psaume, qu’il nous arrive de chanter en hébreu : « Voici qu’il est bon, qu’il est agréable Pour des frères d’habiter unis ensemble ! C’est comme l’huile la meilleure Qui, sur la tête, Descend sur la barbe, sur la barbe d’Aaron, Qui descend sur le bord de ses vêtements. C’est comme la rosée de l’Hermon, Qui descend sur les montagnes de Sion ; Car c’est là que l’Éternel donne la bénédiction, La vie, pour l’éternité. » (Ps. 133) Laissons-nous donc inonder par ce fleuve, cette onction qui nous purifie, nous fait prêtres et nous fait frères et sœurs les uns des autres. Laissons faire Dieu, et tout sera bien fait en nous et dans nos vies. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  30 octobre 2022

 

 

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