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Psaume 24
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texte :
Pour David. Psaume.
À l’Éternel la terre et ce qui la remplit,
Le monde et ceux qui l’habitent !
Car c’est lui qui l’a fondée sur les mers
Et affermie sur les fleuves.
Qui montera à la montagne de l’Éternel ?
Qui s’élèvera jusqu’à son lieu saint ?
Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur ;
Celui qui ne livre pas son âme aux choses vaines,
Et qui ne jure pas pour tromper.
Il obtiendra la bénédiction de l’Éternel,
La justice du Dieu de son salut.
Telle est la génération de ceux qui le recherchent,
De ceux qui cherchent ta face, de Jacob ! (Pause)
Portes, élevez vos linteaux ;
Élevez-vous, portails éternels !
Que le roi de gloire fasse son entrée !
Qui est ce roi de gloire ?
L’Éternel le fort et le héros,
L’Éternel, le héros de la guerre.
Portes, élevez vos linteaux ;
Élevez-les, portails éternels !
Que le roi de gloire fasse son entrée !
Qui donc est ce roi de gloire ?
L’Éternel des armées :
C’est lui, le roi de gloire ! (Pause)
autres lectures : Épître aux Romains 13 / 8-12 ; Évangile selon Matthieu 21 / 1-11
chants : 24 et 31-09
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prédication :
Chers amis, c’est dans l’ambiguïté que nous nageons en cette période liturgique. Bon, pas que là, d’accord… Mais restons un petit peu dans la liturgie, exercice auquel nous autres, Réformés, sommes peu habitués, malgré quelques petits efforts de ma part. La fin novembre nous faisait réfléchir et contempler le Jugement dernier et, pour les Luthériens, le Christ Roi. Et aujourd’hui encore, pour ouvrir le temps de l’Avent, de quelle advenue est-il question ? Celle du « Roi glorieux », c’est-à-dire du Seigneur lui-même. Tout dans nos célébrations de l’Avent et de Noël connote cette image royale, puissante. Tout ? Pas tout à fait… La venue de ce Seigneur comme un petit enfant ferait désordre dans cette théologie si nous n’y étions pas autant habitués. Tout comme le fait de l’avoir couché dans une mangeoire, à défaut d’un autre lieu plus convenable… Mais ça, c’est pour dans trois semaines !
L’ambiguïté est pourtant déjà présente. Zacharie, le prophète, repris par l’évangéliste Matthieu, évoque cette entrée du Roi à Jérusalem, cette approche du Temple saint par celui qui en est le maître légitime, mais une approche non pas avec des chevaux, animaux de guerre, ni avec des chars couronnant un cortège militaire, mais avec « un ânon, le petit d’une ânesse », le modeste animal des petites gens, leur « bête de somme » que rien ni personne ne peut remplacer, au point que le premier-né de l’ânesse ne peut pas être sacrifié à Dieu, mais son rôle doit y être tenu par un agneau (Ex. 34 / 20). Ambiguïté jusque là : l’âne est pérenne, plus que les agneaux plus faibles et les chevaux plus forts… C’est donc sur un ânon que Jésus entrera à Jérusalem – ou plutôt il y entrera sur une citation de l’Écriture ! Son cortège royal et les acclamations qui donnent voix à ce cortège garderont cette ambiguïté, jusqu’au procès et à la croix…
Le psaume 24 développe une autre ambiguïté : de qui parle-t-il ? Au début, il donne gloire à Dieu, et il se demande qui sera digne de s‘approcher de lui. La question se pose en effet. Si Dieu est le Roi et le Juge dont nous avons l’image en tête, une image inspirée par tous les paganismes de l’Antiquité jusqu’à notre époque, alors il est bien clair que personne ne peut s’approcher de lui pour autre chose que pour entendre prononcer sa propre condamnation ! Or Dieu est bel et bien confessé, par notre psaume et par toute la Bible, comme Roi et Juge. Les textes d’aujourd’hui, et ceux du Nouveau Testament, nous permettent non pas de remplacer, mais de modifier, de modérer cette image par son contrepoint que nous célébrons à Noël et à Pâques et tous les jours de notre vie de foi. Le psaume nous dévoile les qualités de celui qui pourrait s’approcher de Dieu : « mains innocentes, cœur pur », etc. Pour ma part, je ne corresponds en rien à cette définition, je le reconnais humblement. Mais le fait qu’elle soit là, dans le psaume, indique bien que c’est possible… pour quelqu’un d’autre que moi. D’autant que la première partie du psaume ouvre cette possibilité à « ceux qui cherchent la face » de l’Éternel. Malgré mon péché, ne suis-je pas de ceux-ci ? Et vous aussi, sans doute ! Alors ?
Dans la seconde partie du psaume, voici que s’avance celui dont il était question – un seul, en fait, et non pas de nombreux : « le Roi de gloire » ! Aucune entrée existante, aucune porte du Temple, n’est assez grande ni assez haute pour sa majesté. Il rentre de la guerre, il l’a gagnée, il est « le héros de la guerre ». Les acclamations du peuple sont alors bien légitimes, même si les gens ne peuvent que le regarder entrer, sans pouvoir le suivre. Sa victoire lui a gagné le droit d’entrer. Mais qui est-il pour que ce droit ne soit pas une récompense, mais le reflet de sa dignité elle-même ? Pas de doute : il s’agit de Dieu lui-même ! Mais alors… Dieu est-il le seul qui soit digne de s’approcher de… lui-même ?! Ça n’a pas de sens… Serait-ce un autre Dieu ? Mais il n’y a qu’un seul Dieu ! Aurions-nous alors affaire à une mise en scène pour les auditeurs, les lecteurs, du psaume ? L’auteur n’aurait-il pas voulu non pas mettre en scène deux dieux, mais deux images concurrentes de Dieu, toutes les deux justes, celles dont je vous parlais ? Ainsi le Dieu « classique », si vous voulez, accueillerait-il un Dieu moins classique – ou plutôt, l’image classique de Dieu accueillerait-elle à nos yeux, nos cœurs, nos âmes, une autre image de Dieu qui ne fasse pas de nous ses esclaves, ni même seulement ses adorateurs, mais ses disciples, ses amis, « ceux qui cherchent sa face », justement, et qui ainsi l’auraient trouvée enfin et seraient alors dignes d’entrer à sa suite ?
Mais je vais trop vite ! Étrangement, c’est une appellation obsolète pour désigner Dieu, qui m’a fait me poser ces questions : « l’Éternel des armées ». Quand je dis obsolète, c’est qu’on ne la trouve plus dans les traductions actuelles, à part dans la Nouvelle Bible Segond. On trouve à la place « le Seigneur de l’univers », ou bien « le Seigneur, le tout-puissant », quand on n’a pas la simple transcription de l’hébreu : « Adonaï [ou Yahvé] Sabaot ». J’ai cherché bien sûr où se trouvait ce titre divin. Eh bien : pas dans la Torah ! À aucun moment les livres de Moïse, le Pentateuque, ne mentionnent Dieu sous cette appellation. Ce sont les Prophètes et les Psaumes qui le font. À aucun moment le Nouveau Testament ne le fait non plus, sauf dans une seule citation que Paul fait du prophète Ésaïe (Rom. 9 / 29), mais il laisse le mot « Sabaôth » sans le traduire : peut-être ce mot ne disait-il déjà plus rien à l’époque ?
De quelles armées s’agit-il ? Quand les récits de la création parlent d’ « armée », ce sont les éléments qui peuplent l’univers : « le ciel, la terre et toute leur armée » (Gen. 2 / 1) – le grec avait traduit « et tout leur univers ». Et certes la compréhension usuelle du titre divin découle de ceci : « l’Éternel des armées » serait le Seigneur des étoiles, et donc des anges qui, dans les croyances plus tardives, sont visibles sous la forme des étoiles. Dans les récits de Noël, avec les Mages comme avec les bergers, les étoiles ne sont-elles pas les messagers de Dieu, ses anges donc ? Sans oublier que, pour la foi biblique, aussi bien les étoiles que les anges sont des créatures, pas des dieux ! Mais ensuite, dans les livres historiques, que sont « l’armée » ou « les armées de l’Éternel » ? Il s’agit du peuple croyant, Israël. Mais Dieu n’est pas le Dieu de l’armée d’Israël, il est le Dieu d’Israël – ce n’est pas la même chose ! On parlera même des armées d’Israël non pas au sens militaire, mais là encore au sens des éléments qui constituent ce peuple ou ses tribus, donc les gens, les croyants.
Ainsi l’expression « l’Éternel des armées » désigne Dieu soit comme le Créateur des éléments du cosmos, soit – et ça me semble plus important pour nous – comme le Dieu de son peuple ! L’image évoquée par ce titre est donc celle d’un Dieu plus proche des gens, plus proche de son peuple, de son Église. Il n’est alors pas étonnant que, dans le prophète Ésaïe notamment, et dans les Psaumes souvent, ce titre soit associé non pas à la guerre, mais au salut. « L’Éternel des armées » est celui qui châtie, mais aussi qui sauve son peuple, et pas forcément par les armes ! La seconde partie du psaume ne s’oppose donc pas à la première : Dieu, le Juste Juge, accueille dans son temple, dans sa présence, le Dieu d’Israël, le Sauveur de son peuple, et avec lui son peuple, bien qu’aucun ne soit juste en dehors de lui. Le Nouveau Testament dira la même chose avec d’autres images…
Entendons bien la bonne nouvelle, l’Évangile contenu dans ce psaume, porté par lui jusqu’à nous aujourd’hui. C’est que nous qui n’étions pas dignes de nous approcher de Dieu, qui n’avons ni « les mains innocentes » ni « le cœur pur » et qui « livrons [facilement] notre âme aux choses vaines », aux choses sans valeur que nous recherchons pourtant avec ardeur, telles que la notoriété, l’argent, la santé, la puissance, la satisfaction de nos désirs ; oui, nous qui sommes ainsi, c’est Dieu lui-même qui nous a pourtant fait entrer à sa suite dans « la bénédiction de l’Éternel, la justice du Dieu de [notre] salut ». Nous sommes les « armées » de « l’Éternel des armées ». Sommes-nous alors ses « anges », brillons-nous comme ses étoiles ? On peut poursuivre l’image… Le temps liturgique de l’Avent est celui où nous apprenons à méditer cette étrange nouvelle selon laquelle le Dieu qui nous condamne est celui qui nous sauve et qui nous enfante à la vie nouvelle. Nous apprendrons ensuite comment cela se fait : dans la personne de Jésus le Fils de Dieu, à la fois vraiment Dieu entrant dans le Temple céleste, « Roi de gloire », et vraiment un humain comme nous autres, le premier des humains à entrer dans ce Temple-là, dans la présence de Dieu – « le premier-né d’un grand nombre de frères » et sœurs (Rom. 8 / 29).
Mais cela, nous le savons, me direz-vous ! Pourquoi l’apprendre à nouveau ? Pourquoi célébrer l’Avent ? La réponse est simple : parce que nous en avons besoin ! Parce que nous sommes blasés, la Bonne nouvelle n’en est plus une à force de la ressasser ! Le temps de l’Avent nous interpelle là-dessus : « revêtons les armes de la lumière », comme l’écrivait Paul, Jésus nous fait entrer dans la communion de Dieu, ce n’est pas une nouvelle anodine, ce n’est pas une simple croyance en un Dieu un peu particulier. C’est de notre vie qu’il est question, c’est de notre relation personnelle et communautaire avec Jésus, « l’Éternel des armées » dans le cortège duquel nous avons désormais notre place, et nulle part ailleurs, parce que sans lui, nous sommes morts. Oui, « béni soit celui qui vient », parce que nous entrons avec lui. Ne nous contentons donc pas de regarder passer le cortège, entrons avec lui ! Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 3 décembre 2023