Psaume 23

 

texte :  Psaume 23   (trad. personnelle)

premières lectures :  Ézéchiel, 34 / 1-16 ; première épître de Pierre, 2 / 21b-25 ; 5 / 1-4 ; Évangile selon Jean, 10 / 11-16. 27-30

chants :  23 et 47-07  (Alléluia)

téléchargez le fichier PDF ici

 

prédication :

 

Qui est le vrai berger, et qui sont les faux ? C’est sans doute la question de plusieurs passages lus ce matin… Et les textes bibliques réfutent plusieurs affirmations implicites. On n’est pas un vrai berger parce qu’on est payé pour, puisqu’alors ceux qui sont payés pour et qui risquent leur vie préfèrent souvent sauver leur vie plutôt que de la perdre pour préserver leur emploi – ce qui se conçoit bien, d’ailleurs, dans une logique humaine : à quoi me servirait mon salaire, si j’étais mort ?! On n’est pas non plus un vrai berger parce qu’on en a la compétence et / ou la vocation, pour les mêmes raisons. Rappelez-vous l’histoire : lorsque l’État, en France, a interdit notre religion et ordonné à tous les pasteurs d’abjurer ou de quitter le pays, tous ont obéi, pas un n’a désobéi. On n’est pas non plus un vrai berger parce qu’on est nommé ou né ou élu pour ce faire : ni la bureaucratie ni la monarchie ni la démocratie, aucun système n’est garant de la véracité du pastorat, et pas même l’avis des brebis ne le garantit !

 

Ésaïe, Pierre et Jean, chacun à sa manière, dénoncent donc les faux bergers, ceux qui ont l’étiquette mais pas la réalité, qu’il s’agisse de l’Église ou de la société (car dans l’ancien Israël les deux se confondaient). Votre serviteur comme les autres… C’est bien pour ça que je ne prêche pas ce matin sur le deuxième passage de Saint Pierre, qui était le texte prévu, car je crains, pour ceux d’entre vous qui êtes conseillers presbytéraux, comme pour moi : nous sommes les anciens et les pasteurs du troupeau, aïe, aïe, aïe… ! Je préfère lâchement le psaume 23. Lâchement ? Pas que… C’est aussi qu’il dit des choses plus essentielles, pour vous comme pour moi. Lui ne parle pas des faux pasteurs ni des pasteurs ratés, mais du vrai pasteur, du « bon berger » comme nous traduisons d’habitude dans l’évangile. Et il vaut mieux parler du vrai que des faux, tant par humble pudeur que par confiance en lui qui nous guide. Et c’est bien ce que dit David.

 

David était roi, je ne vous apprends rien ! Selon l’image très courante, il était donc le berger de son peuple : c’est bien une image royale, en tout cas dans tout le Proche-Orient ancien. Il n’est alors pas anodin que ce soit ce « berger », pourtant appelé par Dieu, victorieux dans toutes ses campagnes, reconnu par les dirigeants judéens puis israélites, qui nous disent par-dessus les siècles que ce n’est pas lui le vrai berger, mais que c’est l’Éternel, le Seigneur. C’est Dieu le vrai roi d’Israël, ou, pour le dire aussi de manière chrétienne, c’est Jésus qui est le Chef de l’Église et le Sauveur du monde. Nous sommes protestants, il ne nous viendrait pas à l’idée de dire que c’est le pape, ni un quelconque chef de l’État, ni nos théologiens préférés, fussent-ls nos Réformateurs Martin Luther ou Jean Calvin, ou tels « grands » témoins, Martin Luther King ou Billy Graham ou d’autres, évangélistes ou humanitaires. Parfois pourtant il nous arrive de croire que c’est l’Église elle-même, son institution et ses synodes, ou bien son peuple lui-même.

 

Le psalmiste est fort clair pourtant, tout comme le sera l’évangéliste : le vrai berger, c’est le Seigneur. Aucun autre. C’est Jésus lui-même qui nous dit le pourquoi du comment : « je donne ma vie pour mes brebis ». Le psaume nous dit ce que ça nous fait, à nous qui sommes au bénéfice de ce qu’accomplit le vrai berger. Car il se manifeste comme berger, vrai berger, vraiment berger, par ce qu’il fait pour nous, et c’est ça le critère : pas l’étiquette, mais l’action concrète et ses fruits. Or le psalmiste nous le dit dès le premier verset, en deux fois deux mots hébreux : « l’Éternel = mon berger, je ne manque pas… » Voilà le produit de ce pastorat : « je ne manque pas », ou, comme on traduit d’habitude en meilleur français : « je ne manque de rien ». J’entends pourtant ce que vous n’oserez pas dire : « moi, eh bien si, je manque… » Il faut donc bien comprendre ce que le psalmiste nous annonce. D’une part, que si nous suivons ce berger-ci, nous ne manquerons de rien. Et d’autre part, parce que nous suivons ce berger-ci, malgré les apparences nous ne manquons effectivement de rien.

 

La première compréhension correspond à notre confession du péché : nous ne suivons effectivement pas ce berger tous les jours, il nous arrive souvent de vouloir nous perdre loin de lui, même en tant qu’Église, et alors ça ne se passe pas très bien… La seconde compréhension correspond à l’annonce de sa grâce, pour laquelle c’est la foi qui dit le vrai, et non pas la vue ; c’est la confiance, et non pas la raison ; c’est l’espérance, et non pas la contingence. C’est ce dont le psaume témoigne. Car il n’y a guère de phrases en « je » dans ce psaume, la première personne est bien plus souvent objet des verbes que sujet. Au début il y a donc cette petite phrase : « je ne manque pas ». Au milieu la phrase si célèbre, et que nous avons tant besoin de réentendre, trop souvent : « quand je marche dans la vallée d’ombre-mort je ne crains pas le mal ». Et à la fin du psaume : « je reviendrai dans la maison de l’Éternel pour la durée des jours ». C’est que, d’une phrase à l’autre puis à la suivante, il y a un chemin, et c’est un chemin de vie ordinaire, c’est votre chemin, c’est le mien, c’est celui de tout un chacun, dès lors que nous suivons ce berger.

 

Le départ – pas l’arrivée, le départ ! – c’est le repos, le shabbat le pâturage. Il n’y a pas pour ce psaume à chercher le Seigneur, mais à constater que nous sommes son troupeau, que je suis sa brebis… Et à me repaître et me désaltérer de ce qu’il me donne, en toute tranquillité, car ses pâturages sont verts, ses eaux sont tranquilles, ses sentiers sont droits. Ma marche derrière ce berger est donc bien un état, pas un projet, c’est une image stable, je n’ai qu’à profiter, c’est bien ce que disait la première phrase en « je ». Et tout ceci m’est donné non pas à cause de moi, mais « à cause de son nom », dit le psalmiste. Encore une manière de dire que c’est pour moi, mais pas par moi. Ce n’est pas une récompense : d’ailleurs, le berger mène-t-il des brebis pour les récompenser ? L’image-même du troupeau indique que ça n’aurait pas de sens. Quant au nom, nous savons de quel nom il s’agit : c’est le nom de Jésus, dont Paul écrivait aux Philippiens que Dieu « lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse » (Phil. 2 / 9-10). « À cause de son nom » veut donc dire « à cause de lui-même et pas de toi », bien sûr, mais aussi « à cause de Jésus qui a donné sa vie pour toi ». Le psaume pourrait s’arrêter là, il aurait tout dit.

 

Oui, il aurait tout dit, mais il n’aurait pas répondu à notre question informulée, voire à notre reproche : « oui, mais moi, je manque… » Cette première partie n’est donc, en fait, que la première étape du chemin, le préalable pour affronter la seconde : « la vallée d’ombre-mort », le ravin au fond duquel il me faut avancer alors que je n’en ai pas la force, pas l’énergie, parfois pas même le goût. Ça me fait penser au prophète Élie, fuyant la vengeance de la reine Jézabel après le massacre de ses prophètes païens, et qui n’a plus de force pour marcher dans le désert : « Il s’assit sous un genêt et demanda la mort en disant : “C’en est trop ! Maintenant, Éternel, prends ma vie, car je ne suis pas meilleur que mes pères.” il se coucha et s’endormit sous un genêt. Or voici qu’un ange le toucha et lui dit : “Lève-toi, mange.” Il regarda, et il y avait à son chevet un gâteau sur des pierres chaudes et une cruche d’eau. Il mangea et but, puis se recoucha. L’ange de l’Éternel vint une seconde fois, le toucha et dit : “Lève-toi, mange, car le chemin serait trop long pour toi.” Il se leva, mangea et but ; avec la force de cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne de Dieu, à Horeb. » (1 Rois 19 / 4-8)

 

Combien de moments dans notre existence de chrétiens ne ressemblent-ils pas à cela ? Mais si nous sommes chrétiens, c’est parce que nous connaissons le début du psaume, nous savons que Dieu nous a tout donné sans considérer aucunement nos mérites ni nos défauts. Ça n’empêche pas de crier, mais c’est vers lui que nous crions, comme Job, comme aussi le psaume 22 qui précède immédiatement le nôtre, et que Jésus criera sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi… ? » (Ps. 22 / 2 ; Matth. 27 / 46). Nous prenons souvent cela comme des temps d’épreuve. Mais ce n’est vrai que dans le sens où nous pouvons alors éprouver, ressentir, la présence du Seigneur à nos côtés. Alors peut-être que, dans le pâturage, nous l’avions oublié ? En tout cas, toute la première partie du psaume était déclarative : « il » m’a fait ceci et cela… Mais au moment où je crois éprouver son absence, c’est bien sa présence qui se révèle à moi : « toi avec moi », dit le psaume ! Et après cette traversée de la sombre vallée, Dieu est à nouveau le sujet des verbes, mais cette fois c’est à la deuxième personne : « tu » me fais ceci et cela !

 

Les images ne sont d’ailleurs plus les mêmes. Après la sombre vallée, ce n’est plus le pâturage, mais le berger me mène ailleurs : vers une table de fête, un festin de victoire… sa maison à lui. Le but du voyage, c’est la maison du Seigneur. Le chemin n’est qu’un chemin, le pâturage n’est qu’une étape, la sombre vallée elle-même n’est qu’une autre étape. Le but, c’est la maison, le festin « pour la durée des jours » ou « pour la longueur des jours ». Louis Segond avait traduit : « jusqu’à la fin de mes jours », mais c’est pour une fois une mauvaise traduction : il n’y a ni « la fin » ni « mes ». Parce que justement ces jours-là seront sans fin, c’est comme si mes jours à moi se coulaient dans les jours d’éternité de « la maison du Seigneur ». Alors bien sûr on peut voir dans ce chemin en trois étapes ma vie (avec Dieu), ma mort, et ma résurrection. Mais je vous invite plutôt à y voir votre vie d’ici-bas en trois étapes essentielles : l’étape de la confiance, l’étape de l’abandon qui n’en est pas un, l’étape de la restauration qui est définitive et qui pourtant nous est donnée dès maintenant, dans le « Nom » de Jésus dont le psaume a parlé un peu plus haut.

 

Si nous n’avons pas cette lecture, alors quand survient la seconde étape, nous révoquons en doute ce que nous avions cru dans la première : les pâturages n’étaient pas verts, et il n’y avait pas de berger, juste une illusion, puisque maintenant nous traversons un ravin dont nous ne sortirons pas vivants… Ainsi des gens perdent-ils la foi, pour n’avoir pas su que les tempêtes arriveraient de toute façon, quelles que soient les fondations de la maison (Matth. 7 / 24-27). Or les tempêtes arrivent toujours, car « la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement ; et nous aussi… », comme Paul l’écrira (Rom. 8 / 22-23a). Il nous faut alors profiter des pâturages « tant qu’il fait jour » (Jean 9 / 4) et nous rappeler que cette image n’est que l’ombre de quelque chose d’encore meilleur qui nous attend dès maintenant, au point que je puisse dire que « le bien et la grâce me poursuivent tous les jours de ma vie », eux, pas le péché et sa sanction, pas la mort et le mal ! Oui, ce qui m’attend au bout me court déjà après, et ce n’est que du bon pour moi ! Parce que Dieu m’aime. Parce qu’il est « mon berger : je ne manque de rien », dans le Nom de Jésus. Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  15 avril 2018

 

 

Contact