Première épître de Pierre 5 / 5c-11

 

texte :  Première épître de Pierre, 5 / 5c-11   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Genèse, 2 / 4-15 ;  Évangile selon Matthieu, 6 / 25-34

chants :  47-18 et 37-01  (Alléluia)

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« Dieu résiste aux orgueilleux, Mais il donne sa grâce aux humbles. » Cela pourrait être une maxime de morale universelle, si ce n’était qu’il y est fait mention de Dieu… ce qui change tout ! Ma première remarque sera donc qu’on ne peut pas l’interpréter de manière aussi soft. Ce n’est pas une bonne morale à appliquer pour bien vivre, selon laquelle si vous êtes orgueilleux vous aurez sûrement un jour à le payer à une sorte de justice immanente ; faites donc profil bas, à terme ça vous rapportera plus… Si c’était ça le sens de ce texte, l’auteur n’aurait pas pris la peine de l’écrire, ni nous de le lire, bien sûr. Il suffirait de réfléchir un peu, ou d’aller voir sur Facebook, et on aurait trouvé la même chose parmi les maximes répétées à l’infini ou presque… Pourquoi alors cet éloge de l’humilité ? Eh bien, parce que c’est Dieu qui nous le dit, et que ce n’est pas n’importe quel Dieu : c’est celui qui nous a créés, qui nous a placés là où nous sommes pour une vie meilleure que celle que nous pourrions nous offrir sans lui – mais sans lui y aurait-il de la vie ? – c’est celui qui nous nourrit et nous entretient. Ce n’est pas n’importe quel Dieu, mais celui qui a voulu être notre Père en nous adoptant comme ses enfants à cause de Jésus-Christ.

 

En fait, l’exhortation que l’apôtre Pierre nous renvoie ici nous redit simplement de ne pas nous prendre pour Dieu, de ne pas penser que notre salut et le salut du monde dépendent de nous, de ne pas croire que le monde tourne grâce à nous, et que si nous nous arrêtons le monde aussi arrêtera de tourner ! Le Père nous dit de rester à notre place, celle de ses enfants, et de profiter sagement et intelligemment de ce qu’il a mis autour de nous. C’est aussi ce que nous rappelait le texte de la Genèse : « L’Éternel Dieu prit l’être humain et le plaça dans le jardin d’Éden pour le cultiver et pour le garder. » Il ne nous a mis ni en prison ni à la chaîne. Et là où notre nature et notre bêtise ont concouru à nous mettre à la peine, il continue pourtant à pourvoir à tous nos besoins. Comme Luther l’exprimait dans son commentaire du premier article du Credo dans son Petit catéchisme, croire « en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », c’est croire « que Dieu m’a créé ainsi que toutes les autres créatures. Il m’a donné et me conserve mon corps avec ses membres, mon esprit avec ses facultés. Il me donne chaque jour libéralement la nourriture, le vêtement, la demeure et toutes les choses nécessaires à l’entretien de cette vie. Il me protège dans tous les dangers, me préserve et me délivre de tout mal ; tout cela sans que j’en sois digne, par sa pure bonté et sa miséricorde paternelle. »

 

« S’humilier sous la main de Dieu », ce n’est donc pas une attitude d’esclave, ni de courtisan. Mais c’est une attitude d’enfant. Pas une attitude infantile, mais enfantine. Pas nous rabaisser pour obtenir quelque chose, mais rester à cette place sans chercher à aller au-dessus de ce que nous sommes, parce que nous avons reçu tout le nécessaire – et souvent au-delà du nécessaire. Et comme le dit l’expression – peut-être surannée désormais – qui parle d’enfants « bien élevés », ce que nous donne le Père dans son amour n’a pas pour but de nous rabaisser, mais au contraire de « nous élever en temps voulu », comme l’écrivait l’apôtre Pierre. Le but du Père, c’est que ses enfants grandissent. Évidemment savoir ceci suppose de connaître Dieu comme Père, et non pas comme juge, patron, dictateur, ou je ne sais quelle autre image fallacieuse.

 

Or, qui donc nous donne une image fallacieuse de Dieu ? C’est « votre adversaire, le diable » … Cela veut dire deux choses. D’abord, que le diable est un faux Dieu. Il est lui-même une image fallacieuse de Dieu. Croyez-vous en un Dieu qui, depuis le ciel ou le sommet de l’Olympe, regarde les humains s’agiter sur terre et s’en agace ? Croyez-vous en un Dieu qui commande à ses fidèles d’aller massacrer les infidèles et s’approprier leurs domaines ? Croyez-vous en un Dieu qui envoie maladies, punitions et autres malheurs aux humains parce qu’ils sont mauvais ? Ces dieux-là, ces images-là de Dieu, sont fallacieuses, diaboliques. Le diable n’est pas un Dieu du mal opposé au Dieu du bien : il est le mal cru comme Dieu. Il est la parole de condamnation, ou plutôt : la non-parole d’amour, le Dieu qui nous tourne le dos quand nous avons besoin de lui, qui nous retire ce dont nous avons besoin, qui attend de nous que nous nous grandissions nous-mêmes afin soit de nous passer de lui, soit en fait de l’adorer. Ce Dieu est celui qui se présentait à Jésus après son baptême, pour le tenter justement de le reconnaître comme Dieu à la place du vrai. Ce diable est un non-Dieu, il est le contraire du Dieu de Jésus-Christ. Que d’autres religions l’adorent, c’est leur problème. Le nôtre, c’est que nous aussi, bien souvent, nous nous méprenons et nous adorons ce non-Dieu à la place du vrai !

 

Le diable se rend témoignage à lui-même : ce Dieu fallacieux murmure à nos cœurs une image fallacieuse de Dieu, il se fait sa propre publicité ! Il cherche à nous convaincre que Dieu exige de nous les choses qu’au contraire il nous donne, il cherche à nous convaincre que Dieu veut notre sacrifice alors que c’est lui qui s’est sacrifié pour nous. En fait, c’est le diable qui exige de nous, c’est le diable qui attend que nous nous sacrifiions. En pure perte pour nous, naturellement. Ainsi les humains, depuis toujours, perdent leur temps, leurs forces, leur capacité d’amour, en travaillant pour le diable, croyant le faire pour eux-mêmes. Ils cherchent leur salut dans leurs propres efforts, ils cherchent à « gagner leur vie », comme le dit cette expression parfaitement diabolique. Certains parfois s’étonnent alors que « Dieu ne fasse rien pour eux, avec tout ce qu’ils ont faits pour lui… » Évidemment, ils se sont trompés de Dieu ! Ils se sont trompés de vie !

 

Ne me dites pas que vous ne croyez pas au diable !?… Je viens de vous le dire : le diable, c’est le Dieu que vous imaginez lorsque vous quittez des yeux et du cœur celui de la Bible, le Père de Jésus-Christ. Dès que vous dites « Dieu » en pensant par vous-mêmes et non plus à l’aide de la Bible, alors c’est du diable que vous parlez. Or le diable ne vous veut pas de bien ! « Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer », alors que le vrai Dieu « prend soin de vous. » Ne cherchez donc pas le diable derrière des cornes et une queue fourchue, ni dans une quelconque mythologie, encore moins dans la théologie. Cherchez-le là où il se trouve, en vous-mêmes et dans la logique des humains et de leur monde. Cherchez-le dans vos miroirs, cherchez-le dans vos télévisions et vos connexions, cherchez-le là où vous vous trouvez, là où vous vivez, car c’est là qu’il « rôde ». Cherchez-le dans vos projets et dans vos rêves, dans vos cauchemars et vos échecs, dans vos relations et vos solitudes. Ou plutôt, non, ne le cherchez pas, laissez-le, tirez-lui la langue, envoyez-le balader. Sans vous, il n’est rien, il n’existe pas.

 

« Résistez-lui, fermes en la foi. » Car le contraire de cette religion où le diable fait semblant de mettre l’homme en avant pour mieux le ruiner, c’est la foi, la foi qui laisse Dieu et l’homme à leur place, et qui les relie non pas par les œuvres éphémères et ambiguës des humains, mais par l’amour que Dieu nous porte en Jésus-Christ. « La main » de Dieu est « puissante », car, contrairement à ce que dit la pensée humaniste, il n’agit pas par les nôtres, qui sont faibles, mais par la mort et la résurrection de Jésus-Christ. C’est Dieu qui œuvre pour nous, et il le fait au cœur de nos existences, là-même où le diable, fausse image de Dieu, image orgueilleuse de toute-puissance, prétend occuper la place. « Le Dieu de toute grâce, qui, en Christ, vous a appelés à sa gloire éternelle, après que vous aurez souffert un peu de temps, vous formera lui-même, vous affermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables. À lui la puissance aux siècles des siècles ! » Pas au diable, pas au Dieu qui vampirise vos existences. La vraie puissance du vrai Dieu, la puissance de la résurrection de Jésus-Christ, a besoin de la foi pour donner en nous et pour nous les résultats qu’elle espère. La foi, c’est-à-dire la confiance, la confiance des enfants envers leur Père céleste. Dieu n’attend pas que je sois assez fort, il attend que je reconnaisse que lui est assez fort pour moi !

 

Il s’agit donc bien de se confier en lui, comme nous l’avons chanté tout à l’heure. « Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car il prend soin de vous. » Voilà l’humilité dont il était question, l’humilité des enfants de Dieu. « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos », dit Jésus (Matt. 11 / 28) Ce n’est évidemment pas pour après la mort, mais bien pour aujourd’hui. Le diable instille l’inquiétude dans nos vies, nos faux dieux nous rendent fragiles. C’est maintenant que nous avons besoin, vous et moi, d’être réconfortés, soulagés, consolés, reposés. Nos dieux ni nos mains ne le peuvent. Le Dieu de Jésus-Christ, lui, le fait. Il est vital pour nous de tenir « fermes dans [cette] foi » pour le laisser agir en nous et pour nous. C’est seulement ainsi que nous-mêmes pourrons être de bons témoins, de bons évangélistes. Comment parler du Dieu qui donne la paix quand on n’a pas soi-même reçu cette paix pour en vivre ? Comment prétendre que d’autres peuvent trouver en Christ le repos de leurs âmes, quand les nôtres sont encore tourmentées ?

 

C’est l’œuvre du diable, « résistez-lui », écrit Saint Pierre. N’écoutez que l’amour de Dieu pour vous. Comme l’écrivait Paul aux chrétiens de Macédoine, « réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ; je le répète, réjouissez-vous. Que votre douceur soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne vous inquiétez de rien ; mais, en toutes choses, par la prière et la supplication, avec des actions de grâces, faites connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos cœurs et vos pensées en Jésus-Christ. Au reste, frères, que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui mérite l’approbation, ce qui est vertueux et digne de louange, soit l’objet de vos pensées ; ce que vous avez appris, reçu et entendu, et ce que vous avez vu en moi, pratiquez-le. Et le Dieu de paix sera avec vous. » (Phil. 4 / 4-9)

 

Ce n’est pas d’une pratique des bonnes œuvres, d’un effort humain, qu’il est question, mais bien toujours de la pratique de la foi. Car la confiance permet des choses que la peur et l‘effort ne permettent pas. Là où le diable se tait et disparaît, l’annonce de la bonne nouvelle porte fruit, en nous-mêmes et autour de nous. Là où je ne me préoccupe plus de moi parce que je me sais aimé du Père, alors des œuvres filiales peuvent éclore. Vous le savez bien, de toute façon. Quand vous faites confiance à quelqu’un, des choses impossibles sinon deviennent alors possibles. C’est aussi ce que porte la foi de Jésus-Christ. Cela ne se fait pas sans renoncement, sans souffrance. Comme toute confiance. Il est difficile de lâcher prise quand on se croit ou se sait au-dessus du vide : mais cette vision du vide est produite par la parole du diable, c’est un mirage ! Dieu veut que nous lâchions prise parce que nous sommes dans sa main et que nous ne craignons rien. Il ne nous appelle à rien d’autre. La foi. Faire confiance. Lui faire confiance, à lui. En Christ, il a donné sa vie pour nous. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  4 septembre 2016

 

 

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