Première épître de Pierre 5 / 5b-11

 

texte :  Première épître de Pierre 5 / 5b-11  

premières lectures :  Daniel 6 / 4-24 ; Évangile selon Matthieu 6 / 25-34

chants :  47-03 et 47-14

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« Humiliez-vous ! » Comme cette exhortation sonne désagréablement à nos oreilles ! Les « protestants » portent dans ce surnom leur refus d’obéir à cet ordre, et notamment à ceux qui le leur donnent. Ça leur rappelle comment, du XVIe au XVIIIe siècles dans la France d’alors, on exigeait d’eux qu’ils se prosternassent devant statues mariales et prélats romains en abjurant la « religion prétendue réformée ». La Lorraine n’a guère eu le temps de connaître ces humiliations : elle fut d’entrée de jeu une terre de Contre-Réforme, et le pays de Salm l’y rejoignit bientôt. Mais c’était il y a longtemps. Depuis, « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » (Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, 1989, art. 10), et « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes… » (Loi du 9 décembre 1905, art. 1er). Il n’y a donc plus rien à craindre de ce côté-ci.

 

Bien sûr cela a laissé des traces, de bonnes traces. Comme l’avait reconnu le président Chirac au centenaire de la Fédération protestante en 2005 : « Ayant eu à conquérir chèrement sa propre liberté, le protestantisme s’est toujours montré soucieux de celle d’autrui. » Le refus de l’humiliation, la sienne ou celle des autres, a porté hier le protestant français dans la Résistance, souvent ensuite dans la décolonisation, et jusqu’aujourd’hui dans le souci de la dignité de l’accueil des populations déplacées. Tout ceci non pas par orientation politique – ceux qui le prétendent ne connaissent pas les protestants réels ! – mais par souci que personne ne souffre à cause de ce qu’il est par totalitarisme ou simple autoritarisme, par injustice, par racisme, par peur de l’autre. Le souci des plus petits, tellement souvent mis en avant dans la Bible, trouve un écho depuis toujours dans la foi protestante, dans la responsabilité individuelle de chaque croyant devant son Dieu, son Dieu qui est mort sur une croix d’esclave révolté…

 

Alors comment recevoir ce « humiliez-vous » ? En lisant ce qui est écrit, simplement mais sérieusement ! Il y a une première mise en œuvre de cette exhortation, « dans vos rapports mutuels », écrit l’apôtre Pierre aux chrétiens destinataires de sa lettre. Cela fait écho aussi à ce verset de l’apôtre Paul : « soumettez-vous les uns aux autres dans la crainte de Christ » (Éph. 5 / 21), c’est-à-dire dans la foi. Dans l’Église, entre chrétiens, aucune autre attitude ne convient, car tous nous sommes prêtres, tous nous sommes les mêmes devant Dieu, le Père miséricordieux. Nous y sommes tous à égalité, qui que nous soyons. Le seul frère aîné de la fratrie, c’est Jésus-Christ ! « C’est ainsi que le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Matth. 20 / 28 ; Marc 10 / 45) Lui-même déclarait après avoir lavé les pieds de ses disciples à son dernier repas : « je vous ai donné un exemple, afin que, vous aussi, vous fassiez comme moi je vous ai fait. » (Jean 13 / 15)

 

Cette égalité devant Dieu, cet engagement commun dans le service, sont les raisons pour lesquelles Pierre nous dit : « revêtez-vous tous d’humilité ». Et ce, quel que soit le ministère exercé, la part de responsabilité à l’égard de la communauté, à l’égard de l’Union, etc. : qu’on soit pasteur, conseiller presbytéral, catéchète, paroissien avec ou sans autre responsabilité, membre d’un synode ou d’un conseil à la Région ou au National, qu’on y débute ou qu’on y soit depuis des décennies… L’humilité à l’égard des frères et sœurs ne dépend pas des responsabilités, ni ne les empêche, au contraire ! Elle est d’autant plus requise qu’on risque d’en manquer à cause des responsabilités qu’on exerce devant les autres… Tout comme il convient que les chrétiens qui sont au bénéfice de ces responsabilités soient eux-mêmes humbles d’être servis et ne se méprennent pas sur ceux qui exercent ces services.

 

Car là, la citation que fait Pierre d’une phrase de l’Ancien Testament, des Proverbes de Salomon dans leur traduction grecque, phrase que citera aussi l’apôtre Jacques dans sa lettre (Jac. 4 / 6) : « Dieu résiste aux orgueilleux, mais il donne sa grâce aux humbles » (Prov. 3 / 34), cette citation nous replace chacun devant ce qui est le critère de toute pensée ou action chrétienne. Ne pas « se revêtir d’humilité » les uns à l’égard des autres, c’est, quelque part, se prendre pour plus qu’on est, quasiment se prendre pour Dieu. Or « Dieu est un Dieu jaloux » (p.ex. Deut. 4 / 24), mais c’est pour notre bien : car il n’est pas saint – avec ou sans “t” – il n’est pas sain, même pour nous-mêmes, d’usurper une place qui n’est pas nôtre, et qui, de plus, est inatteignable. Disant cela, les auteurs bibliques dénoncent toute prétention d’un chrétien à peser sur ses frères et sœurs comme n’étant qu’un fantasme idolâtre, une illusion ne pouvant mener qu’à des perversions ou à des chutes…

 

Mais plus que cela, et c’est la seconde mise en œuvre, celle qui devrait logiquement venir en premier : « Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu ». Cette reconnaissance dont je viens de vous parler de ce qu’il est impossible ou stupide de se croire plus que les autres, ou de croire que quelqu’un d’autre est plus que vous, elle suppose et implique un certain positionnement par rapport à Dieu lui-même. Car là, pas de soumission mutuelle : Dieu est Dieu ! Une seule solution pour le croyant : se placer « sous la puissante main de Dieu » … mais sans crainte ! Car la puissance de cette main n’est pas une puissance qui écrase, mais la puissance de sa grâce : « il donne sa grâce aux humbles ». Il s’agit toujours du Dieu de Jésus-Christ, c’est sous sa protection, « sa grâce », que le chrétien se place, c’est au bénéfice de cette grâce, qui consiste en la mort et la résurrection de Jésus-Christ afin qu’en lui nous ayons la vie. C’est bien parce qu’il se soumet au Dieu qui s’est fait serviteur, que le chrétien peut recevoir les fruits de ce service, afin de pouvoir servir à son tour et à son exemple.

 

Alors arrive la troisième mise en œuvre de cette « humiliation » qui nous occupe ce matin et – j’espère – de nombreux jours ensuite : « Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car il prend soin de vous. » Oui, se placer « sous la puissante main de Dieu », se reconnaître devant Dieu et devant les humains le serviteur de ce Seigneur, c’est « se décharger sur lui de tous [nos] soucis ». Ainsi, le « humiliez-vous » de l’apôtre Pierre est un appel paradoxal à la liberté, une liberté fondée dans la confiance, la liberté de celui ou celle sur les épaules de qui ne pèse plus aucun fardeau, en tout cas aucun fardeau trop lourd à porter. Vous connaissez cette invitation de Jésus – puisse-t-elle toujours retentir à vos cœurs : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. » (Matth. 11 / 28) L’extrait du Sermon sur la montagne que nous avons entendu en deuxième lecture allait aussi dans ce sens. Et que dire de la tranquillité de Daniel jeté dans la fosse au lion… ?! Seul son roi, un païen, était inquiet pour lui…

 

Tiens, en parlant de roi… Vous savez que pour nous cette année scolaire sera une année élective : nous renouvellerons notre Conseil presbytéral. Mais vous savez aussi que, le même dimanche, comme citoyens, nous renouvellerons aussi nos conseils municipaux ! Alors, en quoi nos responsables politiques – mais aussi économiques, judiciaires, éducatifs, etc. – en quoi sont-ils concernés par ce que nous recevons ce matin comme parole de Dieu sur nos vies et nos relations à nous, chrétiens, en Église ? Comme ils ont été invités à ce culte de rentrée, autant en parler ! Autant leur en parler, et à ceux qui ne sont pas ici, vous pourrez bien le leur répéter… Car puisqu’ils occupent des positions de responsabilité dans la société, qu’ils proposent des lois ou qu’ils les votent, qu’ils gèrent pays, régions, départements ou communes, l’avertissement de Pierre aux chrétiens pourrait aussi les concerner, au moins en tant que morale s’ils ne sont pas eux-mêmes chrétiens. Mais d’ailleurs nous-mêmes, lorsqu’il nous est donné d’occuper de telles places, dans la société comme d’ailleurs en famille : parents, enseignants, patrons, médecins, etc., nous devons là aussi nous rappeler tout ceci. Ce n’est pas qu’un joli discours pour les dimanches matin et autres rencontres entre paroissiens, c’est fait pour servir tous les jours…

 

Revenons-en aux « supérieurs » de notre monde. Eux aussi – vous aussi – devez prendre garde au diable qui cherche à vous faire la peau en vous susurrant que vous êtes au-dessus des autres, tout comme à d’autres il murmure qu’ils ne sont rien. Le diable est menteur, toujours. Dieu vous appelle à exercer pleinement vos responsabilités dans l’humilité du service, en ayant souci non plus de vous-mêmes – Dieu s’en charge – mais des autres, ceux au bénéfice de qui vous exercez ces responsabilités. Et si vous connaissez Dieu comme votre Seigneur, vous pouvez, comme nous tous, trouver auprès de lui, « sous sa main » ou dans ses bras, ce dont vous avez besoin : il « vous formera lui-même, vous affermira, vous fortifiera, vous rendra inébranlables. » « Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, car il prend soin de vous. » Est-ce à dire que Dieu a des compétences supérieures de ministre, de député, de maire, de patron, d’enseignant, de pasteur, de conseiller presbytéral, etc. ? Bien sûr que non. Ces responsabilités sont les nôtres, et Dieu a donné à ces « créatures merveilleuses » que nous sommes (Ps. 139 / 14) ce qu’il nous faut de raison humaine pour y parvenir. Mais la crainte que nous y éprouvons pervertit tout ou à peu près : peur de ne pas y arriver, peur de n’être pas suivi, peur de perdre le pouvoir qu’engendrent les responsabilités, pour des politiciens peur de ne pas être réélus, pour des parents peur de mal éduquer et de perdre leurs enfants, etc.

 

Le remède qui nous est proposé ici, à nous comme aux responsables de la société civile, c’est de nous « « humilier sous » la protection du Dieu qui a donné sa vie pour nous, et de recevoir de lui la confiance, le sens du service et l’amour qui nous sont nécessaires pour vivre ensemble et assumer chacun notre rôle, dans l’Église, dans la famille, dans la société, ceci dans la soumission mutuelle qui est respect de l’autre et de soi. Alors « Daniel fut retiré de la fosse et on ne trouva sur lui aucune blessure, parce qu’il avait eu foi en son Dieu. » Voilà ce qui devient possible, et qui nous est promis dans la foi. Voilà ce qui est aussi possible aux responsables de notre pays, de nos communes, de notre société, en se confiant en celui qui est plus que nous, plus qu’eux, et dont l’amour est plus fort que tous les discours de mensonge, de complaisance ou d’autoritarisme. C’est devant Dieu que nous sommes responsables et que tous nous rendrons compte. Quant à nous, nous savons que c’est là une bonne nouvelle. Peut-être eux ne le savent-ils pas ? À nous d’en témoigner devant eux : oui, ils peuvent se confier en Dieu qui prendra soin d’eux, qui les libérera de devoir se garder eux-mêmes, qui leur permettra d’accomplir la mission à laquelle – le savent-ils ? – c’est lui qui les a commis. Amen.

 

Saint-Dié (rentrée)  –  David Mitrani  –  29 septembre 2019

 

 

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