Première épître de Pierre 3 / 8-17

 

texte :  Première épître de Pierre, 3 / 8-17   (trad. Louis Segond)

premières lectures :  Genèse, 50 / 15-21 ; épître aux Romains, 14 / 10-13 ; Évangile selon Luc, 6 / 36-42

chants :  534 et 526  (Arc-en-ciel)

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Du péché… et des frères ! Ceux qui étaient au culte dimanche dernier à Raon ont déjà pu entendre que les deux choses étaient liées : elles le sont ! Mais les textes de ce matin posent ce rapport de manière originale… et certes difficile à mettre en pratique… Bien sûr, le texte de l’évangile de Luc est très connu, et très peu mis en œuvre par vous et moi en de trop nombreuses occasions. Oui, nous voyons souvent la paille dans l’œil des autres, et parfois nous nous méprenons même sur sa taille, selon que l’autre en question nous est proche ou adverse : nous la minimisons sur nos amis, nous l’exagérons sur nos adversaires. Mais amis ou ennemis, oui, nous la voyons bien ! Votre serviteur ne chante pas très bien et ne joue pas d’un instrument, mais il entend très bien les canards des autres. C’est pareil : les défauts des autres nous sautent aux yeux ou aux oreilles, et parfois nous semblent même faire pâlir le soleil, sans qu’alors nous nous souciions des conséquences des nôtres…

 

Le texte de l’apôtre Pierre nous indique un autre chemin que notre pente naturelle qui, comme son nom l’indique, nous emmène vers le bas. Ce chemin se déploie en plusieurs étapes, qu’il est bon de suivre dans l’ordre si on veut arriver au bout, si l’on ne veut pas tourner en rond. C’est en effet le risque : la connaissance de notre péché ne nous aide pas forcément à nous en sortir, et la tolérance paternaliste à l’égard de ceux qui sont nos frères et nos sœurs ne semble pas être la solution adaptée ! Oui, j’ai une poutre dans l’œil, lui n’a qu’une paille, je lui pardonne… Mais qui es-tu pour prendre la place de Dieu, que ce soit pour condamner ou bien pour pardonner l’offense qui ne t’a pas été faite à toi ou qui te dépasse ? L’auteur de l’épître nous le confirme implicitement : nous sommes tous pécheurs. En effet, nous sommes tous « animés des mêmes pensées et des mêmes sentiments » qui tournent autour de la défense de notre ego et de nos intérêts. Eh bien, première étape, restons donc sur ce pied d’égalité, mais en changeant ce qui le constitue : non plus les cochonneries qui nous bouchent la vue, mais désormais « l’amour fraternel, la compassion, l’humilité ».

 

Voilà, c’est la première étape : considérons que nous sommes des pairs, tous atteints du même mal, et donc tous susceptibles d’utiliser cette égalité pour en faire autre chose, nous en servir autrement. Incapables de nous juger les uns les autres puisque nous avons tous été enfermés dans le péché, à partir de cette égalité nous sommes par contre capables de nous aimer les uns les autres, ce qui par définition ne suppose aucune différence de niveau entre nous. Il s’agit juste de convertir notre fraternité en quelque chose de positif, c’est bien plus facile que de s’imaginer avoir à construire une fraternité qui n’existerait pas. Comment puis-je être frère de celui qui est plus pécheur que moi ? Ou comment puis-je être frère de celui qui est moins pécheur que moi ? Difficile… Mais si je sais que je suis déjà frère de quelqu’un qui est pécheur comme moi (même si ce n’est pas du même péché ni du même degré – mais qui définit le degré… ?), oui, si cette fraternité existe déjà, servons-nous-en. À sa manière, c’est ce que fait Joseph dans la Genèse.

 

Ce que Pierre nous propose ensuite, ou plutôt comme un moyen, tout comme Paul le fait dans un autre texte (Rom. 12 / 14-21), c’est : « ne rendez pas le mal pour le mal ». La fraternité, le miroir, pourrait en effet fonctionner ainsi. On le voit bien au niveau politique mondial, que ce soit au Proche et au Moyen-Orient ou dans la guerre économique entre les États-Unis et le reste du monde. Mais nous faisons pareil. Certes, rendre le bien pour le bien, nous savons faire. Mais la question n’est pas là. La question est de nous servir de notre fraternité de pécheurs pour briser le miroir, pour rendre le bien pour le mal. C’est encore l’exemple de Joseph… Vous me direz que c’est injuste : pourquoi devrais-je faire l’effort, alors que c’est l’autre qui… ? Oui, peut-être, c’est l’autre qui… Mais es-tu toi-même sans péché pour « jeter le premier la pierre » ? (Jean 8 / 7) L’argument n’a pas pour but de dire qui est coupable de quoi ; il a pour but de faire cesser la discussion stérile. Car c’est seulement lorsqu’elle cesse – de mon côté en tout cas, je ne puis agir ni parler pour l’autre – c’est alors seulement que je puis transformer le cercle vicieux en quelque chose qui pourrait être le début d’un cercle vertueux, encore que rien ne garantisse que ça aboutisse à ça.

 

Parce que, deuxième étape, le but de cette transformation, ce n’est pas de sauver le monde ni mon frère ni ma sœur – rappelez-vous : nous ne sommes pas Dieu – le but, c’est mon bonheur. Ce n’est donc pas de l’altruisme, qui est toujours quelque chose de psychologiquement ambigu, mais c’est de l’intérêt bien compris. À ne pas rendre le mal pour le mal, j’y gagne, alors que je pensais le contraire. Pourquoi ? C’est la fameuse devise des Huguenots du XVIe siècle qui me revient en tête, celle qu’on trouvait sur l’Histoire ecclésiastique de Théodore de Bèze et d’autres livres imprimés ensuite, où l’on voyait des soldats frapper avec leurs marteaux sur une enclume, et le texte suivant : « Plus à me frapper on s’amuse, tant plus de marteaux on y use. » Je ne vous invite pas à imiter Bèze et les Huguenots qui prirent les armes après le massacre de la grange de Wassy, mais à adopter la joyeuse certitude que si vous êtes l’enclume, les marteaux ne peuvent rien sur vous ! Car ils ne peuvent rien sur vous dès lors que vous les considérez tels. Et donc, plus besoin de rendre quoi que ce soit, quand bien même les coups continuent…

 

L’apôtre Pierre ne cite pas Bèze, bien entendu ! Il cite le psaume 34, comme il l’a déjà fait avec un autre verset deux chapitres plus tôt. Or ce psaume énonce la certitude que « l’Éternel m’a répondu, il m’arrache à toutes mes frayeurs. » (Ps. 34 / 5) Je puis donc ne plus considérer ces peurs, dues au mal qui m’est fait, puisque ce mal ne m’atteint plus. Et là où il n’y a plus de peur, pourquoi y aurait-il encore vengeance ou même simplement jugement ? À cause du Seigneur, je suis libre du mal qui m’est fait ou que je côtoie. Je puis donc « aimer la vie et voir des jours heureux », comme la citation du psaume m’y exhorte, et donc « [m’] éloigner du mal et faire le bien ». Le juste n’est pas celui qui est sans péché : Christ seul le serait dans ce sens-là, et l’exhortation tomberait à plat pour moi qui ne le suis pas. Non, il faut comprendre que le juste est celui qui a été libéré de son péché par Dieu, libéré de ses peurs, libéré de la nécessité de se défendre contre qui lui ressemblait. Le juste est donc maintenant celui qui fait le bien parce qu’il a été en quelque sorte libéré de la nécessité du mal ! C’est la troisième étape du chemin : faire le bien parce que ça me fait du bien. Et si « la face du Seigneur est contre ceux qui font le mal », alors moi je ne craindrais plus rien de ce côté-là qui est le seul côté qui compte.

 

Quoique un autre côté compte aussi, d’une autre manière : les gens. Eux qui ne connaissent pas Christ, il n’y a aucune raison qu’ils me veuillent du bien s’ils me voient commettre le mal, serait-ce en le rendant seulement à qui m’en a fait. Comme nous le savons bien, l’attitude que nous devons avoir entre nous, frères et sœurs de Jésus-Christ, ne peut que s’étendre à nos relations avec les autres, car la frontière entre dedans et dehors n’est absolument pas de notre compétence ! Si je rends le bien pour le mal à mon frère ou ma sœur, alors évidemment – n’est-ce pas ? – évidemment je ferai la même chose à l’égard de quelqu’un d’autre. Car si mon frère et ma sœur sont aussi pécheurs que moi, évidemment « ceux du dehors » le sont aussi, et le même raisonnement, les mêmes étapes du même chemin, s’appliquent aussi. On peut craindre que, là, les coups continuent de pleuvoir, mais comme le dit une autre citation que fait Pierre, du prophète Ésaïe cette fois : « N’ayez d’eux aucune crainte, et ne soyez pas troublés. » Ainsi, entre chrétiens ou à l’égard d’autres gens, c’est la même chose, et nous sommes invités au même retournement, à la même transformation d’une relation mortifère en relation porteuse de vie possible.

 

D’autant que là, c’est une question de crédibilité de notre témoignage chrétien ! C’est la quatrième étape, sur laquelle je n’insisterai pas maintenant : faire le bien quand la logique commanderait l’inverse, c’est un témoignage qui peut générer le rejet, et donc la persécution. Mais témoigner du Christ « livré pour nos offenses, et ressuscité pour notre justification » (Rom. 4 / 25), c’est notre mission. Témoigner, par le bien que nous rendons, que nous sommes des pécheurs pardonnés et ainsi libérés, nous sommes là pour ça, c’est comme le « 2e effet KissCool ». Vous voyez ce que c’est ? J’ai trouvé cette définition sur internet à propos de cette publicité bien connue : « Le double effet Kiss Cool, c’est que non seulement vous éprouvez du plaisir à manger ce bonbon sucré, mais qu’en plus “Ah ! ah ! Quelle fraîcheur !”. Une fraîcheur qui vous rend fréquentable à moins de vingt centimètres de distance. »[1] Oui, c’est exactement ça : vous devenez fréquentables parce que vous êtes devenus heureux !

 

Alors, pour revenir aux relations que nous avons entre nous, frères et sœurs d’un même péché, mais surtout devenus frères et sœurs d’un même pardon immérité, d’une même justification par grâce seule : ne passons pas à côté du bonheur promis ! Le but de notre salut, c’est notre bonheur, pas notre pénitence perpétuelle, pas le malheur entretenu par simple refus d’en sortir, par crainte devenue injustifiée. Je ne parle bien sûr pas seulement des quelques qui sommes ici dans ce temple ce matin. Nous sommes tous pris dans tout un tissu de relations dont certaines, sinon toutes, sont perverses ou peuvent le devenir. Là où l’air du temps vous dirait : « laisse-les tomber », l’Évangile nous dit : « tu peux les changer, puisque Christ t’a changé, toi ». Nous pouvons devenir « fréquentables » les uns pour les autres, et aussi pour d’autres, en nous offrant et en leur offrant la joie qui est la nôtre d’être sauvés du péché et libérés de la peur. Et s’ils le refusent, tant pis pour eux. Mais avant d’en juger ainsi, discernons bien si notre proposition était claire et honnête : avons-nous vraiment rendu le bien pour le mal, avons-nous vraiment béni notre frère, notre sœur ?

 

Car nous-mêmes avons été bénis, mais il nous faut mettre en œuvre cette bénédiction reçue, et le moyen de la mettre en œuvre, c’est de la transmettre. Le moyen de profiter du bien que Christ nous fait, c’est de faire le bien même là où la logique humaine appellerait une autre réponse. Car Christ est en-dehors des logiques humaines : ce sont elles qui l’ont crucifié… Il est en-dehors de ces logiques, mais il est au cœur de nos relations fraternelles, il en est le Seigneur. Serons-nous alors « couverts de confusion », ou bien laisserons-nous cela aux moqueurs et aux méchants qui refuseront le cadeau du pardon et de l’amour ? C’est à chacun de répondre pour lui-même, de vivre de la grâce et ainsi de rendre le bien en toute occasion. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  24 juin 2018

[1] http://double-effet.blogspot.com/2009/01/double-effet-kiss-cool.html

 

 

 

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