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Première épître de Pierre 2 / 2-10
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texte : Première épître de Pierre 2 / 2-10
premières lectures : Ésaïe 43 / 1-7 ; Évangile selon Matthieu 28 / 16-20
chants : 22-08 et 36-08
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« Vous-mêmes, comme des pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison spirituelle… » C’est bien beau, mais comment faire ? D’autant plus quand autant de membres de la maison sont en vacances … ! Cette phrase, sortie de son contexte, semble solliciter nos efforts, à nous chrétiens, et en plus à condition que nous nous y mettions tous ! Comme titrait une affiche du Secours catholique il y a quelques années : « À tous, on peut tout ! » Fantasme de toute puissance que rien n’étaye dans la foi évangélique qui est la nôtre. Car, surtout, le texte ne dit pas ça ! Alors si vous êtes rassurés, vous pouvez commencer à vous inquiéter d’autre manière, car l’exhortation n’en est pas moins là, adressée à nous par-dessus les lecteurs de Saint Pierre. Allons donc relire ce passage…
Ce passage qui s’adresse à des gens, comme vous et moi, qui sont déjà chrétiens… et qui pourtant ont besoin de quelques rappels utiles sur ce qui fonde leur existence en tant que chrétiens dans ce monde qui, lui, ne l’est pas, chrétien, et dont les valeurs nous tirent vers le bas – ou loin de Dieu, dites-le comme vous voulez. Le monde d’aujourd’hui est comme le monde grec du temps des apôtres – il en est d’ailleurs la prolongation par-dessus les siècles où la pensée chrétienne avait cru s’y retrouver. Elle devrait d’ailleurs en être vaccinée, et se demander si elle fait bien lorsqu’elle épouse à nouveau les valeurs de ce siècle, en matière d’écologie ou de bioéthique, d’économie ou de politique, de philosophie ou de numérique, ou dans quelque autre domaine que ce soit… Certes le monde a des attraits, et tous nous en profitons – votre serviteur le premier ! Mais outre que ce monde et ses valeurs excluent néanmoins beaucoup de monde, y compris sous des prétextes humanistes, ce « monde avec sa sagesse n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu », comme Paul l’écrivait aux Corinthiens (1 Cor. 1 / 21).
Pour le dire autrement et de manière peut-être plus brutale encore, les valeurs de ce monde sont « frelatées » et ne font pas grandir. L’Évangile ne croit pas que tous les chemins mènent à Dieu, il affirme même le contraire, du début à la fin de la Bible. La Bible. Elle est certes pour tous, mais la foi chrétienne se fonde sur elle, et non pas une fois au début, mais tout du long. En elle, Dieu parle à ceux qui la lisent avec foi – et nous revoici au début de notre texte de ce matin. Dieu nous parle, et c’est sa parole qui nous fait grandir comme enfants de Dieu. Toutes les autres paroles sont fallacieuses. Pourquoi ? Parce que les autres paroles soit nous méprisent et nous rendent esclaves des autres, soit nous encensent et nous rendent esclaves de nos propres désirs. Mais c’est toujours nous qui sommes au centre, c’est toujours de nous qu’elles parlent, elles nous enferment en nous-mêmes, comme des enfants qu’aucune pédagogie ne porterait à grandir et à sortir d’eux-mêmes pour devenir acteurs de leur propre vie. La parole de Dieu nous parle de quelqu’un d’autre et nous porte vers lui : Jésus-Christ, pierre angulaire pour nos vies et pour le monde.
Mais le monde ne le connaît pas, et ceux qui n’ignorent pas son existence trouvent de bon ton de se moquer de lui, se moquant ainsi de leur seule possibilité de salut, de croissance, de vie ouverte. L’art, la science et la politique trouvent dans ce déni ou cette ironie la justification des errances qu’ils nous communiquent et par lesquelles ils nous emmènent sur la pente savonnée qu’aucune personne, aucun groupe, aucune nation, pas même l’humanité ni la planète, ne peuvent remonter par leurs propres moyens. Le moyen, c’est de se mettre à l’écoute de la parole de Dieu qui est Jésus-Christ, « première pierre » et « pierre angulaire ». Le moyen de construire la maison, c’est d’écouter Dieu nous dire comment, et ce n’est ni par politique ni par religion ni par morale, mais par le seul Nom de Jésus-Christ. Et dire « Jésus-Christ, [c’est dire] Jésus-Christ crucifié » (1 Cor. 1 / 23), c’est dire que notre salut, notre identité, est dans « le sacrifice unique et parfait offert une fois pour toutes sur la croix ». C’est aussi dire Jésus vivant, « avec [nous] tous les jours jusqu’à la fin du monde », présent par son Esprit.
Ainsi la maison est une « maison spirituelle », dit l’apôtre Pierre. Dans les images à notre disposition, nous opposons d’habitude la maison et le vent. Que ce soit dans la finale du Sermon sur la montagne (Matth. 7 / 24-27) ou dans Les Trois petits cochons, le vent est l’ennemi de la maison fragile, et la maison forte résiste au vent ou au souffle du loup. Mais dans notre texte, la maison est « pneumatique », ce qui bien sûr veut dire « spirituelle », mais aussi qu’elle est faite de vent ! Rappelez-vous Jésus disant à Nicodème : « Le vent souffle où il veut, tu en entends le bruit et tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de ceux qui sont nés du vent. » (Jean 3 / 8) La « maison spirituelle » est une maison qui ne glisse sur aucune mauvaise pente, qui n’est d’aucun endroit du monde, qui ne craint rien au monde, rien qui puisse la détruire, rien qui puisse la retenir, rien qui puisse la récupérer. C’est la maison que l’Esprit lui-même construit en mettant dans nos vies le témoignage de Jésus-Christ.
Ainsi, cette maison construite par l’Esprit du Dieu vivant et dont nous sommes appelés à être non pas les architectes ni les bâtisseurs, mais les « pierres vivantes », c’est la présence-même du Christ dans le monde par l’Esprit. C’est elle qui est appelée « le corps du Christ », son « épouse », « l’Église de Dieu », « la nouvelle Jérusalem, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux. » (Apoc. 21 / 2). « En effet, comme le corps est un, tout en ayant plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne sont qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ. Car c’est dans un seul Esprit que nous tous, pour former un seul corps, avons tous été baptisés, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. » (1 Cor. 12 / 12-13) C’est Paul qui écrivait ceci, et encore cela : « Christ est la tête de l’Église, qui est son corps et dont il est le Sauveur. » (Éph. 5 / 23) Beaucoup d’images pour cerner cette extraordinaire réalité dont Pierre nous dit que nous faisons partie, et dont il nous exhorte à vivre.
Il nous faut donc sans cesse revenir écouter la Parole, pour sans cesse revenir à Jésus-Christ. « Le salut ne se trouve en aucun autre ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les humains, par lequel nous devions être sauvés. » (Actes 4 / 12) Et cela pour deux raisons. La première, c’est pour nous, pour notre bonheur, pour vivre la vie éternelle dès ici-bas dans la certitude d’avoir été « créé », « choisi » par Dieu comme son fils ou sa fille. Dans le langage du monde, les deux idées sont contradictoires : « créé » ou « choisi » ? Dans le langage biblique, c’est pareil, tout comme en droit l’enfant naturel et l’enfant adopté sont l’un comme l’autre enfants de leur père légal. Bon, au rythme où va la loi française sur la filiation, je ne sais pas si cette image sera encore pertinente demain, ni s’il y aura encore des pères ou même des mères… (C’est une autre question.) Gardons donc les images traditionnelles pour nous conforter dans cette certitude que, quelle que soit d’ailleurs notre filiation humaine, nous sommes à Dieu qui est notre Père, comme il le disait déjà par le prophète Ésaïe, et comme il l’a prononcé sur nous lors de notre baptême.
La seconde raison pour laquelle nous devons assumer notre vocation, notre dignité d’enfant de Dieu en Jésus-Christ, c’est pour en parler, en témoigner. En ceci nous sommes aussi Israël, « race élue, […] nation sainte, peuple racheté afin d’annoncer les vertus de celui qui [nous] a appelés des ténèbres à son admirable lumière. » Pas facile à assumer peut-être, mais nous n’avons pas à le fabriquer, ça nous est donné, c’est notre carte d’identité. Les Églises réformées, depuis le XVIe siècle, tentent de se définir par des confessions et déclarations de foi, comme celle que nous avons adoptée en 2017, dernière en date. Mais ce verset de la première épître de Pierre y suffirait largement, si nous le prenions pour nous – il est fait pour ça ! En vous le citant maintenant, j’ai omis une expression : « sacerdoce royal ». L’idée est un peu différente, quoique… C’est que dans cette « nation sainte », nous sommes tous prêtres, il n’y a aucun intermédiaire entre nous et notre Seigneur : nous pouvons nous adresser directement à lui, le prier pour les autres et pour le monde tout comme les autres peuvent le prier pour nous et pour le monde. C’est un sacerdoce sans sacrifice, les « victimes » sont « spirituelles », elles sont souffle, prière, louange, entraide, témoignage… – Peut-être toutes les Églises chrétiennes ne le conçoivent-elles pas ainsi… –
Mais c’est que, comme l’apôtre Pierre et tout le Nouveau Testament, nous savons que ce qui nous est donné nous l’a été à cause de Christ, de ce que lui a fait pour nous, et non pas à cause de ce que nous allons faire pour lui ! Heureusement pour nous d’ailleurs… Peu importe donc d’où nous venons, je vous l’ai suggéré tout à l’heure. Si nous sommes aujourd’hui membres de l’Église de Jésus-Christ à Saint-Dié, ce n’est pas parce que nous serions des enfants de protestants déodatiens, mais que nous le soyons ou pas c’est parce qu’en Jésus-Christ il nous a été fait miséricorde, et cela nous a constitués en maison, en peuple de Dieu, en temple de Dieu, en prêtres de Dieu… Et voilà, nous nous regardons, chacun, nous-même d’abord, et que constatons-nous ? Je suis – vous êtes – pierre vivante d’un temple « qui [n’a] pas [été] fait par la main de l’homme » (Marc 14 / 58), membre d’un peuple constitué ni par race ni par histoire mais par appel, par vocation. Les anciens Hébreux se définissaient par la libération que Dieu avait opérée pour eux, libération de l’esclavage, de l’Égypte. Quant à nous, c’est parce qu’en Jésus-Christ Dieu nous a libérés du péché et de la mort !
Et c’est bien ce dont notre sacerdoce doit témoigner, par louange et action, par parole et charité. Le pasteur n’est pas prêtre, vous le savez bien, vous qui êtes protestants. Vous êtes prêtres. Vous l’êtes ensemble, et vous l’êtes chacun à votre place, là où Dieu vous a mis, pour les gens auprès desquels il vous a placés. Vous l’êtes, et votre voisin aussi qui est chrétien – et peu importent les étiquettes confessionnelles ! Je disais de vous regarder vous d’abord ; mais maintenant regardez aussi vos frères et sœurs, car ils le sont, et eux aussi sont des « pierres vivantes » non pas d’une autre maison mais de la même « maison spirituelle » que vous. Calvin prônait le « jugement de charité » : toute personne qui se dit chrétienne doit être considérée comme telle par nous – Dieu, quant à lui, sait ce qu’il en est vraiment… Nous ne sommes pas à la place de Dieu – ouf ! Nous sommes à la nôtre, sans aucun moyen de nous juger les uns les autres, seulement de nous supporter (dans le sens fort du verbe) et de prier les uns pour les autres afin que notre vocation soit mieux remplie, plus visible, plus audible par les gens de dehors, afin que ceux qui doivent entrer le fassent, et n’en soient pas empêchés par nous-mêmes dans nos silences ou nos gesticulations, nos orgueils ou nos inimitiés, nos stratégies ou nos timidités.
Car désormais « vous êtes le peuple de Dieu », « vous avez obtenu miséricorde ». Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 28 juillet 2019