- Accueil
- Cultes et prière
- Prédications
- Première épître de Pierre 1 / 3-9 (1)
Première épître de Pierre 1 / 3-9 (1)
Partage
texte : Première épître de Pierre, 1 / 3-9 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Ésaïe, 40 / 26-31 ; Évangile selon Jean, 20 / 19-29
chants : 34-30 et 45-14 (Alléluia)
téléchargez le fichier PDF ici
« Levez les yeux en haut et regardez ! » Telle est l’exhortation prophétique qui a ouvert nos lectures de ce matin. C’est qu’il s’agit de voir… ce qu’on ne voit pas… J’ai failli vous dire que la foi chrétienne était ici originale. Mais non… En fait, toutes les idéologies, religieuses ou pas, fonctionnent de cette manière : avec une espérance, une élévation vers une réalité invisible, souvent future. Les seules qui ne fonctionnent pas sur ce registre sont celles dans lesquelles « leur dieu, c’est leur ventre » (Phil. 3 / 19). Aussi bien la critique anti-religieuse ne porte-t-elle pas, car les idéologies athées ont aussi eu leur dieu invisible, que ce soit la société sans classe, l’Homme avec une majuscule, etc. N’y échappent que ceux qui n’ont pas d’idéologie et se contentent de regarder leurs pieds jusqu’à ce que mort s’ensuive, et ceux pour qui la seule chose qui compte c’est leur propre action, ce qu’ils « font de leur vie », comme on dit. Mais ces deux formes d’athéisme pratique, de matérialisme véritable, n’en font qu’une, que ce soit en judaïsme ou en islam, ou bien dans notre société sans conscience, ou même parfois en Église.
Mais quant à nous, nous avons une espérance, une foi religieuse, et donc un Dieu invisible… Et cela nous gêne parfois beaucoup. Les anciens païens et les nouveaux n’ont pas ce genre de scrupule. Comme le livre d’Ésaïe le leur reproche abondamment, ils n’ont qu’à se fabriquer une statue, et voilà le dieu devant lequel ils se prosternent : une idole muette et morte. Et pourtant ça marche toujours, pour une grande partie de l’humanité. Cette idole peut d’ailleurs être dans la tête : des gens tuent et meurent pour une idée de leur dieu, plutôt que pour Dieu lui-même. Dieu invisible ? Non point alors, mais fantasme religieux certainement, projection de soi en une figure totalitaire à imposer au monde entier… Comme ces gens qui ont fait sauter à Palmyre les ruines des temples de Baal pour imposer par le viol et la mort, en Europe, en Asie, en Afrique, leur propre Baal sans temple.
Peu importe, après tout, ce que les musulmans « officiels » disent ou ne disent pas à propos de ces assassins-là. Ce qui importe, c’est de savoir et de manifester que notre Dieu ne ressemble en rien à ce totalitarisme ni à aucun autre. Car à chaque époque la tentation existe de l’y faire ressembler, et de finir par justifier l’injustifiable, justifier la torture, la dictature, le goulag, au nom de Dieu ou du bien de l’humanité. Mais, donc, pour savoir cette dissemblance fondamentale, il faut « lever les yeux en haut et regarder. » Pour ne l’avoir pas fait, Thomas, notre « jumeau » – c’est ce que « Didyme » signifie – Thomas donc a eu la honte de sa vie ! Il avait demandé, par dérision, une idole, un dieu qu’il puisse voir et toucher. Et le Dieu invisible s’est fait voir à lui, et lui a proposé de toucher, ce qui alors n’avait plus aucun sens… Est-ce qu’on peut toucher le ciel ?!
Par contre, on peut être environné de ciel, rempli de ciel. Après tout, il suffit d’ouvrir la bouche, il suffit de respirer ! Comme un nouveau-né qui crie en aspirant pour la première fois ce nouvel air, ce ciel qu’il n’avait jamais côtoyé, nous avons nous aussi été « régénérés par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts. » Pour garder l’image, nous avons été immergés – baptisés ! – dans une nouvelle atmosphère, les poumons remplis de quelque chose que nous ne connaissions pas. C’est donc d’abord, pour quelqu’un qui est « né de nouveau » (cf. Jean 3 / 3-8), comme pour un nouveau-né, une expérience existentielle, un changement d’air (ère !), une nouvelle respiration. À un nouveau-né, il lui faut un certain temps pour habituer ses autres sens et sa compréhension du monde dans lequel il vit désormais. À nous aussi, il faut un certain temps, c’est-à-dire toute la vie. Nous sommes moins rapidement réactifs à la résurrection qu’un être humain ne l’est à sa naissance biologique !
Notre croyance n’est jamais que la forme réfléchie de cette adaptation à une nouvelle réalité que nous respirons – et c’est la respiration qui est plus importante que la croyance… C’est-à-dire que c’est la résurrection de Jésus-Christ qui est plus importante que ce que nous en disons. Et même si nous n’arrivons rien à en dire, elle demeure, et nous est tout à la fois intérieure et extérieure. Intérieure, car sinon comment la connaîtrions-nous ? Et extérieure, car c’est nous qui sommes connus, révélés, transformés, par elle. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est notre expérience de la résurrection de Jésus qui est objective, et ce sont nos discours qui sont subjectifs. Aussi le premier mouvement de la foi n’est-il pas la doctrine, mais la reconnaissance : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ », comme l’écrit Pierre. C’est pourquoi, dès qu’il commence, le culte chrétien se fait louange ou action de grâces. Il ne commence jamais par la prédication. C’est pourquoi aussi le psautier biblique s’intitule en hébreu Louanges. C’est aussi le sens du « en toute circonstance, rendez grâces » de l’apôtre Paul (1 Thess. 5 / 18), qui sinon aurait un bien curieux sens, en présence de circonstances douloureuses. C’est que la louange, c’est la respiration du nouvel air, et la respiration chrétienne, c’est la louange. « Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. » (Éph. 2 / 8)
Dans la logique de notre image, vous comprenez bien alors que le salut n’est pas autre chose que la vie permise par ce nouvel air, cette nouvelle respiration. Le verset dont je viens de vous citer une partie disait : « C’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, nous avons été créés en Christ-Jésus pour des œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance, afin que nous les pratiquions. » (Éph. 2 / 8-10) En effet ce n’est pas parce que vous respirez, comme si c’était une action volontaire, que vous pouvez vivre, mais c’est parce que de l’air force le passage en vous que cette respiration fonctionne, et que vous vivez. D’ailleurs, si vous vouliez respirer par votre propre volonté et non par réflexe, vous mourriez. Ça ne marche pas ! De même si vous vouliez attendre de voir l’air que vous respirez pour le faire…
Ainsi la foi elle-même est-elle ce par quoi vous respirez, ce par quoi vous avez accepté de respirer cet air-là et non pas un autre. Mais, là encore, ceci ne se voit pas. Vous pouvez analyser votre croyance, votre piété, votre théologie. Mais comment pourriez-vous analyser la différence entre l’air que vous respirez et l’air que vous respirez ?! Comment pourriez-vous avoir la moindre idée de ce en quoi consistera une existence toute entière baignée dans cette nouvelle atmosphère, sans que plus rien ne reste de l’ancienne ? Oh, on pourrait le dire avec d’autres images encore, et la Bible le fait aussi, bien sûr : la lumière, l’homme nouveau, etc. La conclusion serait la même : vous vivez une nouvelle existence parce que vous y avez été engendrés par l’Esprit du Dieu vivant, et pourtant, lorsque vous vous regardez dans la glace, vous n’en voyez rien ou pas grand’ chose… Vous n’en ressentez, et de temps en temps, qu’une respiration plus facile, parfois une certaine griserie – l’apôtre Pierre dit que « vous en tressaillez d’allégresse ». Mais vous pouvez y trouver un avant-goût de quelque chose de plus plein, de quelque chose qui ne vous fera plus « tressaillir », mais éclater de bonheur.
Il nous faut donc faire avec l’absence de vision, l’absence de connaissance, de ce qu’est le Christ ressuscité, et de ce qu’est la résurrection, de ce qu’est le salut, etc. Thomas voulait voir le Ressuscité, mais il s’attendait à un cadavre dont il pourrait constater les plaies. Une idole qui ne bouge pas, qui ne dérange pas. Il a vu le Ressuscité, et il a été dérangé, déplacé, bousculé, au point de reconnaître son Dieu en Jésus ressuscité, au moment-même où Jésus lui montrait les plaies par trop humaines dont il portait encore la trace. De la même façon, nous dit Pierre, l’héritage qui nous est promis, le salut qui nous est offert, n’est pas un cadavre en décomposition, ni une fleur des champs tôt fanée. C’est une réalité vivante. Entendez bien : l’homme nouveau, la femme nouvelle, en vous, est une réalité vivante, qui n’est pas vouée à la mort. Pas parce que la nature serait ainsi : elle ne l’est pas ! Mais parce que c’est un cadeau que Dieu vous a fait à cause de Jésus. Du coup, quoi que la nature produise ou détruise en vous – et elle ne s’en prive pas, par maladie, injustice, souffrance morale, déchéance physique et mort – oui, quelle que soit votre nature mortelle, la vie de Christ ne vous sera pas retirée, bien au contraire.
À des chrétiens persécutés comme il y en a des centaines de milliers sinon plus dans le monde d’aujourd’hui, à des chrétiens qui doivent se cacher ou au moins se taire comme il y en a des dizaines de millions sinon plus de nos jours, la promesse divine, l’espérance chrétienne, ne peut pas laisser croire à « des lendemains qui chantent ». Mais elle annonce une victoire définitive, déjà acquise en Jésus-Christ. La foi n’est pas alors une illusion pour supporter la souffrance et la persécution, ni une idéologie pour mener un combat et vouloir changer le monde. La foi est une certitude de l’amour agissant de Dieu, bien qu’on ne le voie pas. Elle est donc, par là-même, amour en retour, réponse d’amour à cet amour premier de celui qu’on ne voit toujours pas. Comme tout amour, il se nourrit non pas de preuves, mais de confiance – qui est un synonyme de foi : « Vous l’aimez sans l’avoir vu. Sans le voir encore, vous croyez en lui… » Et comme Jésus le disait à Thomas en parlant de nous : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! »
Car après tout, entre des chrétiens persécutés et des chrétiens qui ne le sont pas, il n’y a pas de différence. Il y en a, certes, dans la manière de vivre dans ce monde. Mais dans l’air nouveau qu’on respire, non : c’est le même. Nous sommes animés du « même Esprit » (Éph. 2 / 18), tendus vers la même espérance. Il nous est juste un peu plus difficile qu’à eux de le réaliser. Mais comme eux, nous pouvons avoir cette confiance que le monde ne comprend pas, confiance en un Dieu insaisissable mais aimant, en un Père céleste qui ne nous abandonnera jamais, en Jésus-Christ mort et ressuscité, en un Esprit saint qui nous le rend présent dans la foi ; bref, en un Dieu qui tient ses promesses et qui nous fera contempler sa gloire en nous y associant. Nous verrons Christ, parce que nous serons avec lui. Et cette attente est une puissante motivation pour ne pas nous laisser happer par le serpent, par la désespérance et le fatalisme. Ce n’est pas la mort que nous attendons en cette vie, mais une vie plus pleine, et pleine d’autre chose. C’est à une autre réalité que nous aspirons, et nous savons lui appartenir déjà. Puissions-nous simplement en profiter dès maintenant, et savoir en témoigner un peu, et dire à notre tour à ceux qui nous entourent : « Levez les yeux en haut et regardez ! » Amen.
Senones – David Mitrani – 3 avril 2016