Première épître de Jean 3 / 1-6

 

texte :  Première épître de Jean, 3 / 1-6   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Michée, 5 / 1-4a ;  Évangile selon Luc, 2 / 15-20 ;  épître à Tite, 3 / 4-7

chants :  362 et 537  (Arc-en-ciel)

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En quoi consiste donc « la bonté de Dieu notre sauveur », comme Paul l’écrivait à Tite ? Est-ce d’avoir tenu sa promesse à Noël ? Mais si Dieu ne tient pas ses promesses, qui donc tiendra les siennes ?! Dans toutes les religions la divinité est garante des promesses. Mais le Dieu de la Bible n’est pas celui des anciens Germains ni l’épouse du dieu suprême des anciens Romains ; il n’est pas le garant juridique des contrats, ce n’est pas un notaire ! Il tient ses promesses simplement parce que sa parole l’engage, et qu’il « n’est pas homme pour mentir » (Nombres 23 / 19). Je pense qu’il ne lui viendrait pas à l’idée – si j’ose dire – de se poser la question s’il le fait par bonté ou autrement. Sa fidélité à sa parole fait partie de lui.

 

Sa bonté consiste-t-elle alors à avoir choisi Bethléhem ? Certes le nom signifie « maison du pain ». Mais la racine du mot permettrait aussi de traduire « maison de la guerre », et de nos jours c’est bien plutôt cette étymologie-là qui lui convient ! La bonté de Dieu est assez grande, assez puissante, pour transformer une caserne en boulangerie, pour transformer l’art de tuer les foules en un art de nourrir les foules. L’Évangile porte assez ce sens, sans avoir besoin de se référer au nom de cette bourgade. Faut-il voir aussi la bonté de Dieu à l’œuvre dans le fait que de simples bergers, qui n’étaient rien selon l’ancienne religion, sont devenus les premiers évangélistes, annonçant à qui a bien voulu les écouter ce qu’ils avaient eux-mêmes entendu au sujet du petit enfant qu’ils venaient de voir, couché dans une mangeoire à bestiaux ? En sortant de ce temple, ne manquez pas de faire la même chose, et non seulement aujourd’hui, mais tous les jours de votre vie dans ce monde : c’est pour ce faire que vous y êtes…

 

Assurément « la bonté de Dieu notre sauveur » consiste en notre salut, la phrase le dit explicitement. Cette bonté ne consiste pas en notre santé, en notre richesse, en la considération sociale dont nous jouissons, en notre jeunesse, etc., toutes choses bien éphémères qui nous font plaisir quand nous les possédons, qui nous font envie quand nous en manquons, mais qui ne disent rien sur nous-mêmes, sur notre identité profonde, sur le sens de notre vie. « Car même dans l’abondance, la vie d’un homme ne dépend pas de ce qu’il possède », nous dit Jésus (Luc 12 / 15). Noël nous le rappelle bien : le Fils de Dieu est venu au monde comme un qui n’avait rien, et il mourra comme un qui avait encore moins… Alors, si le salut n’est pas ce qu’attendent tous les humains de par le monde, pour bien vivre avant de mourir de toute façon, qu’est-ce que c’est ?

 

Saint Jean, ce matin, nous rappelle ce que c’est. C’est que Dieu nous a aimés, chacun de nous, d’où que nous venions, quelle que soit notre identité sociale, psychologique, culturelle, économique, familiale… Notre salut, c’est l’amour de Dieu, « [l’]amour que le Père nous a donné ». « Justifiés par sa grâce », « nous sommes appelés enfants de Dieu ! et nous le sommes ! » L’insistance de l’auteur de l’épître n’est pas anodine : c’est que « enfants de Dieu », tout comme « frères et sœurs », pourrait être une expression religieuse, ou humaniste, dictée par les bons sentiments ou la piété – chrétienne ou pas – tout comme « camarades » ou « compagnons » dans d’autres milieux… Vous êtes « appelés enfants de Dieu » et vous vous dites « frères et sœurs en Christ » – en tout cas c’est ainsi que vous appelle votre pasteur ! Mais la bonté de Dieu ne consiste pas à vous donner un surnom, gentil mais facultatif. La bonté de Dieu a changé votre identité, elle a changé votre généalogie.

 

Il faut être fort pour faire ça ! Et puis, est-ce intéressant ? Généralement nous tenons à notre généalogie – encore que pas tous, c’est selon notre propre histoire familiale. Ce que Dieu a opéré, c’est une « adoption plénière », pour le dire selon le droit. Il a rompu les liens qui nous définissaient jusque-là, pour en créer de nouveaux qui les remplacent : le lien avec lui, devenu ainsi notre Père, et le lien fraternel entre nous. La famille chrétienne n’est pas la famille humaine sous un autre nom. Certes nous sommes liés à tous les humains qui sont une seule race, la Bible le pose dès ses premières pages. Mais ce qui définit cette famille, c’est la personne qui en est à l’origine. Et de même qu’un enfant privé de ses origines ne grandira pas bien – surtout si on lui ment à ce propos – de même l’humanité privée de sa relation naturelle à son Créateur n’a pas bien grandi – tant on lui a menti et encore aujourd’hui – et c’est aussi vrai de chacun de nous. C’est ce que la théologie appelle le « péché originel », qui nous atteint tous, même les meilleurs – dont je ne fais pas partie.

 

Ainsi va l’humanité, infidèle à son identité première : elle va vers le malheur et la mort. Il en est de même de tout être humain. Mais l’amour du Père va à l’encontre de cette destinée, il la bouscule, il la révoque : il a fait de nous ses enfants, il nous a adoptés comme siens à cause de l’enfant de Bethléhem, à cause du crucifié du Golgotha. Pâques et Noël indissolublement liés, puisque c’est le même homme, c’est le même Fils unique de Dieu, pleinement homme, pleinement Dieu, et en lui notre humanité a été rachetée, et nous-mêmes, vous et moi, nous avons été adoptés comme frères et sœurs du Fils unique. Ce qu’il est de toujours et pour toujours nous a été offert gratuitement, « en vertu de la miséricorde » de Dieu. Et pourtant, nous n’en voyons rien dans notre vie de tous les jours, ou alors pas grand-chose…

 

Mais lorsque Jésus marchait sur les routes de notre terre, les gens le voyaient-ils comme il est ? Et dans la mangeoire de l’hôtellerie de Bethléhem ? Et sur la croix à Jérusalem sous Ponce Pilate ? Oui, à Bethléhem les bergers l’ont vu pour ce qu’il est, à cause de la parole de l’ange et du chant des étoiles. Et, oui, à Golgotha, un capitaine romain l’a reconnu aussi (Marc 15 / 39). Mais pas les prêtres de sa religion : ils l’ont condamné à mort. Et pas même ses disciples : tous les hommes avaient pris la fuite… L’incognito de Jésus parmi nous n’était levé que par ses paroles à lui, par sa parole puissante et celle de son Père. Tout comme aujourd’hui le même incognito n’est levé que par le témoignage de ceux qui l’ont reconnu par la parole des anges et le chant des étoiles, c’est-à-dire par le témoignage biblique et celui des hommes et des femmes qui nous ont précédés dans la foi. Et si Jésus n’est pas reconnu pour qui il est, le Seigneur vivant et vivifiant, le Fils de Dieu fait homme, alors nous non plus, écrit Saint Jean, nous ne sommes pas reconnus.

 

C’est peut-être aussi parce que notre propre vie ne renvoie pas à notre nouveau Père, mais à l’ancien, à notre précédente identité désormais caduque mais que nous n’avons pas oubliée. Sommes-nous encore des fils de Joseph le charpentier ? C’était ses voisins qui ne le reconnaissaient pas, qui parlaient ainsi de Jésus ! (Matth. 13 / 55 ; Luc 4 / 22) Ils avaient raison, s’ils faisaient abstraction de Dieu. Mais ils avaient tort, s’ils regardaient à Dieu. Et nous, regardons-nous à Dieu ou pas ? Considérons-nous d’où nous venons, ou bien qui nous sommes ? Moi qui suis amateur de fantasy et de science-fiction, vous le savez, je suis frappé toujours par la quête de l’identité, la quête des origines, qui traverse romans et films de ce type, que les foules se déplacent pour aller voir – moi aussi, d’ailleurs… Et dans cette quête, les apparences sont trompeuses, les paroles-mêmes sont trompeuses. Mais, bon, vous n’êtes pas ici pour m’entendre parler de Star Wars !

 

Le monde pourtant y ressemble, et nous aussi trop souvent. Nous connaissons notre véritable identité, qui nous est donnée par le Saint-Esprit de Dieu, cette identité nouvelle d’enfant de Dieu. Mais est-ce que nous n’y croyons pas vraiment, ou bien sommes-nous tirés en arrière par tout ce à quoi nous n’avons pas encore renoncé, tous les mirages que le péché fait miroiter à tout être humain ? Jean nous invite à ne plus regarder tout ça, mais seulement le Fils de Dieu à qui nous serons semblables : nous lui ressemblons dans notre humanité parce que lui l’a prise sur lui et l’a vécue jusqu’au bout, mais nous lui ressemblerons dans sa victoire parce que lui nous l’a offerte avec la vie éternelle. Semblables au Christ terrestre, nous le serons au Christ ressuscité. Mais si nous voulons témoigner efficacement de lui, nous avons besoin de conformer un peu plus notre vie, individuelle et communautaire, à la sienne ! Voulons-nous témoigner de lui, voulons-nous accomplir ce à quoi Dieu notre Père nous appelle durant notre vie terrestre d’enfants de Dieu ?

 

Si la réponse est oui – et elle l’est, puisque vous êtes ici, puisque vous vous savez enfants de Dieu – alors sachez aussi que Jésus votre frère « est apparu pour ôter les péchés », c’est-à-dire pour que votre nouvelle identité ne soit pas qu’une signature – la vôtre ou celle de vos parents – sur un registre de baptêmes, mais qu’elle prenne corps dans votre vie, comme dans la mienne, comme dans la vie de notre Église… Tant que nous vivons comme tout le monde, honnêtes ou malhonnêtes, nous ne renvoyons pas à Dieu, mais à nous-mêmes, à notre propre péché, à nos propres manquements, à notre propre finitude, avec certes ses grandeurs, mais aussi ses échecs définitifs. Avec notre adoption par Dieu, c’est à une autre vie que nous sommes appelés, et pas après notre mort, mais dès maintenant, dès la crèche de notre nouvelle naissance. Nous sommes appelés à ne plus nous définir par ce qui fait de nous des mortels, mais par ce qui fait de nous des ressuscités en espérance.

 

À Bethléhem des choses ont été entendues par les bergers à propos de Jésus. Depuis que vous êtes chrétiens vous entendez des choses à propos de Jésus, mais aussi à propos de vous : attachez-vous à ces deux dimensions de la parole que Dieu votre Père vous adresse ! Attachez-vous à Jésus, regardez à lui. Mais aussi attachez-vous à le suivre, à lui ressembler, non pas forcément dans le détail de son propre chemin, mais dans sa nature d’enfant de Dieu, car désormais en lui vous avez la même ! Ne rendez pas de culte à des idoles qui prétendent vous posséder, mais à Dieu seul, qui vous a libérés en vous adoptant. Votre péché a été ôté, n’en ayez pas la nostalgie. Vivez libres de ce qui prétend vous emprisonner ou vous détruire. Vous êtes à Christ, c’est l’œuvre de Dieu. Puisse l’espérance de Noël prendre véritablement corps en chacune de vos existences. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  25 décembre 2017

 

 

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