Première épître de Jean 2 / 1-14

texte :

 

Mes petits enfants, je vous écris ceci, afin que vous ne péchiez pas. Et si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste. Il est lui-même victime expiatoire pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier. À ceci nous connaissons que nous l’avons connu : si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : “Je l’ai connu”, et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur, et la vérité n’est pas en lui. Mais celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu a été vraiment parfait en lui. À ceci nous reconnaissons que nous sommes en lui : celui qui déclare demeurer en lui, doit marcher aussi comme lui a marché.

 

Aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien, que vous avez eu dès le commencement ; ce commandement ancien, c’est la parole que vous avez entendue. D’autre part, c’est un commandement nouveau que je vous écris ; ceci est vrai pour lui et pour vous, car les ténèbres passent, et la lumière véritable brille déjà. Celui qui dit être dans la lumière, tout en haïssant son frère, est dans les ténèbres jusqu’à maintenant. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et ne risque pas de tomber. Mais celui qui hait son frère est dans les ténèbres ; il marche dans les ténèbres et ne sait pas où il va, parce que les ténèbres aveuglent ses yeux.

 

Je vous écris, petits enfants, parce que les péchés vous ont été pardonnés à cause de son nom. Je vous écris, pères, parce que vous avez connu celui qui est dès le commencement. Je vous écris, jeunes, parce que vous avez vaincu le Malin.

 

Je vous écris, enfants, parce que vous avez connu le Père. Je vous écris, pères, parce que vous avez connu celui qui est dès le commencement. Je vous écris, jeunes, parce que vous êtes forts, que la parole de Dieu demeure en vous et que vous avez vaincu le Malin.

 

 

première lecture :  Évangile selon Matthieu 18 / 18-35

chants :  21-04 et 36-08

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prédication :

 

 

Chers frères et sœurs, le texte proposé pour cette prédication ne comportait normalement que les versets 12 à 14, soit la dernière partie du texte que je vous ai lu, celle où il est dit par 6 fois « je vous écris ». Je l’ai un peu rallongé afin que nous comprenions tout de suite de quoi il est question : non seulement de pardon – ce qui était déjà clair avec le texte de Matthieu – mais aussi du commandement d’amour, puisque c’est cela que la première épître de Jean met au premier plan. Et c’est bien clair au début du chapitre. Ainsi, il est question de connaissance, d’ « avoir connu » le Christ (ou Dieu), de « garder ses commandements », de « garder sa parole », de « marcher comme [Jésus] », et, à l’opposé, de mensonge. Et ce mensonge, c’est d’affirmer connaître celui qui « est lui-même victime expiatoire pour nos péchés », comme dit Jean, « tout en haïssant son frère ». Ainsi, le commandement en lequel consiste la parole du Christ qu’il s’agit de vivre, c’est bien d’ « aimer son frère » : là est « la lumière ».

 

Notre incapacité à aimer vraiment à l’image du Christ, c’est-à-dire totalement, « jusqu’au bout » (Jean 13 / 1), peut donner lieu à deux attitudes inverses, une fois que nous avons reconnu cette incapacité, que nous ne sommes pas menteurs à nous-mêmes. Première possibilité : cacher cette incapacité. Je suis chrétien, donc, forcément, j’aime mes frères et sœurs. Amen ! Sauf que ça ne résiste pas à l’analyse… D’ailleurs tout le monde le voit : Dieu, et les autres ! Mes frères et sœurs finissent bien par voir que je ne les aime pas vraiment, sauf rares exceptions. Et Dieu le sait. Ainsi, non seulement je suis pécheur relativement au commandement de l’amour mutuel, mais en plus je suis menteur, comme l’affirme Jean avec clairvoyance. Le péché est donc double, dans le sens où d’une part il existe, et d’autre part je ne le reconnais pas et je joue au petit saint que je ne suis pas.

 

La seconde possibilité, c’est simplement de reconnaître mon incapacité humaine à aimer comme le Christ a aimé. C’est certes un effort de lucidité. Oh ! pas que nous ne le voyions pas… Mais nous nous trouvons des excuses, toujours. Au lieu de trouver des excuses à ceux qui ne sont pas aimables, nous nous en trouvons à nous-mêmes pour ne pas les aimer. Nous justifions nos rancœurs par des arguments parfois très rationnels, psychologiques, pédagogiques, juridiques, tout ce que vous voulez… Nous retombons ainsi dans le cas précédent : nous faisons plus d’efforts pour nous trouver nous-mêmes justes que pour aimer notre frère ou notre sœur. Nous capitalisons l’amour du Christ pour nous sans nous en servir, sans le redistribuer. « Méchants serviteurs… » Au contraire de ça, il y a l’humilité de celui ou celle qui se sait pécheur, qui arrête de se chercher des excuses, qui reconnaît son incapacité et qui demande pardon.

 

Or dès la première phrase du chapitre, comme vous l’avez entendu, avec déjà un « je vous écris » adressé à ses « petits enfants », Jean nous dit que « si quelqu’un a péché, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ le juste. » Ainsi, le ministère de cet avocat nous a acheté, acquis, offert, transmis – dites-le comme vous voulez – le pardon de Dieu. À cause du Christ, en Christ, nous sommes toujours déjà pardonnés. C’est ce que la prédication chrétienne rappelle sans cesse – puisque nous avons tant de mal à l’admettre. C’est ce que la sainte cène nous réaffirme chaque fois que nous la célébrons. L’Église de Jésus-Christ n’est pas une Église de purs, c’est une Église de saints, c’est-à-dire de gens que Dieu a appelés et adoptés ; une Église de pécheurs déjà pardonnés, et appelés à vivre ce pardon, à en vivre et à le donner. Des pécheurs pardonnés et pardonnants, oui, c’est ce que nous sommes, car Dieu nous voit tels que nous sommes et il nous change tels qu’il nous veut. Il requiert que nous lui fassions confiance, et donc que nous le laissions faire !

 

Mais c’est sur la fin du texte que je voudrais que nous nous arrêtions un peu, après avoir bien compris qui nous sommes, nous à qui Jean s’adresse. Écrit-il à trois catégories de personnes : les enfants, les parents, les jeunes, ou bien désigne-t-il les mêmes gens sous plusieurs aspects ? Je ne sais pas. Toujours est-il qu’il énonce pour eux, pour nous, trois affirmations qui sont au parfait : « les péchés vous ont été pardonnés à cause de son nom », « vous avez connu celui qui est dès le commencement » et « vous avez vaincu le Malin ». L’annonce du pardon fait sans doute de nous des « enfants » puisque nous avions besoin de ce pardon, n’étant pas des chrétiens accomplis ! Notre connaissance – connaissance intime, spirituelle, profonde, pas une connaissance intellectuelle ou doctrinale – fait de nous des « pères » capables d’en témoigner auprès d’autres. Et notre victoire, c’est-à-dire notre foi plus forte que les mensonges de l’Accusateur, nous identifie à des « jeunes » capables d’avaler le monde entier, ou en tout cas de le vouloir ! Autant dire que notre âge ne peut pas nous servir d’excuse !

 

Le temps des verbes est ici très important, ce que les traducteurs modernes n’ont pas tous vus, à la différence de leurs aînés des siècles précédents, tels Lemaistre de Sacy ou Ostervald. Pour les expressions que je viens de vous rappeler, elles sont donc toutes au parfait – au passé composé, en français. Donc des actions définitivement passées, au bénéfice desquelles on peut alors se situer. Ainsi pour Jean, le pardon de Dieu ne s’acquiert plus, il se reçoit ; ce pardon nous précède, et même il est reçu déjà, sinon nous ne serions pas là. Vous ne venez pas ici chercher le pardon de Dieu, mais parce que vous l’avez reçu, même si vous n’en êtes pas toujours pleinement convaincus : c’est bien pour ça d’ailleurs que Jean nous l’écrit ! Et il nous écrit parce que nous l’avons reçu, parce que nous avons été pardonnés. Et si nous l’avons réalisé, c’est bien dans la communion avec le Crucifié ressuscité, dans la participation à sa mort et à sa résurrection, comme l’apôtre Paul l’écrira aussi : c’est au pied de sa croix que nous avons connu le Christ, que nous l’avons connu et adoré comme Dieu et Sauveur. Et c’est là aussi que le Serpent a été terrassé, vaincu à jamais, et qu’il n’a plus que des soubresauts sans conséquences pour qui se tient là.

 

Or, après avoir écrit tout ceci, il semble que l’auteur se répète quasiment mot pour mot. La première fois, il disait « je vous écris » au présent : « je vous écris » cette lettre-ci, que vous êtes en train d’écouter, de lire. C’est logique. Pourquoi répète-t-il ces trois phrases aux enfants, pères et jeunes ? En fait, la seconde fois, « je vous écris » est à l’aoriste. Ce temps n’existe pas en français, ni dans les langues modernes de l’Europe occidentale en tout cas. Les traductions contemporaines ont choisi de traduire par un parfait : « je vous ai écrit », sous-entendu alors « les lettres précédentes » ou bien « les chapitres précédents ». Mais ce n’est pas ce que dit le texte, et ça n’a pas d’intérêt. Il vaut mieux le traduire par un présent, mais le sens n’est pas le même que la première fois. Ce n’est plus « je vous écris aujourd’hui », mais l’aoriste désigne l’action elle-même. Comme pour dire « chaque fois que je vous ai écrit, que je vous écrit, que je vous écrirai, ce sera toujours vrai, parce que c’est fait, c’est accompli en Christ, vous ne pouvez pas le refuser ni en dévier. Ce second paragraphe met donc en valeur le temps parfait des trois expressions : oui, votre pardon a bien déjà eu lieu, vous avez déjà connu le Christ, vous avez déjà vaincu le diable ! Moi qui vous écris, je ne remettrai jamais cela en question… Donc vous non plus !

 

Il y a une autre différence dans cette fausse répétition des mêmes phrases. C’est que, pour les « jeunes », Jean écrit « parce que vous êtes forts, que la parole de Dieu demeure en vous et que vous avez vaincu le Malin. » Vous avez reconnu la dernière proposition, mais les deux précédentes sont nouvelles et sont au présent. Elles prennent donc les destinataires de la lettre là où ils en sont aujourd’hui. Et ce n’est pas anodin : « vous êtes forts et la parole de Dieu demeure en vous ». Alors rappelez-vous ce que je commentais au début de cette prédication : la parole, le commandement dont il est question, c’est l’amour mutuel, c’est « aimez-vous les uns les autres comme je vous aime » (Jean 13 / 34 ; 15 / 12). L’amour du Christ pour nous ne passe pas, il lui est co-naturel ! Pour l’auteur de l’épître, la « force » des « jeunes » c’est que le commandement d’amour « demeure en [eux] », c’est donc que l’amour du Christ pour eux demeure en eux ! C’est en aimant de l’amour du Christ que le Malin est vaincu, et même, selon Jean, « [a été] vaincu ».

 

Ma propre exhortation à sa suite et ma conclusion sera donc brève : vous êtes de ces jeunes, soyez ces jeunes, soyons ces jeunes ! Quel que soit notre âge ! Des tas de choses « demeurent en nous » qui ne sont ni bonnes ni mauvaises et qui constituent la majorité de notre temps. Des tas de choses qui sont mauvaises, néfastes, y demeurent aussi. C’est tout ce que l’apôtre Paul appelle « le vieil humain ». Ce sera là jusqu’à notre mort, mais plus ensuite, c’est ça qui sera mort ! La différence, la nouveauté, la jeunesse, c’est que désormais « la parole de Dieu » y « demeure » aussi ! Et elle est notre force. Là où le reste ne nous sert à rien ou bien nous tire vers le bas, elle nous relève et nous fait marcher à la suite du Christ, à la suite de son amour donné et reçu et partagé. Le Malin apprécie toujours de nous voir descendre une pente glissante sans espoir de remonter. Mais même si la pente glissante est toujours là, à quoi peut-elle servir pour quelqu’un qui vole, comment peut-elle le gêner ?! Vous avez des ailes, vous ne glisserez plus, vous ne glissez plus, déjà !

 

« Les ténèbres passent, et la lumière véritable brille déjà », écrit Jean à la fois à propos du Christ et à notre propos. Ne négligeons pas sa certitude, faisons-la nôtre, faites-la vôtre. Cette lumière n’est pas celle qui viendra après notre mort, aucun verbe n’est ici au futur ! Elle est déjà là, car l’œuvre lumineuse du Christ à notre bénéfice à chacun a déjà été accomplie. C’est bien là tout ce à quoi l’Évangile nous invite : à vivre dans la lumière au cœur même des ténèbres de ce monde. N’attendons pas que le monde soit lumineux, nous serions déçus… Mais nous qui sommes au cœur du monde, brillons avec notre nouvelle jeunesse, avec la force de l’amour mutuel et du pardon surabondant de Dieu qui nous a remis toute notre dette, fût-elle grande. Nous avons, vous avez, une mission aujourd’hui, qui est d’exercer cet amour, d’exercer ce pardon, d’exercer votre force d’aimer que le Christ verse en vous par son Esprit. Vous êtes pécheurs ? Oui, moi aussi. Mais de cela nous avons été lavés. Nous sommes redevenus jeunes, tout comme Jésus expliquait à Nicodème qu’il pouvait naître de nouveau. Nous, c’est fait, c’est là. Grâces soient rendues à Dieu en Jésus-Christ. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  5 novembre 2023

 

 

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