Première épître aux Corinthiens 10 / 16-17 ; 11 / 23-29

 

texte :  Première épître aux Corinthiens 10 / 16-17 ; 11 / 23-29

premières lectures :  Exode 12 / 1-14 ; Évangile selon Jean 13 / 1-15. 34-35

chants :  24-03 et 24-05

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Chers amis, que faisons-nous lorsque nous prenons la cène ? Je ne vais pas faire un sondage dans nos rangs, j’imagine d’avance la pluralité des réponses, tout comme en général au sein du protestantisme. Sans parler de ceux qui suppriment volontiers les derniers versets de l’extrait que je vous ai lu, comme nous l’avons fait depuis longtemps dans nos liturgies réformées ! Mais comme ils sont dans le texte biblique, ils résistent, ils sont toujours là… Alors, bien sûr, le point commun de toutes les réponses possibles, c’est que nous refaisons les gestes de Jésus lors de son dernier repas, présenté par les évangiles comme le seder de Pessah que les Juifs célèbrent toujours les deux premiers soirs de la semaine dite « des azymes » – ce repas commandé par Dieu à Moïse en souvenir de la sortie précipitée d’Égypte, lorsque la mort des premiers-nés fut évitée aux Hébreux. Mais lorsque les premiers chrétiens de Corinthe célébraient la cène au cours du repas, nous voyons, dans les versets de Paul que je n’ai pas lu mais que vous connaissez, que cela ne se passait pas bien : « chacun prend son propre repas, et l’un a faim, tandis que l’autre est ivre. » (1 Cor. 11 / 21) J’ai moi-même participé il y a quelques années, dans une autre région, au repas juif de Pâques, pourtant très « liturgique », et effectivement, la plupart des participants n’étaient guère attentifs au contenu spirituel !

 

Est-ce pour cela qu’au Moyen-Âge, seuls les prêtres et moines participaient régulièrement à la cène tandis que les gens regardaient ? Plus récemment, est-ce pour cela que les Réformés ont limité cette célébration à quatre fois l’an, malgré la théologie qu’ils professaient ? Est-ce pour cela qu’avant-guerre dans beaucoup de paroisses, ne restaient pour la communion dans nos temples que les conseillers presbytéraux, qui y étaient obligés, et peut-être quelques autres ? Non. C’est pour des raisons de « dignité » ! Dignité à communier. Je me rappelle – encore un souvenir – je me rappelle, dans une maison de retraite protestante, un vieux monsieur qui participait au culte toutes les semaines, mais qui refusait de communier en me disant – en latin s’il vous plaît – « je ne suis pas digne » … Alors, qu’est-ce que c’est, communier ? Et qu’est-ce que c’est, en être digne ?

 

Il va nous falloir éliminer une compréhension subjective de ces réalités. Être en communion n’est pas penser être en communion. Être digne ou indigne n’est pas non plus une idée subjective, une évaluation morale. Il ne faut jamais oublier que ne participent au repas du Seigneur que des pécheurs, certes repentants, mais toujours pécheurs. Les anges n’en ont pas besoin ! Or nous ne sommes pas des anges, et c’est pour ça que nous sommes invités à ce repas selon l’ordre du Seigneur : « Faites ceci en mémoire de moi. » L’apôtre Paul rajoute que ce n’est pas là un souvenir ému de la vie de Jésus, mais bien un rappel et une annonce de sa mort. Pourquoi sa mort ? Parce que c’est par elle que nous sommes sauvés, que nous sommes justifiés, nous injustes. Comme il l’écrivait aussi aux Romains : « Lorsque nous étions encore sans force, Christ, au temps marqué, est mort pour des impies. À peine mourrait-on pour un juste ; quelqu’un peut-être aurait le courage de mourir pour un homme qui est bon. Mais en ceci, Dieu prouve son amour envers nous : lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous. À bien plus forte raison, maintenant que nous sommes justifiés par son sang, serons-nous sauvés par lui de la colère. » (Rom. 5 / 6-9) C’est pourquoi Luther dira que le chrétien est « simul iustus et peccator » – en même temps juste et pécheur…

 

Être en communion, c’est être unis dans un même projet, une même amitié, une même existence, un même budget ! Le sens est très large, mais jamais subjectif. La communion est une réalité. Paul doit ainsi rappeler aux destinataires de sa lettre, c’est-à-dire aussi à nous, que partager un repas met les convives en communion les uns avec les autres, et que, donc, partager le repas du Seigneur nous met en communion avec lui – car le Seigneur est vivant, il n’est pas un souvenir, lui, ni un être mythologique inventé par les humains. Ainsi dans ce repas que le Seigneur préside, nos vies et la sienne sont liées par le fait-même de partager ce repas, et non pas par les œuvres que nous réalisons ou pas dans notre foi ou notre manque de foi ! Tout comme lorsque, dans la prédication de sa Parole, nous l’entendons vraiment, lui, nous parler, et non plus le seul prédicateur, alors nous sommes en communion de parole avec lui qui s’adresse à notre existence à chacun. Et comme nous sommes plusieurs à partager le repas, la communion de chacun avec le Seigneur qui nous y donne sa vie crée une communion entre tous les convives, donc entre nous tous, quoi que nous puissions penser les uns des autres ! C’est ça, « un seul corps », et c’est celui du Seigneur avec qui nous sommes en communion. Comme dans une famille, nous ne nous sommes pas choisis les uns les autres – et parfois nous ne l’aurions sûrement pas fait – mais c’est ainsi : c’est son appel qui nous a amenés à ce repas, c’est le don de lui-même qui nous met ensemble en un seul corps, le sien.

 

Je vous l’ai dit souventes fois : la foi, c’est faire confiance. Faire confiance à Dieu, à sa Parole, à sa promesse, à son salut… La confiance non plus n’est pas subjective, c’est un engagement. Elle nous lie, et c’est ce lien qui nous libère de tout autre lien. Si l’apôtre Paul cite ce qu’il a « reçu du Seigneur », c’est en tant que parole à laquelle il fait confiance au point de la « transmettre », comme il est dit ailleurs : « C’est une parole certaine et digne d’être entièrement reçue, que Jésus Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs. » (1 Tim. 1 / 15) À propos de la communion au corps et au sang du Seigneur, laquelle communion se réalise dans la cène lorsque nous la partageons, la question est donc de savoir si nous lui faisons confiance, si nous faisons confiance à la parole qui nous annonce ce repas comme communion au Seigneur mort et ressuscité pour nous.

 

Nous pouvons croire en Dieu, mais pas dans ses promesses. Nous pouvons croire en Dieu et dans ce qu’il a fait, mais pas que son action pour nous est actuelle. En toutes ces choses notre foi n’est pas chrétienne, il faut bien le dire. Elle est intellectuelle, elle est mythologique, mais pas chrétienne. Croyons-nous la parole du Christ lorsqu’il nous dit que son repas nous met en communion avec lui ? Si oui, il y a deux conséquences. D’abord, cela nous en rend dignes et nous pouvons y participer ; j’y reviendrai. Ensuite cela nous y convoque, et nous devons y participer. Que serait en effet notre confiance si, entendant que le Seigneur nous invite, nous ne venions pas ?! Nous serions comme ceux qui ne font pas confiance à cette parole, qui ne croient pas que le Seigneur soit vraiment présent dans ce repas, qui ne croient pas qu’il nous y donne communion avec lui-même au point que nous recevions là pleinement notre dignité d’enfants de Dieu. Que deviendrait notre foi si elle n’était pas nourrie, tout comme notre corps si nous ne nous nourrissions pas chaque jour ? Certes elle est nourrie par ce que nous entendons de la Parole de Dieu. Mais elle doit l’être aussi par ce que nous en voyons : le corps livré de Jésus, le sang versé de Jésus, une fois pour toutes, à travers le pain et le vin partagés à chaque culte. À proprement parler il n’y a pas « la Parole et le Sacrement », mais il y a « la Parole audible et la Parole visible », celle qui atteint notre intelligence et celle qui atteint notre corps, deux aspects indissociables de notre âme, de notre personne !

 

Mais je reviens à notre dignité de communier. Le texte de Paul est clair, si nous ne nous laissons pas obscurcir par notre humanisme ou notre culpabilité. Certes notre vie rend bien peu compte des commandements de Dieu, alors que nous aimerions bien pouvoir nous rendre dignes de Dieu par nos propres œuvres ! Mais ce chemin est définitivement bouché : « Nous savons que tout ce que dit la Loi, elle le dit à ceux qui sont sous la Loi, afin que toute bouche soit fermée, et que tout le monde soit reconnu coupable devant Dieu. Car nul ne sera justifié devant lui par les œuvres de la Loi… » (Rom. 3 / 19-20a) Il faut bien entendre cet Évangile, ce salut par la foi seulement, afin de ne pas se méprendre sur le sens des paroles de Paul à propos de la dignité à communier. S’il s’agissait de dignité morale, aucun d’entre nous ne pourrait communier, et notre salut ne serait que théorie fumeuse et vaine ! Il s’agit donc d’autre chose, et c’est ce que nous révèle le texte, lorsque nous nous ouvrons à lui : « celui qui mange et boit sans discerner le corps, mange et boit un jugement contre lui-même. »

 

Est donc digne de participer à la cène que préside la Seigneur, celui qui reconnaît ce Seigneur, qui reconnaît qu’en ce repas c’est le Seigneur lui-même qui, en quelque sorte, se donne en nourriture à notre âme. « En quelque sorte », car on ne saurait dire plus sans dire de bêtises. Mais « en vérité ». Je vous le disais : c’est une question de confiance. Il nous l’affirme ; le croyons-nous ? « Discernons-nous le corps » dans le partage et la manducation du pain de la cène ? Discernons-nous qu’il s’agit du Seigneur donné pour nous, à travers le fait que nous mangeons un bout de pain en nous rappelant les paroles du Christ à son dernier repas ? « Que chacun donc s’examine soi-même, et qu’ainsi il mange du pain et boive de la coupe ! » Le but de ces versets que nous oublions de lire, ce n’est pas d’exclure, mais d’avertir afin que chacun s’approche de la Table en confiance. Si tu crois que c’est un pique-nique, si tu crois que c’est juste symbolique, si tu crois que c’est sympa de participer, abstiens-toi ! Ou plutôt non : écoute la parole du Seigneur, fais-lui confiance, et puis viens communier avec lui !

 

Ce faisant, tu communieras aussi avec les autres qui sont comme toi, qui ne savent pas comment ça se fait, qui savent qu’ils sont pécheurs, mais qui font confiance au Christ, et qui trouvent dans ce repas, par l’Esprit saint, leur nourriture, leur justice, leur salut, parce que Christ est mort pour eux comme pour toi. Ainsi naît et existe l’Église du Christ. Elle naît autour de la Table. Elle est formée de tous ceux, pécheurs, qui y reçoivent leur paix et leur justice en communiant à Jésus-Christ. L’Église n’est pas une association de croyants, non pus qu’un ordre hiérarchique fondé dans des rites. Elle est communion donnée par Dieu. Et la communion ne se vit pas sans la cène, non plus que sans la prédication, l’entretien des pauvres et la prière. Comme l’auteur des Actes des Apôtres le disait au début de son livre à propos de l’Église : « Ils persévéraient dans l’enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières. » (Actes 2 / 42) Et le même auteur, dans son évangile, rapporte comment les disciples se rendant à Emmaüs ont reconnu leur Seigneur vivant : « Pendant qu’il était à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction ; puis il le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent. » (Luc 24 / 30-31a)

 

Ainsi nous sommes Église et nous vivons par la foi lorsque nous partageons le repas dans lequel le Seigneur qui est mort pour nous se fait reconnaître comme vivant et présent. Il n’est de salut, de vie éternelle, que dans cette confiance, que dans la foi en la véracité et l’efficacité de la parole de Dieu pour nous. Tel est notre « amen » : c’est que non pas notre parole ou nos sentiments, mais la parole de Dieu est solide, certaine et vraie, lorsqu’il se donne à nous en nous donnant à lui. Il nous appelle, venons à lui ! Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  14 avril 2022

 

 

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