Première épître aux Corinthiens 1 / 4-9

 

texte :  Première épître aux Corinthiens, 1 / 4-9   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Ésaïe, 40 / 12-25 ;  Évangile selon Matthieu, 21 / 28-32

chants :  41-04 et 48-05  (Alléluia)

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Début d’une épître de Paul. Se faire bien voir des destinataires de la lettre. Leur montrer qu’on les aime et que ce qui va suivre ne remet rien de ceci en question. Car ce qui va suivre… pour parler français, c’est une engueulade ! Mais ce matin, nous resterons dans cette introduction, cette captatio benevolentiae qui est un peu le contraire de la manière abrupte qu’avait Jésus de mettre en cause ses opposants, ceux qui avaient transformé la religion de liberté en un carcan pour les gens. Il est d’ailleurs bon de se rappeler cette différence, non pas entre Jésus et Paul, mais entre les tenants de l’ancienne religion, à qui il est reproché de ne pas s’être convertis, de ne pas être revenus vers Dieu, et d’autre part des chrétiens à qui il est utile de remettre les points sur quelques « i » ! Les reproches que peut faire au nom de l’Évangile un pasteur, un synode, un frère ou une sœur, à un chrétien ou à une paroisse, ne sont jamais du même ordre que la condamnation que ce même Évangile apporte à ceux qui tournent résolument le dos au vrai Dieu et à sa main tendue.

 

Car notre Dieu est un Dieu qui nous tend la main… Il faut prendre garde de se tromper de Dieu ! C’est bien ce que le prophète Ésaïe proclamait de sa part. Qui donc est vraiment le Dieu que nous adorons et confessons ? « “À qui me comparerez-vous, pour que je lui ressemble ?”, dit le Saint. » Jésus met le doigt là-dessus pour « les grands-prêtres et les Anciens » venus l’interroger sur son autorité, et à qui il vient de poser la question de Jean, le Baptiste, sans obtenir de réponse. Dieu est un Dieu qui appelle à se tourner vers lui, et qui accueille ceux et celles qui le font, quels que soient leur péché, leur errance, leur indignité. Dieu est un Dieu qui condamne le péché, et qui reçoit les pécheurs repentants dans sa grâce. Dieu n’est pas un Dieu de justice aveugle, qui condamnerait irrémédiablement les pécheurs, et qui garderait auprès de lui ceux qui se seraient montrés dignes de son amour. Ne serait-ce que parce que tous ont besoin de repentance, c’est-à-dire de conversion – comme vous le savez, ces deux mots n’en sont qu’un seul, dans la langue du Nouveau Testament.

 

Ainsi, il n’y a pas d’un côté des justes, de l’autre des pécheurs, et entre les deux quelques pécheurs repentis. Non. Il n’y a que des pécheurs, et du coup la question n’est pas celle du péché, mais celle de la repentance, de la conversion – et celle-ci est proposée à tous. La question n’est pas celle du péché, mais celle de la grâce de Dieu. Car sans cette grâce, point de repentir possible. Puisque nous sommes pécheurs, coupés de Dieu, nous n’avons pas par nous-mêmes la capacité de nous tourner à nouveau vers lui. Et si nous l’avons, c’est qu’elle nous a été donnée, par grâce. Dans le petit passage introductif de la lettre de Paul, ce mot revient trois fois (dont une invisible en français). Paul « rend grâces », ce qui aujourd’hui serait traduit « remercie » – c’est le mot qui a donné « eucharistie » … Il remercie « pour la grâce de Dieu », et un peu plus loin il dit qu’il ne nous « manque aucun don », et c’est le mot « charisme », de la même racine encore que « merci » et « grâce ».

 

Grâce, grâce, grâce. Tout est grâce… mais non pas dans la nature, l’histoire, la morale ou la piété ! Tout est grâce dans la relation du croyant avec Dieu, et donc des croyants en Église, des croyants entre eux devant Dieu. Rappel salutaire avant de critiquer vertement leurs attitudes partisanes, comme Paul le fait dans la suite de la lettre ! La foi serait une affaire purement intellectuelle, de conviction, il n’y aurait sans doute pas besoin d’une telle grâce, ne croyez-vous pas ? Ce serait alors un choix philosophique, ou éthique, un « pari » intellectuel. Dieu existe-t-il ? Rien ne le prouve, mais rien ne prouve le contraire, et on ne perd rien à le croire si ce n’est pas vrai, tandis qu’on perdrait beaucoup à ne pas le croire si cela s’avérait exact… ! Vous entendez bien qu’il n’y a là ni conversion, ni relation personnelle avec Dieu, ni confiance. Bref, pas de foi, seulement une croyance comme une autre… Et c’est bien ainsi que le comprennent les tenants d’une laïcité intégriste : chacun croit ce qu’il veut tant qu’il n’embête pas les autres avec, et que ça ne change rien à sa vie sociale et professionnelle…

 

Or la conversion à Dieu, la repentance, cela change tout. Car par « la grâce de Dieu » « vous avez été enrichis en lui, en toute chose, en toute parole et en toute connaissance », écrivait Paul. Et celui qui a été enrichi, par définition, n’est plus pauvre, ne manque plus de ce dont il manquait auparavant, à savoir « tout », et notamment parole et connaissance intime. Car dans la grâce de Dieu, la relation avec lui est relation de parole et d’intimité. Et dans cette relation, c’est lui qui nous parle et nous apprend à parler, c’est lui qui nous connaît et nous apprend à connaître. C’est lui, comme écrivait Paul, qui nous « enrichit en tout ». C’est par la relation avec Jésus-Christ, car l’origine, le moyen et le but de la grâce de Dieu pour nous, c’est Jésus-Christ. Comme il le dit dans l’évangile de Jean : « je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14 / 6). C’est en lui que cette grâce nous atteint et nous transforme, jusque dans notre vie sociale et au-delà, et pas seulement dans nos croyances et notre piété, qui sans lui sont vaines.

 

Il ne faut donc pas chercher à voir la grâce de Dieu dans sa Création ou dans sa Providence, qui sans Christ ne nous sont pas connaissables, et sur lesquelles on ne peut alors dire que des bêtises, ce qu’on ne manque pas de faire ! Non. C’est « le témoignage de Christ » qui nous amène à connaître et reconnaître le Père dans toutes ses œuvres, et donc aussi dans sa Création et dans sa Providence, sans lesquelles nous n’existerions même pas. C’est pour cela que les gens tremblent en pensant à l’avenir de notre planète et, pourquoi pas, du cosmos : ils évoquent la Création sans croire à la Providence, ou la Providence sans croire qu’il y a un Créateur. Et ils tremblent devant la capacité de l’Homme – avec majuscule – de détruire ce monde. Autant la préoccupation écologique me semble bien inscrite dans la vocation que Dieu a donnée aux humains, autant ce fantasme apocalyptique me semble hors de propos quand on est chrétien. Car nous, nous savons que Dieu est Créateur et Providence. Et d’où le savons-nous ? De ce que Jésus, dans sa relation avec chacun de nous, dans sa mort et sa résurrection pour chacun de nous, nous montre son Père comme étant notre Père, comme étant celui qui nous engendre et nous fait grandir dans son amour.

 

Mais c’est vrai, si nous croyons en Christ, nous ne le voyons pourtant pas. Et ce n’est certes pas en nous regardant individuellement, nous pourtant chrétiens, ni en nous regardant les uns les autres, ni en regardant notre Église, que nous pouvons le voir. Par son Esprit, il témoigne en nous, mais il ne nous est pas révélé encore… et donc, nous ne sommes pas encore révélés à nous-mêmes ni au monde comme étant en lui les fils et les filles de Dieu ! (cf. Rom. 8 / 19) À cela aussi il faut nous convertir. Comme le chante un de nos cantiques, « la foi doit se changer en vue » (Arc-en-ciel n° 313 : « Ô Dieu des grâces éternelles »), mais ce n’est donc pas le cas aujourd’hui (2 Cor. 5 / 7). Aujourd’hui est le temps de la foi : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. » (Jean 20 / 29) L’apôtre Pierre écrivait aussi : « Vous êtes gardés en la puissance de Dieu, par la foi, pour le salut prêt à être révélé dans les derniers temps. Vous en tressaillez d’allégresse, quoique vous soyez maintenant, pour un peu de temps, puisqu’il le faut, affligés par diverses épreuves, afin que votre foi éprouvée – bien plus précieuse que l’or périssable, cependant éprouvé par le feu – se trouve être un sujet de louange, de gloire et d’honneur, lors de la révélation de Jésus-Christ. Vous l’aimez sans l’avoir vu. Sans le voir encore, vous croyez en lui et vous tressaillez d’une allégresse indicible et glorieuse, en remportant pour prix de votre foi le salut de vos âmes. » (1 Pi. 1 / 5-9)

 

Pour reprendre ces mots de Saint Pierre, il n’est donc pas le temps de trembler, pour vous ou pour le monde, mais de « tressaillir d’allégresse » à cause de cette relation intime que le Christ vous a appelés à vivre avec lui, et qui ne connaîtra jamais la mort. Là encore, c’est lui qui nous le donnera, et la joie ici, et la vie éternelle ! C’est lui qui nous fera tenir sans que plus rien ne puisse nous être reproché, puisqu’en lui, dans la grâce de Dieu qui nous atteint en Christ, tout reproche s’est éteint avec notre péché. Plus aucune réalité, ni en nous ni hors de nous, n’est capable de « nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ notre Seigneur », comme Paul écrivait, aux Romains cette fois (Rom. 8 / 39). Des choses peuvent nous faire mal, bien sûr, des choses que nous subissons ou des choses que nous commettons. À nous de discerner, avec l’aide de Dieu. Le but de nos prières devrait être celui-ci : non pas obtenir quelque chose, mais discerner ce que Dieu veut de bon pour nous et, à travers nous, pour les autres.

 

« Dieu est fidèle. » Ce n’est pas rien, cette affirmation de l’apôtre Paul. Ce n’est pas original dans la Bible, mais ça l’est, certes, dans les mythologies de tout bord, orientales ou occidentales, où les dieux, comme parfois les politiciens et comme nous tous, changent d’avis selon leurs propres intérêts… Le Dieu de la Bible est fidèle. Il est fidèle à lui-même, lorsqu’il parle il s’engage, il ne revient pas sur sa parole. Les seules paroles sur lesquelles il revient, ce sont des paroles de colère, de dépit, de condamnation : oui, là il revient dessus, il est fidèle à sa grâce, pas aux conséquences de nos infidélités ! Il est donc fidèle à nous autres, à ceux en qui « le témoignage de Christ a été fermement établi ». C’est bel et bien, et heureusement, « à cause de son nom » (Ps. 23 / 3), à cause de Jésus, et non à cause de ma fidélité à géométrie variable, que Dieu est fidèle à « la grâce de Dieu qui m’a été accordée en Jésus-Christ », accordée à moi comme à vous qui êtes ici.

 

« Dieu est fidèle », et dans la langue de la Bible c’est un mot étrange, car en grec il se dit de la même manière pour Dieu et pour vous et moi, mais quand c’est pour nous, il est habituellement traduit par « croyant » ! En hébreu c’était d’ailleurs un peu la même chose. Ainsi, c’est dans un même mot que Dieu et nous, nous nous retrouvons, même si c’est à son initiative, par sa propre puissance. C’est dans une même réalité : sa fidélité, notre foi. Il n’y a pas deux réalités, mais une seule, qui s’éprouve dans la rencontre – une réalité qui est la rencontre en Jésus entre le Père et nous autres, chacun de nous, et notre Église elle-même. « Il nous a appelés à la communion de son Fils. » Ce n’est pas d’abord une affirmation liturgique, même si elle est vraie aussi dans notre culte, et dans notre célébration de la cène. C’est avant tout une affirmation existentielle, vitale. Nous et notre salut, nous sommes un produit de cet appel fidèle, paternel, persistant, de Dieu le Père à ses enfants perdus, et désormais retrouvés (cf. Luc 15 / 24).

 

Alors oui, c’est normal que l’apôtre rende grâces à Dieu à notre sujet, malgré ce que nous sommes et malgré ce qu’est notre Église. C’est à cause de Jésus, à cause de ce que Jésus a fait pour nous, à cause de « la grâce de Dieu qui nous a été accordée », qu’il remercie le Père. Il a bien raison ; et nous aussi, nous avons à dire merci à Dieu d’avoir fait de nous ses enfants. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  3 février 2019

 

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