Première épître à Timothée 1 / 12-17 (2)

 

texte :  Première épître à Timothée 1 / 12-17   

premières lectures :  Michée 7 / 18-20 ; Évangile selon Luc 15 / 1-3. 11b-32

chants :  43-14 et 43-05

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Chers amis, dimanche dernier à Thaon vous avez entendu la conversion de Paul porter fruit. Vous avez aussi entendu les réactions des gens, qui n’arrivaient pas à lui faire confiance, qui n’arrivaient pas à croire qu’il avait changé (Actes 9). Nous revoici avec lui, quand il se raconte dans sa première lettre adressée à Timothée, son disciple. Se raconte-t-il, d’ailleurs ? Comme il le dit lui-même, il rend grâces, il remercie. Il l’annonce au début de ce passage, et il le fait clairement à la fin, rendant gloire à Dieu le « roi des siècles », maître du temps et de l’espace, maître de tout ce qui arrive, maître de tout ce qui m’arrive… Et qu’est-il arrivé à Paul ? Il a été fortifié, dit-il. Vous savez que de nos jours il ne fait pas bon utiliser les images de royauté, de seigneurie, etc. Qui dit de quelqu’un qu’il est maître dit implicitement de quelqu’un d’autre qu’il est esclave… Or entre Dieu et Paul il n’en est pas de même : la seigneurie de Jésus-Christ sur sa vie ne l’a pas affaibli, mais fortifié.

 

Il y a deux choses que nous n’aimons pas vraiment dans la foi chrétienne, dans la relation avec notre Dieu. La première, c’est de dire merci, c’est-à-dire de reconnaître qu’on dépend de Dieu, qu’on est au bénéfice de l’action de Dieu en Jésus-Christ. Nous prétendons être des gens autonomes et libres, nous le revendiquons contre le Ciel et contre ceux qui prétendent nous en priver ! Nous ne disons donc pas merci. Ah, oui : nous attendons que les autres nous disent merci à nous, nous attendons que les autres se reconnaissent en dette par rapport à nous-mêmes, nos obligés, nos serviteurs. La prière de Jésus met pourtant le doigt dessus : « remets-nous notre dette comme nous remettons à ceux qui nous doivent » (Matth. 6 / 12). Avec d’autres mots, ne le récitez-vous pas souvent, comme encore nous le ferons tout à l’heure pendant la cène ? « Comme aussi nous remettons à ceux qui nous doivent… », « comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés… » Est-ce que vraiment nous libérons les autres de ce que nous pensons qu’ils nous doivent ? Est-ce que vraiment nous les libérons de devoir nous dire merci ?

 

Ce mouvement ne peut se faire que si nous-mêmes nous apprenons à dire merci. Et tant mieux si un autre, frère ou sœur, nous en libère ! Mais n’attendons pas qu’il le fasse. Reconnaissons-nous donc en dette, afin que celle-ci puisse être remise. « Pardon » et « merci » sont alors synonymes, ils sont le moyen par lequel je reconnais devoir ce que je suis ou ce que je puis devenir… à quelqu’un d’autre que moi ! Ils sont l’abandon confiant de mon autonomie à d’autres mains que les miennes. Ils sont le seul moyen de bien vivre en communauté, qu’elle soit d’Église ou qu’elle soit sociale ou nationale. Il n’est pas anodin que de nos jours dans notre pays il soit devenu si difficile d’entendre ou de prononcer ces mots… Faut-il alors s’étonner que la société se délite, de la famille jusqu’à l’État ? Les coupables n’en sont pas les jeunes, mais ceux qui leur ont servi de modèles, ceux sur qui ils ont pris exemple…

 

La seconde chose chrétienne que nous n’aimons pas, c’est l’inconnu… S’en remettre à quelqu’un d’autre qu’à soi pour son présent et son avenir, nous n’aimons pas, parce que nous ne savons pas où ça peut nous mener, et la pensée d’y être un jour obligé à cause de la santé défaillante ou de l’âge avancé nous effraie. Il paraît même que notre « dignité » gagnerait à ce qu’on mette fin à nos jours avant d’en arriver là. Quel monde étrange, quelles pensées étranges que les nôtres ! Mais même sans parler de ça, s’en remettre à quelqu’un, c’est ne pas savoir ce qu’il va faire de nous. Nous aimons fêter Pentecôte, surtout quand il y a des confirmations ou des baptêmes… mais nous n’avons en fait aucune envie que le Saint-Esprit fasse avec nous ce qui nous est raconté de lui. Nous n’avons aucune envie, nous avons beaucoup de craintes, sur ce que le Saint-Esprit peut nous faire faire si nous nous abandonnons à lui. Comme si la foi était une hypnose, et le Saint-Esprit un hypnotiseur s’amusant à nous faire faire des trucs invraisemblables devant les gens… Nous regardons trop la télé !

 

Ce qui nous est promis, ce que Paul confesse quant à lui, c’est que nous serons fortifiés ! C’est donc un changement éminemment positif, sauf si nous rêvons de rester par terre à plat ventre, bien sûr… ! Mais si nous ne rêvons pas d’une existence larvaire, qui à coup sûr s’achèvera définitivement dans la tombe, mais que nous espérons pour nous-mêmes un peu mieux que ça, alors le seul moyen qui ne soit pas un fantasme, c’est de se confier soi-même à Jésus-Christ. Les autres moyens sont des leurres, des mensonges, des vanités, bref : des idoles, du pipeau… C’est ce que Pierre et Jean expliquaient à propos de la guérison du mendiant boiteux de la Belle Porte, rappelez-vous cette histoire : « C’est par le nom de Jésus-Christ le Nazôréen – que vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité des morts – c’est par lui que celui-ci se présente en bonne santé devant vous. C’est lui, La pierre rejetée par vous, les bâtisseurs, Et devenue la principale, celle de l’angle. Le salut ne se trouve en aucun autre ; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom donné parmi les humains, par lequel nous devions être sauvés. » (Actes 4 / 10-12)

 

Il nous faut alors bien prendre exemple sur Paul, puisque lui-même nous y invite, sur ce point-ci : s’en remettre au Dieu de Jésus-Christ pour notre vie, laisser faire le Saint-Esprit de Dieu pour nous amener là où bon lui semble, car alors ce sera bon pour nous aussi. Il faut et il suffit de faire confiance. Ce mot constitue l’objet-même de notre texte, il revient 5 fois sous une forme ou sous une autre ; je les reprends dans la traduction que je vous ai lue : « fidèle », « incrédulité », « foi », « certaine », « qui croiront ». Même le nom « Christ Jésus » apparaît moins souvent, seulement 4 fois ! La foi chrétienne consiste donc en… la foi, c’est-à-dire en confiance, certitude, fidélité. Elle ne consiste pas en doctrine, ni en morale, ni en structures, même si elle s’en habille. Vous pouvez toujours proclamer ou signer une confession de foi et tâcher de suivre des règles de comportement ou la discipline de l’Église, ça ne fera jamais de vous un chrétien ou une chrétienne. La foi consiste en foi, simplement !

 

Il y aurait une mauvaise compréhension de ce que Paul écrivait, à savoir que le Seigneur « l’aurait estimé fidèle [= croyant] » pour pouvoir « l’établir dans le service [= le ministère] ». C’est comme avec Noé, qui « trouva grâce aux yeux de l’Éternel » (Gen. 6 / 8) : c’est le regard favorable de Dieu qui a choisi et utilisé Noé. De même, Paul était « dans la non-foi », comme il le reconnaît. C’est la miséricorde de Dieu qui a choisi et transformé Paul pour le rendre conforme au service qui lui était réservé. Cette miséricorde (c’est le mot de la prière qu’on récitait autrefois en grec : ελεησον), c’est elle l’autre grand acteur de ce petit texte. « Il m’a été fait miséricorde », répète Paul, et c’est bien pourquoi il remercie son Seigneur et Dieu. Et c’est aussi à ce titre qu’il veut nous servir d’exemple. Non pas pour susciter une quelconque fausse miséricorde acquise par calcul, en faisant semblant : ça, ça ne marche pas, jamais. Mais parce qu’il était clair pour tous ceux qui connaissaient Paul que, sans cette miséricorde, sans cette action de Dieu en Jésus-Christ par le Saint-Esprit, Paul n’aurait jamais pu devenir Paul ! Il serait resté « un blasphémateur, un persécuteur, un arrogant ».

 

Or l’action de Dieu n’est pas n’importe laquelle. Je le répète, elle consiste en miséricorde. – Nous en revenons aux « pardon » et « merci » de tout à l’heure. – L’important dans la conversion de Paul n’est pas tout le cinéma tel qu’il est rapporté dans les Actes des Apôtres, mais bien ce moment d’éternité où la miséricorde de Dieu acquise aux pécheurs dans la mort et la résurrection de Jésus-Christ a rencontré la foi de cet homme qui n’en méritait rien, qui en a été brisé et reconstruit – ce que lui-même n’évoque qu’avec pudeur. On aurait pu croire que son changement avait été le fruit d’un grand miracle – je veux dire quelque chose de visible, de bruyant, une manifestation de puissance d’un Dieu céleste et orageux. Non, ça a été le fruit d’un plus grand miracle : la miséricorde, le pardon, la résurrection, « la grâce du Seigneur [qui] a surabondé ». Nous sommes comme le prophète Élie réfugié au mont Horeb : nous attendons Dieu dans des manifestations violentes, mais il ne passe que dans « le son subtil d’un silence » (1 Rois 19 / 12), et là, tout est changé.

 

Paul nous l’affirme : ce qu’il a vécu, ce qui l’a traversé, c’est « que Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs », et il nous affirme, à nous, que cette parole est fiable, certaine, entièrement digne d’être reçue par nous-mêmes, pour notre vie et notre salut, et éventuellement pour notre ministère, notre place dans la communauté chrétienne et dans sa mission, comme ce fut le cas pour Paul de manière toute particulière. Paul fut-il « le premier » des pécheurs, le plus grand ? C’est en tant qu’il a persécuté les chrétiens qu’il affirme cela. Mais sans doute tous ceux qui exercent un ministère peuvent-ils aussi prétendre à la grandeur de leur péché, eux, nous, pasteurs, conseillers presbytéraux, catéchètes, missionnaires, etc., nous qui voulons témoigner du Christ sans dire « pardon » ni « merci », nous qui sommes si souvent des faux témoins. Mais avec Paul nous ne nous attarderons là-dessus que pour signaler non pas notre œuvre, qui n’est rien, mais l’œuvre de Dieu en nous, qui nous a fait chrétiens et ministres de son Évangile, de son salut, afin que des pécheurs se tournent vers le Christ pour recevoir eux aussi leur salut pour cette vie-ci et pour la vie éternelle.

 

Notre propre exemple doit servir à l’évangélisation. Notre exemple, ça ne veut pas dire : « regardez comme je suis bon, regardez comme je suis pieux » ; c’est le Pharisien de l’histoire qui priait ainsi en disant : « Ô Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou même comme ce péager : je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. » (Luc 18 / 11-12) Jeûnez autant que vous le voulez, ça vous regarde. Donnez la dîme, votre trésorier en verra son souci allégé ! Mais n’en faites pas un exemple, sinon celui de votre orgueil et de votre péché. Non. Notre exemple consiste dans notre témoignage à l’image de celui de Paul : « j’étais pécheur, et par Jésus-Christ, par son pardon et sa miséricorde, j’ai été changé et rendu vivant, et tous les jours je l’en remercie en tâchant de vivre ce qu’il me demande sans plus aucune crainte, seulement dans la confiance en lui. » Alors, peut-être, d’autres pourront-ils dire comme Paul : « Au Roi des siècles, immortel, invisible, seul Dieu, honneur et gloire aux siècles des siècles ! Amen ! »

 

Épinal  –  David Mitrani  –  7 juillet 2019

 

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