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Premier livre de Samuel 24 / 2-23
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texte :
Lorsque Saül fut revenu de la poursuite des Philistins, on lui fit ce rapport : « Voici que David est dans le désert d’Eyn-Guédi ». Saül prit trois mille hommes d’élite sur tout Israël et il alla chercher David et ses hommes jusque du côté des rochers des boucs sauvages. Il arriva vers des parcs à moutons qui étaient près du chemin ; et là se trouvait une caverne. Saül y entra pour se couvrir les pieds. David et ses hommes étaient assis au fond de la caverne.
Les hommes de David lui dirent : « Voici le jour où l’Éternel te dit : “C’est moi qui livre ton ennemi entre tes mains ; traite-le comme bon te semblera”. » David se leva et coupa doucement le pan du manteau de Saül. Après cela David sentit battre son cœur, parce qu’il avait coupé le pan de Saül. Et il dit à ses hommes : « Que l’Éternel me garde de commettre contre mon seigneur, le messie de l’Éternel, une action telle que de porter la main sur lui ! Car il est le messie de l’Éternel. » Par ces paroles David arrêta ses hommes et les empêcha de se dresser contre Saül. Puis Saül se redressa pour sortir de la caverne et continua son chemin.
Après cela, David se leva et sortit de la caverne. Il se mit alors à crier derrière Saül : « Ô roi ! Mon seigneur ! » Saül regarda derrière lui, et David s’inclina le visage contre terre et se prosterna. David dit à Saül : « Pourquoi écoutes-tu les propos des gens qui disent : “David cherche ton malheur” ? Tu vois en ce jour de tes propres yeux que l’Éternel t’avait livré aujourd’hui entre mes mains dans la caverne. On m’a dit alors de te tuer ; mais je t’ai épargné et j’ai dit : “Je ne porterai pas la main sur mon seigneur, car il est le messie de l’Éternel”. Vois, mon père, vois donc le pan de ton manteau dans ma main. Puisque j’ai coupé le pan de ton manteau et que je ne t’ai pas tué, reconnais et considère qu’il n’y a dans ma conduite ni méchanceté ni révolte, et que je n’ai pas péché contre toi. Et toi, tu pourchasses ma vie pour me la prendre ! L’Éternel sera juge entre toi et moi, et l’Éternel me vengera de toi ; mais ma main elle-même ne sera pas contre toi. Comme dit le vieux proverbe : C’est des méchants que vient la méchanceté. Aussi ma main ne sera pas contre toi. Contre qui le roi d’Israël est-il parti en guerre ? Qui poursuis-tu ? Un chien mort, une simple puce. L’Éternel rendra la justice ; il sera juge entre toi et moi ; il regardera, il défendra ma cause, il me jugera de ta main. »
Lorsque David eut fini d’adresser à Saül ces paroles, Saül dit : « Est-ce bien ta voix, mon fils David ? » Et Saül se mit à sangloter. Puis il dit à David : « Tu es plus juste que moi, car tu m’as rendu du bien, et moi je t’ai rendu le mal. Tu manifestes aujourd’hui la bonté avec laquelle tu agis envers moi, puisque l’Éternel m’avait livré entre tes mains et que tu ne m’as pas tué. Si quelqu’un trouve son ennemi, le laisse-t-il poursuivre tout bonnement son chemin ? Que l’Éternel te récompense pour ce que tu m’as fait en ce jour ! Maintenant voici, je le sais, tu régneras à coup sûr et tu auras le royaume d’Israël bien en main. Jure-moi maintenant par l’Éternel que tu ne détruiras pas ma descendance après moi et que tu ne détruiras pas mon nom de ma famille. » David le jura à Saül. Puis Saül s’en alla dans sa maison, et David et ses hommes montèrent à la forteresse.
premières lectures : Épître aux Romains 12 / 17-21 ; Évangile selon Luc 6 / 27-38
chants : 36-29 et 45-24
prédication :
Quel malheur quand les gens qui sont censés être des fidèles de Dieu ne savent plus où ils en sont, et quand les dirigeants du peuple errent de faute en faute, d’incertitude en incertitude ! Voici donc plusieurs chapitres que le roi Saül, jaloux de David son chef de guerre, tente de l’éliminer. Sa fille Mikal, femme de David, et son fils Jonathan, son héritier et ami de David, ont permis à celui-ci de fuir, et ceux qui l’aident sont tués, considérés comme des ennemis par ce roi qui ne sait plus où il en est, qui a des accès de folie depuis qu’il a été rejeté par Dieu. On est dans un jeu – triste jeu de guerre et de pouvoir – à trois adversaires : le roi Saül, David en fuite avec ses hommes et sa famille, et les Philistins, adversaires d’Israël, parfois approchés et parfois combattus par David qui continue à défendre Israël. Voilà le contexte, dans ce livre de Samuel, dans lequel se déroule notre récit, histoire mi-glauque mi-drôle…
Car Saül, tout roi qu’il est, a besoin de se retirer pour satisfaire un besoin naturel – vous savez, ce dont on ne parle jamais dans les films !!! Mais voilà qu’il le fait dans la caverne où David et ses hommes se cachent… La situation, en fait, est tragique : le roi va mourir. Mais non : David retient son bras. Au lieu de tuer le roi, son mortel adversaire, il se contente d’un bout de tissu, avec grand émoi et au grand dam de ses amis. La raison ? Saül est « le messie de l’Éternel », il est celui que Dieu a oint. C’est le même titre que Jésus refusera avant sa mort, mais que tous les chrétiens lui reconnaîtront après sa résurrection, dit cette fois en grec en non plus en hébreu : le Christ. Ainsi, dit David, lui aussi pourtant déjà oint par Samuel comme futur roi d’Israël et de Juda : on ne porte pas la main sur le Christ du Seigneur ! Ce qu’auront oublié les grands-prêtres de Jérusalem le jour où, devant le prétoire de Pilate, ils protesteront n’avoir « pas d’autre roi que César » (Jean 19 / 15) et feront condamner Jésus à mort.
David, lui, a des scrupules. Des scrupules qui ne vont pas simplifier son propre avenir. Car la démence du roi va se poursuivre, et sa quête incessante du fuyard également. Pourtant toutes ces pages montrent que l’Éternel est avec David, et c’était bien ce que ses hommes lui disaient : pourquoi hésiter face à la victoire et au pouvoir ? Mais David, ici, agit comme le grand roi fidèle que notre mémoire a retenu : si des ennemis sont là, c’est à Dieu de s’en charger, pas à moi ! À plus forte raison quand l’ennemi principal avait lui-même été choisi par Dieu avant de déchoir ! C’est même là tout le contenu du discours que David adresse à Saül après l’épisode de la caverne : « l’Éternel me vengera de toi ». Le texte biblique ne nous laisse pas nous bercer d’illusions. Les adversaires vont rester des adversaires. Ce qui semble être, à la fin du récit, de bonnes dispositions chez le roi, ne sont qu’illusion passagère, et David le sait.
S’agit-il chez David d’un pardon lui aussi passager ? J’hésite à utiliser ici le mot. Paul écrivant aux Romains est plus lucide. Ici, Saül va continuer de chercher David pour le tuer, et David va continuer à fuir jusque chez les Philistins. Alors, tout ceci n’aura servi à rien ? Pas complètement. Saül est obligé de reconnaître l’onction qu’a reçue David : « Maintenant voici, je le sais, tu régneras à coup sûr ! » Il en profite simplement pour protéger d’avance ses fils lorsque cela arrivera, en le faisant promettre à David. Mais le personnage important du livre de Samuel, c’est David, bien sûr, pas Saül. Alors, qu’est-ce qui nous est montré de lui, de la manière dont il se considère lui-même ?
Je dirai qu’il ne se prend pas pour ce qu’il n’est pas. Peut-être même ne se prend-il pas pour ce qu’il est ! Toute son attitude est marquée par l’humilité : appelant Saül « mon père », « mon seigneur », il se présente aux oreilles de tous comme serviteur, ce qu’il était avant la folie de Saül. Il va même jusqu’à dire : « Contre qui le roi d’Israël est-il parti en guerre ? Qui poursuis-tu ? Un chien mort, une simple puce. » Ce qui ne l’empêche pas de considérer que l’Éternel est avec lui, et que « le méchant », c’est Saül. Mais il ne se présente pas en concurrent. Il attendra son heure, et il sait qu’elle ne devrait pas venir tant que Saül est vivant. La vie et le règne de Saül, comme demain les siens, sont dans la main de Dieu. Le changement de règne, qu’il aurait pu opérer lui-même en tuant Saül, ne se fera qu’à l’initiative de Dieu et par d’autres mains que celles de David.
Les protestants français du XVIIIe siècle ont adopté la même attitude, tout comme leurs prédécesseurs du XVIIe qui pensaient que le roi Louis XIV était mal conseillé ; et les textes où ils parlent du roi Louis XV, pourtant persécuteur lui aussi, frisent l’idolâtrie : il est le roi contre lequel on ne saurait rien dire puisque c’est Dieu qui l’a mis là, il est le soleil qui éclaire l’univers ! De même les protestants résistants allemands, à la suite de Bonhöffer et de tant d’autres, auront tellement de mal à passer par-dessus ce scrupule qu’ils hésiteront longtemps avant de mettre en œuvre un attentat contre Hitler le 20 juillet 1944, attentat qui échouera, comme vous le savez. Ceux qui sont fidèles à Dieu respectent les choix de Dieu, en l’occurrence ils respectent les autorités de l’État, quelles qu’elles soient, quelle que soit la manière dont elles ont été placées là, quelles que soient leurs orientations : non qu’ils les approuvent forcément, mais ils prient pour elles et respectent les gens qui les exercent.
Pourtant, chers amis, je ne voudrais pas que vous entendiez un message politique – et lequel, d’ailleurs ? – dans cette prédication qui n’est pas faite pour ça. Car ce que Jésus disait dans le chapitre de l’évangile de Luc que vous avez entendu modifie un peu la vision, non pas qu’il la renverse, mais il y ajoute – un dièse et pas un bémol, si vous êtes musiciens ! David aimait-il Saül ? Continuait-il à l’aimer malgré la persécution dont il était l’objet de sa part ? La question n’est pas celle de David il y a 3 000 ans, mais c’est notre question à nous, comme individus chrétiens et comme Église. Comme Église, en France, nous ne sommes pas persécutés, même si notre foi est sans cesse moquée par les pseudo-intellectuels nourris au rationalisme, ou maintenant au « wokisme » ou au salafisme. Ce n’est pas le cas partout, vous le savez bien : le christianisme est la première religion au monde, mais c’est aussi la première à être persécutée, et ce dans de nombreux pays. Mais il n’y a pas que la persécution à prendre en compte : comment réagissons-nous lorsque nous avons des adversaires, quels qu’ils soient ? Notre premier mouvement, toutes proportions gardées, est-il celui des hommes de David, ou bien réfléchissons-nous comme David lui-même et retenons-nous notre main ?
La question est peut-être encore plus actuelle pour nous, comme individus chrétiens. Nous avons tous de nombreux adversaires, pas forcément violents, mais qui néanmoins sont là contre nous, que ce soit dans nos relations de travail, dans nos familles, voire contre elles, dans notre voisinage, etc. La paix universelle est un fantasme, que nous exprimons parfois dans nos prières d’intercession, mais qui ne correspond à aucune réalité depuis que le monde est monde. Dans les adversités quotidiennes ou occasionnelles, comment réagissons-nous ? La vendetta ? Ou seulement le talion ? Ou plus pacifiquement nous préférons ignorer : ignorer l’adversité, ignorer l’autre ? David, après tout, aurait pu ne pas porter la main sur Saül, ne pas même couper un morceau de son manteau, rester caché au fond de la caverne et attendre le départ du contingent royal. Il a choisi une autre stratégie, il a été inspiré autrement : il a fait un bien notoire à celui qui lui voulait du mal. Si l’amour est un geste et pas un sentiment, alors oui : David a non seulement respecté, mais aussi il a aimé Saül…
Est-ce que je respecte mes adversaires, les gens qui ne m’aiment pas, les gens dont je considère qu’ils restreignent ma liberté ou offensent mes opinions ou ma manière de vivre ? Est-ce que je les aime, c’est-à-dire que je fais pour eux ce que je voudrais qu’ils fassent ou fissent pour moi ? Oui, mais ils ne font pas. Or la question, ce n’est pas eux : David traite bien Saül de méchant ! La question, c’est moi : est-ce que moi, je fais, contre mon premier mouvement, contre mon envie de me venger, contre mon idée de la justice qui voudrait que le méchant soit puni. Oh, sans doute ! Mais, dit David, pas par moi ! Le pardon, l’amour des ennemis, tel que Jésus et Paul en parlent ce matin, a deux buts : le premier, c’est de me libérer moi-même ; le second, c’est de faire confiance à Dieu !
Car le refus de pardonner l’inexcusable, le refus d’aimer celui qui n’est pas aimable, ces refus travaillent en moi, me pourrissent la vie, me rongent de l’intérieur. C’est la seconde victoire des méchants : non seulement d’exercer leur méchanceté, mais que celle-ci se poursuive sans eux, en moi. Nous en parlions vendredi matin à l’IFSI, l’école d’infirmières, à propos du traumatisme causé par un viol. Mais dans des cas plus légers, ça fonctionne de la même manière… La méchanceté de l’autre m’enferme en elle, je ne puis en sortir qu’en l’expulsant de moi, et le seul moyen, c’est le pardon, c’est l’amour des ennemis ; telle est la réaction de David à l’égard de Saül, qui m’est donnée en exemple, et qui n’est possible, pour David comme pour moi, que par la confiance que je puis avoir en l’Éternel.
Car mes propres forces y seraient infirmes. Celui qui compte sur lui-même pour pardonner ou pour aimer ses ennemis n’y arrive jamais, et c’est normal. Par nature nous sommes coupés de Dieu, des êtres violents et égoïstes, même si notre vernis culturel nous le fait oublier en temps normal. Mais il suffit de peu pour que le naturel revienne ! Pour David et pour toute la Bible, une seule personne peut nous libérer à la fois de nos ennemis et de nous-mêmes : Dieu en personne, c’est-à-dire Jésus-Christ. Lui a vécu jusqu’au bout ce dont j’ai besoin pour ma propre vie, et il me l’a offert. Il me suffit de le laisser agir, pour moi lorsqu’il me défend, ou contre moi lorsque je veux me défendre moi-même. Dire que sa grâce me suffit n’est pas une vaine expression, David le développait à sa manière dans sa rencontre avec Saül. Je ne puis être David que dans la confiance absolue en Dieu, pour moi, pour les miens, pour mon pays, pour mon Église, pour mon monde…
Saül disait à David : « Maintenant voici, je le sais, tu régneras à coup sûr et tu auras le royaume d’Israël bien en main. » Et Jésus disait à ses apôtres : « Vous qui m’avez suivi, vous serez assis sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël. » (Matth. 19 / 28) Pierre écrivait : « Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple racheté afin d’annoncer les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière ; vous qui, autrefois, n’étiez pas un peuple et qui, maintenant, êtes le peuple de Dieu ; vous qui n’aviez pas obtenu miséricorde et qui, maintenant avez obtenu miséricorde. » (1 Pi. 2 / 9-10) Or ce que nous sommes, nous le sommes de par Dieu, par sa miséricorde, par la croix de Jésus-Christ. C’est par grâce que nous sommes ce que nous sommes, c’est par grâce que nous pouvons l’impossible : témoigner de Jésus en aimant nos ennemis… Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 23 juin 2024