Premier livre de Samuel 2 / 1-8a

 

texte :  Premier livre de Samuel, 2 / 1-8a   (trad. Louis Segond)

autres lectures :  Première épître aux Corinthiens, 15 / 1-11 ;  Évangile selon Marc, 16 / 1-8

chants :  52-06 et 47-03  (Alléluia)

téléchargez le fichier PDF ici

 

Pourquoi cet extrait du livre de Samuel le jour de Pâques ? Les textes de Paul et de Marc s’imposent, eux : récits de premières apparitions de Jésus ressuscité. Vous ne trouverez nulle part dans la Bible un récit de la résurrection proprement dite, du moment où « ça » s’est passé. Ce sont les évangiles apocryphes qui vont raconter des choses, plus tard… Rien dans les textes canoniques, car personne n’y était ! Et puis, raconter quoi d’autre que ce qui est raconté dans notre Bible : un tombeau vide, qui ne dit qu’une absence ? Jésus était mort, mis au tombeau, et voici que des gens l’ont rencontré vivant, au point que personne n’a pu rester indifférent ou nier ce qu’il avait vu, nier que Jésus fût ressuscité des morts. Lorsque Paul écrit, beaucoup des premiers témoins sont encore vivants, et on pouvait encore aller leur demander… Les suivants nous ont laissé le Nouveau Testament, critère de nos expériences personnelles.

 

Expérience personnelle, c’est bien ce dont témoigne Anne, la mère de Samuel, après la naissance de celui-ci. Il n’est point question de résurrection pourtant, ni de Jésus qui vivra un millénaire plus tard. Alors, pourquoi ce matin ? Parce qu’il est question d’une victoire sur la mort – en l’occurrence la stérilité d’Anne – et des fruits de cette victoire – Samuel, prêtre, prophète et presque roi (en tout cas faiseur de rois), figure donc de Jésus-Christ. De ce texte je vous inviterai à retenir deux choses qui me semblent très importantes, et qui concernent et notre fête et notre existence.

 

La première, c’est que Dieu seul est Dieu. Vous savez que la première phrase du témoignage que doit rendre tout musulman, la shahâda, cette première phrase affirme qu’ « il n’y a pas de dieu, sinon Dieu ». La seconde phrase ne nous concerne pas, elle parle de Muḥammad. La première phrase, donc, dit la même chose qu’Anne dans notre texte, et que plusieurs versets du prophète Ésaïe aussi. Je ne vous ferai pas l’exégèse de la shahâda musulmane, mais nous resterons dans la Bible, qui concerne notre vie. Formule de témoignage, on la trouve aussi dans le Deutéronome (6 / 4), c’est le Shema’ Israël : « Écoute, Israël, l’Éternel notre Dieu, l’Éternel est un. » Jésus cite ce verset à propos du « plus grand commandement » (Marc 12 / 29-31). L’unité de Dieu, mais aussi son unicité. C’est le fondement du monothéisme. Nous ne sommes donc pas polythéistes, ni panthéistes, ni animistes. Ça, vous le saviez, bien sûr. Mais cela n’est pas une posture intellectuelle.

 

En effet, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que rien en ce monde n’est Dieu, rien n’est tout-puissant, rien n’est digne que je me prosterne devant et que je lui abandonne ma liberté. Les résonnances politiques ou économiques de cette affirmation nous viennent tout de suite à l’esprit. Une illustration en est la question que Jésus pose à ses contradicteurs à propos de l’impôt à César : ils ont dans leur poche des représentations de l’empereur-dieu ! (Marc 12 / 15-17) C’est aussi ce qu’il dit contre le dieu-argent, la toute-puissance de l’économie : « Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre ; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon. » (Matth. 6 / 24) Mais cette phrase est vraie et a des implications bien au-delà de l’économie et de la puissance financière. Le péché originel, si profondément ancré en nous, ne cherche-t-il pas à faire de nous-même notre propre dieu, discernant ce qui est bon et mal selon notre propre jugement, accordant ou refusant confiance à qui nous considérons qu’il le mérite ou pas, et utilisant les autres à notre propre service sans même nous en rendre compte ?

 

Au point que nous considérons la mort sous toutes ses formes, brutales ou insidieuses, comme notre pire ennemi – ce qui est vrai d’ailleurs. Ainsi nous faisons d’elle un autre dieu, un vrai, un dieu tout-puissant auquel rien ne résiste, puisque pas même nous ! Face à elle, paraît-il, nous ne pouvons rien. Les divers paganismes ont bien essayé de se la concilier, tout comme le matérialisme pour lequel les individus eux-mêmes ne sont rien. Un autre de ses noms est le destin, puisqu’on ne peut lui résister. Mort ou destin, c’est un dieu farouche, un dieu destructeur, et même Mammon n’est qu’un de ses serviteurs, la maladie en est un autre. Beaucoup de gens passent leur vie à jouer à cache-cache avec une telle divinité proprement diabolique, diabolique puisqu’elle arrive à nous faire croire en elle, en sa puissance fatidique. Or il n’en est rien. Pourquoi ? Parce que « Nul n’est saint comme l’Éternel ; il n’y a point d’autre Dieu que toi ! » La suite du cantique d’Anne affirme alors tranquillement : « Ne parlez plus avec tant de hauteur ; que l’arrogance ne sorte plus de votre bouche. » Elle le chante face à tout ce qui, dans ce monde, dans cette vie, prétend être Dieu à la place de Dieu, y compris son propre corps stérile à elle, y compris la mort agissante dans toutes les dimensions de notre existence.

 

Le lien de ce chant avec Pâques vous apparaît-il maintenant ? C’est le chant de la liberté face à tous les déterminismes, c’est le chant de la vie face à la mort, c’est le chant de la victoire du seul vrai Dieu sur la mort et les faux dieux qui ne sont rien, qui ne tiennent pas face à lui. C’est le chant de la foi : le croyant cohérent est celui qui confesse, jusque dans son existence concrète, que Dieu est plus fort que tout, parce que lui seul est Dieu ! Un bel exemple en a été donné à toute la France par le colonel Beltrame il y a dix jours : à cause de Dieu je peux donner ma vie, à cause de Dieu je peux servir les autres, à cause de Dieu je peux rire au nez des assassins et des terroristes. Oui, à cause de Dieu je puis tout, et renvoyer le diable, la maladie et la mort aux oubliettes. « L’Éternel est pour moi, je ne crains rien : que peuvent me faire des hommes ? L’Éternel est mon secours, et je me réjouis à la vue de mes ennemis. » (Ps. 118 / 6-7)

 

Le second élément que je retiendrai ce matin de cet hymne est comme une conséquence de tout ce que je viens de développer, c’est normal puisque c’est à la suite dans le même texte ! Mais c’est un verset que nous n’aimons pas, qui résonne comme une malédiction. Je vous le relis : « L’Éternel fait mourir et il fait vivre.  Il fait descendre au séjour des morts et il en fait remonter. L’Éternel appauvrit et il enrichit, il abaisse et il élève. » Je vous ai dit qu’il n’y avait pas de destin, et maintenant je vous décrirais Dieu comme étant le destin lui-même ? Non, bien sûr. Mais c’est comme lorsqu’on parle de prédestination : l’important, c’est que tout est dans la main de Dieu, de personne d’autre, puisqu’il n’y a personne d’autre qui soit Dieu, je vous l’ai dit ! Tout est dans sa main, et nous sommes dans sa main. Voilà ce qu’il ne faut pas oublier. Ce chant d’Anne est l’expression non pas de sa crainte, de son effroi, mais c’est l’expression de sa confiance. Je vous le disais : c’est le chant de la foi.

 

Remarquez donc l’ordre dans lequel les verbes sont placés. Le texte ne dit pas que Dieu fait n’importe quoi n’importe comment : ça, c’est nous – enfin, moi – mais pas Dieu ! Dans notre logique à nous, on vit d’abord, et puis on meurt : s’il y a destin inscrit dans notre animalité, il est là. Dans la logique de Dieu telle qu’Anne la chante, au contraire la vie succède à la mort, la résurrection succède à la tombe, la richesse succède à la pauvreté, l’élévation succède à l’abaissement. Tous les textes traditionnels de la Semaine sainte que nous avons entendus ces derniers jours le disent, que ce soit le « chant du Serviteur souffrant » d’Ésaïe (52 / 13 – 53 / 12) ou bien « l’hymne aux Philippiens » de Paul (Phil. 2 / 5-11). Le Magnificat de Marie reprenait presque les mêmes mots (Luc 1 / 46-55). C’est donc cette logique-ci qui s’est manifestée pour Jésus, en Jésus. La prière d’Anne parle déjà de la mort et de la résurrection de Jésus, et elle en parle de la même manière que tout le reste de la Bible. Je vous rappelais la shahâda avec ses deux phrases concernant Dieu et Muḥammad. Le cantique d’Anne a bien lui aussi ses deux versants : Dieu et Jésus, l’unicité de Dieu et sa manifestation en une personne historique particulière : Jésus de Nazareth, le Christ. Mais lui n’est pas un chef de guerre ni un fondateur de religion. C’est le Dieu-homme qui a donné sa vie pour nous.

 

Du coup, ce que chante Anne, nous pouvons l’entendre non seulement de Jésus, mais aussi pour nous, à la fois comme un projet et comme une promesse. Le projet, c’est d’accepter avec confiance de servir Dieu sur les chemins où il lui plaît de nous faire passer, sans nous poser de questions, sans céder pour autant au fatalisme, avec la certitude qu’il sait ce qu’il fait, bien que nous ne puissions pas le comprendre. Accepter les voies de Dieu, ce n’est pas accepter les méfaits du diable, des démons, des microbes ou de l’ordre du monde ! C’est mettre nos pas dans ceux du Christ en sachant qu’il nous a ouvert la route, alors-même que cette route traverse « la vallée de l’ombre de la mort » (Ps. 23 / 4). C’est marcher face à ce et à ceux qui nous font du mal dans la certitude et le témoignage qu’ils ne peuvent rien nous faire : « L’arc des puissants est brisé, et les faibles ont la force pour ceinture. » En ceci consiste « la glorieuse liberté des enfants de Dieu » (Rom. 8 / 21) qui « marchent selon l’Esprit » (Gal. 5 / 16). C’est une marche victorieuse !

 

Car la promesse, c’est de savoir où Dieu nous mène ainsi : vers la vie éternelle, vers la résurrection de la chair. Le mot latin que nous utilisons est bien employé ici : la « ré-surrection », le fait d’être « suscité de nouveau ». Les mots grecs disent plutôt le « relèvement » ou le « réveil ». Quel que soit le mot, c’est la mort de la mort, la fin du destin qui broie les individus et la fin de la destinée humaine. Comme Paul l’écrivait aux Corinthiens : « Ensuite viendra la fin, quand il remettra le royaume à celui qui est Dieu et Père, après avoir détruit toute domination, toute autorité et toute puissance. Car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait mis tous les ennemis sous ses pieds. Le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort. Dieu, en effet, a tout mis sous ses pieds. Mais lorsqu’il dit que tout lui a été soumis, il est évident que celui qui lui a soumis toutes choses est excepté. Et lorsque toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous. » (1 Cor. 15 / 24-28) La fin, c’est donc la fin de la mort, et c’est la récapitulation de toutes choses et de tous les êtres, y compris vous et moi, en Dieu.

 

Le « Fils unique » est aussi « le Premier-né d’entre les morts » (Col. 1 / 18 ; Apoc. 1 / 5). Pâques, c’est l’ouverture de la route, pour Jésus d’abord, puis pour nous. C’est la marche vers une liberté offerte sans contrepartie. La marche peut être pénible. Le but est réjouissant. Du coup la marche peut être confiante. La pierre a été roulée, la porte a été ouverte, et « personne ne fermera » (Apoc. 3 / 7). « Je suis la porte, dit Jésus. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et il sortira, et il trouvera des pâturages. » (Jean 10 / 9) Voilà la promesse, voilà le chemin, voilà le Berger. « Les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix. » (Jean 10 / 4) Allez, marchez ! Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  1er avril 2018

 

Contact