Premier livre de Samuel 2 / 1-8a

 

texte :

 

Anne pria et dit :

« Mon cœur exulte en l’Éternel,

Ma force s’est élevée par l’Éternel ;

Ma bouche s’est ouverte contre mes ennemis,

Car je me réjouis de ton salut.

Nul n’est saint comme l’Éternel ;

Il n’y a point d’autre que toi ;

Il n’y a point de rocher comme notre Dieu.

Ne multipliez pas vos paroles sans cesse plus arrogantes ;

Que l’audace ne sorte pas de votre bouche ;

Car l’Éternel est un Dieu qui connaît tout,

Et par lui sont pesés les agissements.

L’arc des héros est brisé,

Et ceux qui trébuchaient ont la vaillance pour ceinture.

Ceux qui étaient rassasiés cherchent un gagne-pain,

Mais ceux qui étaient affamés ont du répit ;

Même la femme stérile enfante sept fois,

Mais celle qui avait beaucoup de fils est flétrie.

L’Éternel fait mourir et il fait vivre,

Il fait descendre au séjour des morts et il en fait remonter.

L’Éternel appauvrit et il enrichit,

Il abaisse et il élève.

De la poussière il redresse l’indigent,

Du fumier il relève le pauvre,

Pour les faire siéger avec les notables ;

Et il leur donne en héritage un trône de gloire […] »

 

 

premières lectures :  Évangile selon Marc 16 / 1-8 ; Première épître aux Corinthiens 15 / 1-11

chants :  31-30 et 47-03

 

 

prédication :

 

 

Pâques, c’est le grand renversement. Ce n’est pas la mythologie d’un héros moitié humain et moitié divin, qui serait passé par la mort avant de régner au ciel ou, tel Osiris, sur les morts. L’Évangile tente toujours de déjouer une telle compréhension fallacieuse. Jésus, « Dieu l’a souverainement élevé et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom », écrivait Paul, citant sans doute une confession de foi qu’il avait reçue (Phil. 2 / 9) Ce nom, c’est celui de Dieu. Jésus est Dieu en personne – ce qui ne l’empêche pas d’être pleinement humain, de sa naissance à sa mort et au-delà, puisqu’il y a un au-delà, dont Paul et quelques autres ont été témoins oculaires, et c’est bien ce que nous fêtons aujourd’hui ! Aucune théologie chrétienne n’est légitime qui ne confesse pas que Jésus est vraiment mort et vraiment ressuscité. Mais tant qu’on s’arrête là, où est la différence d’avec une mythologie gréco-romaine, sumérienne ou germanique ?

 

La différence, c’est le grand renversement. Dans le cantique qu’Anne, la mère de Samuel, prie devant le vieux prêtre Éli au sanctuaire de Shilo, il est facile de lire ce grand renversement qu’elle confesse. Le même grand renversement sera proclamé par Marie lors de sa visite à Élisabeth après la conception de Jésus. Anne commence par chanter sa confiance en son Dieu dont la puissance lui permet, à elle, de résister à ses ennemis, et même de les narguer. Quelques versets après l’extrait que je vous ai lu de l’apôtre Paul, il écrivait : « Si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine, vous êtes encore dans vos péchés… » (1 Cor. 15 / 17) Quel plus grand ennemi y a-t-il pour Anne et pour chacun de nous que le péché qui mène à la mort ? « Si Christ n’est pas ressuscité », la vie n’a pas de sens, prise dans des déterminismes naturels, culturels, sociaux, nationaux, tirée vers le bas par tout ce qui est en nous et par le tentateur qui en profite bien. « Si Christ n’est pas ressuscité », la prière d’Anne n’a pas de sens non plus, le Dieu auquel elle s’adresse n’est alors qu’in fantasme, et nous le constatons tous dans notre existence : ce Dieu-là n’existe pas ou clairement ne s’intéresse pas à nous !

 

Mais Christ est ressuscité ! Nous l’avons proclamé au début de ce culte et tout au long dans nos chants et nos prières. Alors, oui, la prière d’Anne parle de lui, de ce que produit sa résurrection. Vendredi soir, célébrant à Senones la mort de Jésus, nous avons entendu l’évangéliste Matthieu nous suggérer la fin de toutes les séparations nécessaires à ce monde de mort : la déchirure du voile du Temple séparant Dieu et les humains, le ciel, la terre et les enfers se rencontrant dans l’événement de la mort victorieuse de Jésus. Un tel bouleversement ne se limite évidemment pas à notre univers mental et religieux, ça n’aurait pas d’intérêt, et les gens qui réfutent ou refusent le christianisme pourraient alors s’en donner à cœur joie, comme ils aiment à le faire dans tous les media possibles et imaginables – encore n’ont-ils pas en France le pouvoir d’une persécution active, même si la police est obligée, cette année encore, de veiller sur les églises, temples et synagogues à l’occasion de Pâques pour éviter les attentats auxquels le soi-disant État islamique a appelé…

 

Bouleversement donc, qui ne se conçoit et ne se voit et ne se vit que dans la mystique et la prière. Mais aussi dans le grand renversement que chantaient Anne et plus de mille ans plus tard Marie. Si l’aspect bouleversement, réunion des contraires et réconciliation, se vit intérieurement et dans les relations fraternelles en Église – ou devrait s’y vivre – l’aspect renversement, selon Anne et Marie, se vit et se voit dans la vie sociale au sens le plus large du terme. Car le jugement confessé par Anne, jugement de Dieu sur les humains et leurs sociétés, est réalisé dans la mort et la résurrection de Jésus. Ce que nous annonçons à Noël comme une espérance est réalisé à Pâques, non seulement « au ciel », mais sur terre, puisque la séparation a sauté ! Dans l’évangile de Jean, Jésus dit à Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » (Jean 3 / 16-18)

 

Qu’en est-il de ceux qui ne vivent pas de la vie du Christ mort et ressuscité, qui ne vivent pas du pardon reçu de Dieu à travers la croix de son Fils ? La question là encore n’est pas mythologique : « seront-ils sauvés quand même ? » ou je ne sais quoi… Non. Ils sont renversés dans leurs œuvres – tout comme nous le sommes nous-mêmes si nous nous attachons à nos œuvres à nous et non au grand œuvre de Dieu que nous fêtons à Pâques. Je vous relis les exemples de ce renversement dans la prière d’Anne : « L’arc des héros est brisé et ceux qui trébuchaient ont la vaillance pour ceinture. Ceux qui étaient rassasiés cherchent un gagne-pain, mais ceux qui étaient affamés ont du répit. Même la femme stérile enfante sept fois, mais celle qui avait beaucoup de fils est flétrie. […] De la poussière [l’Éternel] redresse l’indigent, du fumier il relève le pauvre, pour les faire siéger avec les notables. » Marie, elle, chantait : « [Le Tout-puissant] a dispersé ceux qui avaient dans le cœur des pensées orgueilleuses. Il a fait descendre les puissants de leurs trônes, Élevé les humbles, Rassasié de biens les affamés, Renvoyé à vide les riches. » (Luc 1 / 51-53)

 

Première question : pourquoi fait-il cela ? Les puissants, depuis la plus lointaine Préhistoire, ont toujours pensé que la divinité les justifiait à travers leur puissance et dans tout ce que cette puissance permet, et que les autres n’avaient pas cette chance, cette bénédiction, ces autres qui sont « ayant faim ou soif, étrangers, ou nus, ou malades, ou en prison », pour reprendre le discours de Jésus à propos du jugement des nations (Matth. 25 / 31-46). La même arrogance des puissants se laisse contempler dans beaucoup de ce que nous entendons comme nouvelles du monde, et point n’est besoin que je vous cite des exemples que vous-mêmes avez sûrement en tête. À notre petite échelle, nos voisins et nous-mêmes ne sommes pas exempts de cette tentation et il nous est facile d’y succomber si nous n’y prenons pas garde, car il est difficile d’y résister. Aussi avons-nous besoin de l’aide de Dieu, de la puissance de la résurrection de Jésus, pour être tirés vers le haut au lieu de dégringoler allègrement sur notre pente naturelle. Il en est de même du monde, ce n’est qu’une différence d’échelle : les conséquences au niveau des personnes ou au niveau du monde sont catastrophiques, ce que déjà Dieu énonçait à nos premiers ancêtres au sortir de jardin (Gen. 3 / 14-19).

 

Ayant bien compris pourquoi Dieu renverse l’ordre des choses : c’est parce que nous avons besoin de ce renversement pour vivre, nous pouvons nous poser la deuxième question : comment Dieu fait-il cela ? Il y a deux niveaux de réponse. Le premier niveau, c’est : à travers la croix du Christ, c’est ce que nous célébrons aujourd’hui et, en fait, chaque dimanche ! Ceux qui vivent en Christ ont sans cesse à l’esprit, aux oreilles, et parfois dans leur miroir et le regard des autres, la constatation qu’en Christ l’ordre de « la chair », pour parler comme Paul, a été renversé, et que Dieu a mis la vie là où régnait la mort. Ce sont les phrases que je ne vous ai pas citées à nouveau au milieu de la prière d’Anne, et que revoici : « L’Éternel fait mourir et il fait vivre, il fait descendre au séjour des morts et il en fait remonter. » Il est donc question de Jésus, pas de ce qui arrive à ceux que vous aimez et qui vous fait pleurer ! C’est Jésus qui est mort et qui est redevenu vivant, c’est Jésus qui est descendu aux enfers et qui en est remonté ! Comment donc Dieu opère-t-il ce grand renversement ? Il l’a fait, il le fait, il est le créateur, il renouvelle toutes choses, et vous et moi avec. Paul écrivait : « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. Les choses anciennes sont passées ; voici : elles sont devenues nouvelles. Et tout cela vient de Dieu. » (2 Cor. 5 / 17-18a)

 

Sommes-nous donc assez attentifs aux changements, au renversement de valeurs et de comportements, que l’Esprit saint opère en nous lorsque nous faisons confiance à l’Évangile, lorsque la foi du Christ vivant travaille en nous ? C’est cela que nous appelons couramment « conversion » sans trop chercher à en comprendre le sens : conversion, ce n’est pas changement de religion, c’est changement de notre être, corps et âme, désormais tourné vers Christ et non plus vers nous-mêmes et vers la mort. Ce qui implique tout de suite le deuxième niveau de réponse au « comment ». C’est que, si cela agit en nous et nous change, alors évidemment ce sont aussi nos relations qui sont changées, notre manière d’être dans le monde, et donc avec les autres. J’imagine que nos conjoints, nos familles, s’en rendent compte, quand nous devenons enfin un peu plus vivables, un peu plus aimants, un peu plus désintéressés… Dites-vous alors que nos collègues, nos voisins, nos compagnons dans une activité ou dans une autre, peuvent aussi s’en rendre compte, en le comprenant ou pas…

 

La puissance de la résurrection du Christ, le grand renversement dans le monde, passe donc aussi à travers le témoignage de nos vies elles-mêmes changées, renversées, remises sur pied. « Nous qui étions morts par nos fautes, [Dieu] nous a rendus à la vie avec le Christ », écrivait encore Paul (Éph. 2 / 5). Car en Christ, « l’Éternel fait mourir et il fait vivre. » A priori aucun de nous ne va aller combattre et détruire les gens qui font mourir le monde : il n’y a pas de djihadistes chrétiens ! Mais nous tous pouvons vivre dans le monde comme des ressuscités, non pas par nos propres forces – nous n’y arrivons pas et n’y arriverons jamais, c’est clair – mais avec la force de l’Esprit du Ressuscité. Nous tous, avec cette puissance qui n’est pas la nôtre mais qui travaille en nous, nous pouvons manifester que les valeurs et les comportements du monde sont mortifères, en vivant autrement, en ayant une autre relation aux autres, au travail, au social, une relation qui permette la vie, qui fasse du bien aux gens même à notre détriment – comme Jésus qui est allé jusqu’à la croix par amour pour nous.

 

Je viens encore de relire le chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens, vous savez : celui qu’on lit aux mariages en croyant qu’il parle du mariage ! Bien sûr qu’il en parle, mais il parle aussi de toutes nos autres relations, de tout ce qui constitue notre vie personnelle et sociale. « Si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien », dit-il (1 Cor. 13 / 2b). C’est exactement ce dont il s’agit. L’amour, c’est faire passer l’autre avant soi-même, comme Jésus l’a fait. C’est cela le grand renversement que chantaient Anne et Marie, et dont les chrétiens sont témoins par leur vie, par leurs actes – s’ils sont chrétiens ! Nous ne sommes pas comptables de la réaction de « l’autre » en question, mais de nos réactions à nous : sont-elles inspirées par le Christ ressuscité, ou bien par le diable, qui est nous-mêmes sans Christ ? Souhaitons-nous de joyeuses Pâques ! Souhaitons-les au monde, non pas seulement avec lapins et œufs en chocolat, mais avec la croix victorieuse de Jésus-Christ.  Mais souhaitons-les honnêtement : en aimant ceux à qui nous les souhaitons, en aimant le monde auquel nous les souhaitons, en voulant la vie pour ce monde qui s’abîme dans la mort et la désespérance, la même vie qui nous habite depuis Pâques, celle du Christ. Amen.

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  31 mars 2024

 

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