Premier livre de Samuel 16 / 14-23

texte :

L’Esprit de l’Éternel s’écarta de Saül, et un mauvais esprit venant de l’Éternel le tourmentait. Les serviteurs de Saül lui dirent : « Voici donc qu’un mauvais esprit de Dieu te tourmente. Que notre seigneur parle donc ! Tes serviteurs sont devant toi : ils chercheront un homme qui sache jouer de la harpe ; quand un mauvais esprit de Dieu sera sur toi, il en jouera de sa main et tu iras bien. » Saül dit à ses serviteurs : « Voyez donc pour moi un homme qui joue bien et amenez-le moi. » L’un des jeunes serviteurs répondit et dit : « Voici que j’ai vu un fils d’Isaï, de Bethléhem, qui sait jouer, un vaillant héros, un homme de guerre, sage en parole, un homme de prestance, et l’Éternel est avec lui. » Saül envoya des messagers vers Isaï pour lui dire : « Envoie-moi ton fils David, qui est au troupeau. » Isaï prit un âne, du pain, une outre de vin et un chevreau de chèvre, et l’envoya par la main de son fils David vers Saül. David arriva vers Saül et se tint devant lui ; il l’aima beaucoup et en fit son porteur d’armes. Saül envoya dire à Isaï : « David se tiendra donc devant moi, car il a trouvé grâce à mes yeux. » Lorsque l’esprit de Dieu était vers Saül, David prenait la harpe et jouait de sa main ; Saül respirait et il allait bien, et le mauvais esprit s’écartait de sur lui.

 

 

premières lectures :  Épître aux Colossiens 3 / 12-17 ; Évangile selon Luc 19 / 37-40

chants :  49-17, 12-21 et 62-81, 41-05

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prédication :

 

Chers amis, je ne sais pas jouer du kinnor – harpe ou lyre selon les traductions… Mais le « vrai » David, lui, il savait. Il avait toutes les compétences, aux dires du serviteur de Saül qui le connaissait. Il fallait bien qu’il les eût, pour être le Messie de l’Éternel (1 Sam. 16 / 1-13), tandis que Saül n’avait rien pour lui, messie déchu par Dieu lui-même pour avoir cru pouvoir se passer d’obéir à Dieu, l’Éternel, qui est le seul roi d’Israël, le seul chef de son peuple (1 Sam. 15). La principale question de toute cette histoire, et de nos textes de ce matin en particulier, c’est celle de la seigneurie du Dieu de Jésus-Christ et de ce que nous, nous en faisons. Quel rapport avec le chant et la musique ? Nous allons le voir…

 

Saül avait donc rejeté cette seigneurie, croyant bien faire, certes, mais un « bien » qui était tel à ses yeux à lui et non à ceux de Dieu. C’est ce que nous avons tous tendance à faire, nous chrétiens et nous Églises : nous accommodons la parole de Dieu aux temps et aux circonstances, et c’est nécessaire, mais nous le faisons selon nos propres critères, qui sont ceux de l’époque et de la mode, et non pas ceux du Seigneur lui-même. Saül n’a pas conscience d’avoir trahi les ordres de son Dieu, alors-même qu’il a fait le contraire de ce que Dieu lui avait demandé. Je ne vous citerai pas d’exemples actuels propres à notre Église. Mais chacun de nous peut tout à fait voir, dans sa propre vie, sa propre foi, sa propre théologie, ce qui contredit la parole de Dieu ! Il nous faut alors bien considérer comment, au début de notre texte, dans le quotidien de nos existences, nous sommes Saül, et non pas David…

 

Saül n’écoute que lui-même, privé désormais de « l’Esprit de l’Éternel » : le seul souffle qui le meut est le sien, ainsi qu’un étonnant « souffle mauvais de Dieu » – la différence des noms divins est importante, le texte ne dit jamais qu’il s’agit d’un autre « esprit de l’Éternel », mais seulement un « souffle divin mauvais ». Manière de dire que Saül est désormais le seul dieu de Saül, pour sa vie et pour son règne ? Mais l’Éternel peut tout : c’est lui qui a envoyé ce souffle mauvais – qui d’autre ?! Ce sont les deux faces de la même pièce, deux regards qui voient la même chose : je suis mon propre dieu, et je suis animé d’un « souffle mauvais », à la fois tentation à laquelle je succombe et sanction d’être mon seul maître. Ni Saül ni moi ne sommes libres, mais bien possédés, car il n’y a de liberté que dans l’obéissance à Dieu, dans la communion avec lui, contrairement à ce que nous pensons depuis les Lumières. Mais Saül n’avait pas attendu l’humanisme de notre XVIIIe siècle, car il en est ainsi depuis toujours, depuis Genèse 3 : l’être humain, connaissant pourtant Dieu, prétend être libre et décider sans lui, tout en croyant faire sa volonté.

 

« La musique adoucit les mœurs. » Depuis Platon et Aristote on le sait bien. Les serviteurs de Saül aussi le savaient ! Est-ce un conseil de musicothérapie, comme il semble ? Ou bien à l’inverse pensaient-ils que leur roi avait besoin d’être ramolli pour éviter de décider n’importe quoi, comme la suite de l’histoire montrera qu’il a tendance à le faire ? Saül était-il bipolaire ? En tout cas, le conseil sera bon, puisqu’il va amener David au palais, David le petit berger dont on sait déjà qu’il est ou sera « homme de guerre », « vaillant héros », dès le chapitre suivant contre Goliath (1 Sam. 17 / 12-58). Mais ici, c’est comme musicien qu’il est appelé, pour calmer Saül, pour « écarter le souffle mauvais » qui tourmente le roi. Quelle est donc la musique que joue David pour obtenir un tel résultat ? N’importe quelle musique fait-elle l’affaire ? Ne me dites pas qu’il jouait du Bach ! Peut-être alors les psaumes, qu’on lui attribue ? Mais vous savez bien qu’on n’en connaît pas la musique, alors que Claude Goudimel et Loys Bourgeois n’avaient pas encore composé sur les textes de Marot et Bèze…

 

Ce sont les deux autres textes de ce matin qui nous éclairent sur le sujet, et notamment la lettre de Paul aux Colossiens : « Que la parole du Christ habite en vous avec sa richesse ; instruisez-vous et avertissez-vous réciproquement, en toute sagesse, par des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels ; sous la grâce chantez à Dieu de tout votre cœur. Quoi que vous fassiez, en parole ou en œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâces par lui à Dieu le Père. » Ainsi David jouait-il et chantait-il, et non seulement les psaumes, mais aussi tout cantique chanté « sous la grâce », naturellement trinitaire puisque inspiré par l’Esprit, renvoyant à la parole du Christ et adressé avec reconnaissance à Dieu le Père. C’est bien ainsi d’ailleurs que la foi chrétienne a toujours lu et chanté le psautier biblique !

 

En fait, David est désormais dépositaire de l’Esprit de l’Éternel, comme il est dit au verset qui précède immédiatement le passage que nous avons entendu : « L’Esprit de l’Éternel s’empara de David. » Or l’Esprit de Dieu rend témoignage à Jésus-Christ (Jean 15 / 26). C’est un esprit d’obéissance et de liberté, tout comme Jésus fut libre et obéissant au Père jusqu’à la mort, sa vie librement donnée (Jean 10 / 18). C’est l’Esprit du Christ (Rom. 8 / 9), le Consolateur promis (Jean 14 / 25-26 ; 16 / 13-14). Mais la Parole de Dieu dure depuis toujours et pour toujours, elle ne change pas, c’est donc déjà elle que David annonçait et qui pacifiait Saül, c’est la musique des mots de Dieu annonçant Jésus-Christ, dont David ne fut qu’une figure imparfaite, mais figure quand même, ce que Saül ne fut pas : il ne fut pas roi à la manière du Christ telle que celui-ci en parlait à Pilate (Jean 18 / 36-37). N’avez-vous pas réentendu cet autre verset abondamment cité hier lors du couronnement du roi Charles III : « le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir » (Matth. 20 / 28) ? Voilà comment Jésus règne !

 

David chante-t-il pour Saül ou pour Dieu ? Il n’aurait pas chanté pour Dieu, cela n’aurait servi à rien pour apaiser Saül ! C’est bien parce qu’il est intervenu « au nom du Seigneur Jésus, en rendant grâces par lui à Dieu le Père », comme l’écrivait l’apôtre Paul, que l’effet produit l’a été pour le « bien », comme le notait l’auteur du livre de Samuel. Évidemment cela nous interpelle, et à plusieurs titres. D’abord quant à nos cantiques, à notre manière de les chanter. J’ai souvent observé que nous avions parfois le défaut de ne pas faire attention aux paroles lorsque nous les chantons ! Soyons protestants : un cantique, ce sont d’abord des paroles, et une musique qui les soutient. Pas l’inverse. C’est mieux quand la musique est bonne, certes ! Bach ne fut inspiré, oserai-je dire, que parce que ce sont des chorals chrétiens qu’il a harmonisés, des cantiques que les gens chantaient ! Il a mis son talent, il a mis l’esprit reçu de Dieu, au service de Dieu et des chrétiens : « à Dieu seul la gloire ! » Il nous faut donc bien chanter des paroles, les chanter pour Dieu et pour ceux qui les entendent, pour nous qui sommes donc aussi des Saül, même si maintenant nous sommes David !

 

Car, oui, nous sommes David. Et si nous ne le sommes pas, si nous n’en avons pas envie, « si [nous nous] taisons, les pierres crieront ! » Tous les Saül du monde, dans nos temples et surtout à l’extérieur, ont besoin que nous chassions leurs « esprits mauvais » par nos musiques et nos chants, par nos témoignages rendus à Jésus-Christ en paroles et en actes. Pas seulement en actes, mettant en avant nos propres œuvres chrétiennes, mais aussi en paroles et en musique ! Les bruits chaotiques, angoissants, destructeurs, du monde, ont besoin d’entendre la musique chrétienne, celle de notre foi, afin d’être un peu apaisés, même si le salut ne se trouve pas et ne se trouvera jamais en eux. Saül est voué à la mort, et pourtant Dieu a quand même choisi de l’apaiser par le moyen de David.

 

Nous sommes ce moyen pour ceux qui nous entourent, pour ceux dont le pouvoir et la pratique les aliènent eux-mêmes de Dieu et d’eux-mêmes. Nous sommes ce moyen si nous nous conformons pour nous-mêmes à la parole et à la pratique du Christ, dans un humble positionnement d’enfants devant leur Père, vivant de son grand amour éternel plutôt que du leur qui est bien petit et si facilement éteint. Nous sommes David par « la main » duquel, même si nous apportons vin et chevreau, c’est d’abord la musique de notre foi que nous instillons dans l’âme de Saül. Saül a besoin de David, même si la suite montrera qu’il ne l’aime pas et veut se débarrasser de lui, tout comme le monde n’aime pas la foi chrétienne et s’en passerait volontiers : mais c’est elle qui le libère et le pacifie, lorsqu’elle est fidèle, lorsque « l’Esprit de l’Éternel » y agit contre tout « mauvais esprit ». Rappelez-vous l’apôtre Paul emprisonné à Philippes : « Vers le milieu de la nuit, Paul et Silas priaient et chantaient les louanges de Dieu, et les prisonniers les écoutaient. Tout à coup il se produisit un grand tremblement de terre, au point que les fondements de la prison furent ébranlés ; au même instant, toutes les portes s’ouvrirent, et les chaînes de tous se détachèrent. » (Actes 16 / 25-26)

 

Telle est notre vocation : que nos vies et notre Église chantent les merveilles de Dieu, l’amour de Jésus-Christ, la vie offerte sur la croix et reçue par la résurrection du Christ. Peut-être certains en seront-ils apaisés, peut-être même reconnaîtront-ils d’où cela vient – mais ça, ce n’est pas entre nos mains, « Dieu pourvoira. » Quant à nous, jouons et chantons ! Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  7 mai 2023

 

 

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