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Nombres 21 / 4-9
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texte (trad. L. Segond) :
Ils partirent de la montagne de Hor par le chemin de la mer Rouge, pour contourner le pays d’Édom. Le peuple s’impatienta en route, et parla contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avez-vous fait monter hors d’Égypte, pour que nous mourions dans le désert ? car il n’y a point de pain, et il n’y a point d’eau, et notre âme est dégoûtée de cette misérable nourriture. » Alors l’Éternel envoya contre le peuple des serpents brûlants ; ils mordirent le peuple, et il mourut beaucoup de gens en Israël. Le peuple vint à Moïse, et dit : « Nous avons péché, car nous avons parlé contre l’Éternel et contre toi. Prie l’Éternel, afin qu’il éloigne de nous ces serpents. » Moïse pria pour le peuple. L’Éternel dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant, et place-le sur une perche ; quiconque aura été mordu, et le regardera, conservera la vie. » Moïse fit un serpent d’airain, et le plaça sur une perche ; et quiconque avait été mordu par un serpent, et regardait le serpent d’airain, conservait la vie.
premières lectures : Épître aux Hébreux, 5 / 7-9 ; Évangile selon Marc, 10 / 35-45
chants : 33-03 et 33-05 (Alléluia)
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prédication :
Chers amis, je ne sais pas si, au vu de l’état de notre Église, vous vous tenez le même discours que les Israélites au désert, contre Dieu et contre votre pasteur qui, certes, n’est pas Moïse… Vous impatientez-vous en route ? Sachez pourtant que le chemin a été choisi par Dieu lui-même, quelque incompréhension que nous en ayons. Rappelez-vous : il s’agissait de contourner le pays d’Édom par une route plus longue, mais plus sûre. Plus sûre, mais plus longue… Question de point de vue. Comme le rapportait le prophète : « Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées. » (És. 55 / 9) Privilégierons-nous le point de vue de Dieu, ou bien le nôtre ? Regarderons-nous avec un regard sain, ou bien comme des aveugles ? Oui, bien souvent nous regardons comme des aveugles, et nous ne voyons rien, pas même une vague lumière…
Alors, nous accusons la route, et celui qui nous y a placés, de tous les maux. Aucune reconnaissance. Dieu a-t-il donné la manne afin que nous tenions ferme tout du long ? « Notre âme est dégoûtée de cette misérable nourriture. » Évidemment, la Bible n’est pas un roman de gare, ni une œuvre philosophique, et sa poésie nous est un peu hermétique : il faut quelques efforts pour la lire, pour la manger ! Nous préférerions comprendre, voir, choisir. C’est comme Adam et Ève devant l’arbre de la connaissance de bien et mal (Gen. 3), c’est comme les Israélites un peu plus tôt au même désert avec le veau d’or (Ex. 32). Au désert, qui est notre lieu de marche, nous aimerions choisir nos repas, pouvoir cuisiner, être les maîtres de ce que nous consommons. Mais non : il n’y a que la Bible pour nous nourrir, nous n’avons pas le choix, le reste est indigeste ou fait mourir, quoi que nous en pensions…
Mourir. Oui, au désert il y a des « serpents brûlants », des « séraphins », le même mot qui, pour Ésaïe (ch. 6), désignera les personnages ailés qui lui donnent vocation, et qui, un peu plus loin dans le même prophète, désignera des « dragons volants » (És. 14 / 29 ; 30 / 6). Des monstres envoyés par Dieu – ou pas – mais qui vous agressent et vous tuent. Ne me dites pas que vous n’en avez jamais vu ! La mort est active dans la vie de chacun de nous, contre la vie de chacun de nous, et cela prend des formes variées, changeantes, étranges ou bien connues, attirantes ou repoussantes : deuils, maladies, addictions, lassitude, inimitié, pauvreté, richesse, vanité, etc. Chacun le sait ou le devine pour lui-même, selon que ces monstres sont à l’intérieur ou à l’extérieur de soi…
Dans notre texte, il y a trois acteurs, et même quatre : le peuple, Moïse, l’Éternel, et le serpent d’airain. Je vous ai dit que je n’étais pas Moïse, et nous n’avons pas de pape censé être plus près de Dieu que nous autres ! Nous, nous en sommes réduits à trois acteurs, et ainsi, c’est nous-mêmes, « petit troupeau » (Luc 12 / 32) mais « peuple de Dieu » (Juges 20 / 2), c’est nous-mêmes qui pouvons nous tourner directement vers Dieu en reconnaissant que « nous avons péché ». Cette étape est incontournable, et si nous l’intégrons ordinairement dans notre culte, ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout : avons-nous réellement cette conscience d’être des pécheurs, des gens rebelles à la volonté de Dieu que pourtant nous connaissons ? Comment pouvons-nous prendre le médicament si nous ne reconnaissons pas que nous sommes malades, que nous en avons besoin ? Comment pouvons-nous guérir si nous pensons toujours que la société, et surtout les autres, sont plus malades que nous ? Nous avons besoin du pardon de Dieu non pas sur ce que nous faisons – pour ça, c’est du pardon des autres, et parfois de nous-mêmes, dont nous avons besoin – nous avons besoin du pardon de Dieu sur ce que nous sommes, des gens coupés de lui, guidés par leur propre intérêt, toujours insatisfaits d’être ses enfants.
Mais l’exaucement de notre prière ne consistera pas à enlever les « séraphins », les « serpents brûlants ». Dieu nous a donné non pas un moyen de ne pas être tentés, mordus, tués, mais un moyen d’être pardonnés, guéris, sauvés. L’objet que Moïse a fabriqué sur les indications de Dieu n’existe plus, il était devenu une idole, tout comme la manne et l’arche d’alliance sur laquelle il était posé. Nous ne pouvons donc plus le regarder pour rester en vie. Ce dont parle réellement le texte n’est donc pas cet objet qui ressemble farouchement à un caducée même s’il ne comportait qu’un seul serpent ! C’est l’évangile de Jean qui nous donne la réponse, que vous connaissez : « Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut, de même, que le Fils de l’homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » (Jean 3 / 14-18)
Tous mordus par le Tentateur – c’était déjà un serpent, au Jardin (Gen. 3) – mais il y a une issue. Il n’y a rien à faire, sauf deux choses, une alternative : se laisser mourir, ou bien tourner nos regards vers celui qui est mort à notre place pour nous offrir sa vie à lui, devenant ainsi, lui et non pas nous, « l’auteur d’un salut éternel », comme l’écrit l’épître aux Hébreux. Nous attendions de devenir capables d’un acte puissant, héroïque, pour nous sauver nous-mêmes, comme ses ennemis l’attendaient de Jésus au pied de sa croix : « Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même ! Il est roi d’Israël, qu’il descende de la croix… » (Matth. 27 / 42) Mais non : ni nous, ni lui. La puissance ne sauve pas, elle tue – c’est celle de Rome et de la religion, c’est celle des « séraphins ». Le salut n’est pas une question de magie ni de puissance, c’est une question de vie et de mort, de sa mort et de ma vie. « Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs. » Notre médicament n’est pas une panacée miraculeuse, c’est un acte unique d’amour, qui ne nécessite de notre part que d’accepter d’en être les bénéficiaires, de lui faire confiance.
Ainsi, celui qui est homme a reçu dans son humanité mortelle le pouvoir de nous délivrer de la mort, et c’est par sa mort qu’il nous délivre de la nôtre, c’est par son obéissance et non par la nôtre qui n’est rien, ne pèse rien. Alors, il n’y a rien à faire, quant à nous ? Une seule chose, mais elle est primordiale : regarder à Jésus, comme les Israélites devaient regarder le serpent d’airain. Mais ensuite, on reste là les bras croisés ? Mais non : il y a de la route encore, on n’est pas arrivés ! Cela se passe au désert, en route vers une terre promise qui est toute proche, mais il faut encore faire des détours… Il faut continuer à marcher, il ne faut pas se laisser abattre, il ne faut pas céder à la faim : il y a la manne, la Bible ; et il ne faut pas céder aux séraphins : il y a le serpent d’airain, le Christ crucifié, vainqueur.
Aurez-vous alors, malgré la tradition réformée, un crucifix comme les luthériens ou les catholiques ? Point n’est besoin, encore que ça me semble question indifférente… Ce n’est pas à l’image de Jésus qu’il faut regarder, mais à sa personne, à lui-même, comme à un frère, un ami, un seigneur à qui l’on doit tout et qui pourtant ne réclame rien d’autre que de pouvoir nous faire vivre et nous rendre libres et heureux. Cela nous dispense aussi du fantasme de la puissance pour nous-mêmes : comment pourrait-on vouloir être plus que le Seigneur qui fait vivre ? « Il a été tenté comme nous en toutes choses, sans le péché. » (Hébr. 4 / 15) Comment peut-on s’imaginer que « siéger à sa droite [ou] à sa gauche » signifierait autre chose que de vivre la même tentation, mais nous avec le péché qui nous fera tomber ? Non, comme lui il faut accepter d’en passer par la faiblesse, la souffrance et la mort – pas les rechercher, mais faire avec, car elles n’atteignent pas ce que nous sommes vraiment : des fils et des filles de Dieu.
Si donc le diable vous attend au tournant, voire lorsqu’il vous prend par la main, tournez-vous vers le serpent d’airain dressé sur son poteau, le Christ souffrant qui vous a ainsi « rachetés à grand prix » (1 Cor. 6 / 20), et lâchez la main qui vous emmène dans le précipice. Christ vous a donné la victoire, et vous marchez vers elle. Allez-y ! Amen.
Raon-l’Étape (avant A.G.) – David Mitrani – 18 mars 2018