Michée 5 / 1-4a

 

texte :  Michée, 5 / 1-4a   (trad. : Bible à la colombe)

premières lectures :  Évangile selon Luc, 2 / 15-20 ;  épître à Tite, 3 / 4-7

chants :  257 et 360  (Arc-en-ciel)

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« C’est lui qui sera la paix. » Ainsi se termine l’extrait du prophète Michée qui nous est proposé ce matin. Voici maintenant ce qu’écrivait il y a quelques jours l’évêque luthérien de Terre sainte dans ses vœux de Noël : « Non, je ne vois pas beaucoup de preuves de paix. Je ne suis pas optimiste. Mais Noël me donne de l’espoir. La saison de Noël vient, et nous n’échappons pas à la réalité, mais nous avons l’espace pour nous rappeler comment Dieu rend l’impossible possible. Dans un temps de désespoir, le Prince de la Paix est né. Dans un temps dans l’histoire où tout semblait aller mal, la main de Dieu s’est avérée être plus forte que la main des politiciens. Le monde peut être incroyablement sombre aujourd’hui, mais mon espoir est dans celui qui s’appelle Emmanuel, Dieu avec nous, la lumière du monde. Ce qui est impossible pour les êtres humains est tout à fait possible pour Dieu – à la manière de Dieu, pas à la nôtre. »

 

Avec lui, hélas encore mieux placé que nous pour cette constatation, nous voyons bien qu’il n’y a pas de paix dans ce monde. Y en aurait-il eu que la prophétie de Michée n’aurait eu aucun sens : quel besoin d’un roi-berger pacificateur, si les humains étaient capables sans lui d’établir la paix ? Une vraie paix, j’entends, pas une simple coexistence. Une paix dans laquelle les peuples et les nations ennemis seraient réconciliés, mais aussi les frères et sœurs ennemis, les cousins ennemis, les voisins ennemis, les groupes sociaux ennemis, les religions et idéologies ennemies, etc. Une paix qui irait du bout du monde jusqu’à ma porte, et même jusqu’à la porte de mon cœur, et même en-deçà, c’est-à-dire jusqu’à ma propre transformation ! Mais malheureusement, les grands de ce monde ne veulent pas de cette paix, ni les politiciens, ni « les gens », ni moi non plus, parce que je ne veux pas être transformé, je ne veux pas que mes repères soient déplacés et encore moins ôtés.

 

En fait, s’il n’y a pas de paix, c’est parce que ça arrange tout le monde – sauf ceux qui n’ont plus les moyens de réagir, qui souffrent, qui meurent, à cause de cette absence de paix. Bien sûr, me direz-vous, il y a ceux qui parlent de paix la bouche en cœur, qui sont de tous les « bons » combats, comme s’ils voulaient vraiment la paix, alors qu’ils sont les paravents d’intérêts politiques ou économiques aussi néfastes que les autres. Y aurait-il donc de « bons » combats ? Demandez aux chrétiens de Syrie ce qu’ils pensent de la victoire de Bachar el-Assad et des Russes, et donc de la défaite d’al-Qaïda et de ses alliés à Alep ! Ils ne vous diront pas la même chose que les pacifistes de chez nous… Chacun, là-bas ou ici, mène les combats qui sont les siens, ceux qui l’arrangent, ceux qui sont conformes à ses propres intérêts. « Il n’y a pas de juste, pas même un seul. » (Rom. 3 / 10)

 

Je reviens à ce que disait l’évêque Munib Younan : « à la manière de Dieu, pas à la nôtre… » Dieu ne mobilise donc pas les Nations unies, ni aucune armée fût-elle de paix, aucune manifestation de masse, aucun lobbying, aucun « grand » pays qu’il soit d’Est ou d’Ouest sous la protection duquel les « petits » pays devraient se ranger. Dieu ne mobilise pas mes bons sentiments, car je n’ai pas de bons sentiments sinon à mon propre égard ! Le prophète Michée par contre nous dit des choses fort intéressantes sur « la manière de Dieu », justement, qui est tout le contraire de la nôtre, comme vous allez le voir.

 

En premier lieu, Dieu ne choisit pas ce qui brille aux yeux des humains, mais ce qui est l’insignifiance-même : le moindre des villages ! Tout le récit de Noël dit la même chose, et c’est tant pis pour nous, car ce sont toutes nos attentes qui sont ainsi déjouées. Dieu ne veut pas assumer la puissance telle que les hommes la rêvent, et qui est perverse : c’est elle qui cause tous les conflits ! Dieu choisit donc toujours le plus petit, le dernier, la stérile, Isaac plutôt qu’Ismaël, Jacob plutôt qu’Ésaü, Rachel plutôt que Léa, David plutôt que ses frères, etc., et Bethléhem plutôt que Jérusalem ! Mais attention : ne choisissons pas à la place de Dieu, car nos yeux sont infirmes à discerner qui il choisit, qui est le véritable petit… Jésus n’était-il pas le rejeton d’une dynastie déchue depuis longtemps ? D’aucuns diraient qu’il était donc un « grand » … N’inversons pas la logique : c’est le choix de Dieu qui dit qui est petit et donc aimé et choisi ; ce ne sont pas nos critères qui disent à Dieu ce qu’il doit faire. Celui qui se revendiquerait petit ne serait rien d’autre qu’un grand, aveugle sur lui-même, ou alors un menteur…

 

En second lieu, Dieu n’est pas lié non plus à nos urgences à nous, à notre temps à nous. « Mille ans sont, à tes yeux, comme le jour d’hier, quand il passe, et comme un quart de la nuit », déclarait le psalmiste (Ps. 90 / 4). Hors du temps et de l’espace, son choix, son salut, sa délivrance, sa paix, sont arrêtés depuis « le lointain passé, les jours d’éternité ». Ce n’est pas à Dieu de s’accorder, là encore, à nos priorités, même si nous avons parfois le sentiment que ça n’a jamais été aussi mal qu’aujourd’hui, et que s’il doit intervenir c’est maintenant ou jamais… Quel orgueil ! Non, c’est à nous à nous accorder au temps de Dieu, au projet de Dieu, à l’Évangile de Dieu. Sinon, il ne nous reste que notre sentiment d’être abandonné, comme le prophète le déclare aussi. Si nous ne regardons pas du bon côté, comment verrions-nous s’accomplir l’œuvre de Dieu, comment saurions-nous qu’en elle est notre salut et notre bonheur ?

 

Alors, quelle est cette œuvre ? C’est le rassemblement de tous ceux qui sont dispersés. Dieu n’en reste pas à Babel (Gen. 11 / 1-9), lorsqu’il empêcha le totalitarisme de se prendre pour Dieu, lorsqu’il brisa le rêve qui voulait ne « voir qu’une seule tête » dans une humanité dont la diversité était niée. Dieu a assumé cette diversité, afin que « toutes les familles de la terre soient bénies », comme il l’a promis à Abraham (Gen. 12 / 3). Pentecôte, c’est le contraire de Babel, non pas parce que le rassemblement est le contraire de la dispersion, mais parce que le rassemblement par Dieu est le contraire du rassemblement uniformisateur auquel nous rêvons encore : ah, si tout le monde pouvait être comme nous ! Eh bien non. Le rassemblement promis est un rassemblement de gens différents, non pas à cause de leurs ressemblances, non pas à cause de leurs différences, mais à cause seulement de celui qui les rassemble ! Au « faisons-nous un nom » de la voix anonyme de Babel répond la parole de Jésus sur « ceux qui sont réunis en mon nom » … (Matth. 18 / 20)

 

La paix n’est pas autre chose, un autre temps, un autre espace, que ce rassemblement. Il n’existe et n’existera jamais que sous la houlette du Berger que Dieu a donné à Israël et au monde : Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, né dans la chair mortelle et ressuscité en gloire, notre Seigneur et notre frère. N’est-ce pas lui que nous fêtons en ce jour de Noël ? Mais il n’est pas venu pour Noël, mais pour toute la vie et pour le monde entier. Que serait donc fêter un anniversaire en n’en ayant rien à faire de la personne dont c’est l’anniversaire ?! C’est Jésus que nous fêtons, le Prince de paix dans un monde sans paix, le Dieu vivant dans un monde où les gens meurent sans Dieu ou avec de faux dieux qui ne leur servent à rien. Tout rassemblement en un autre nom que celui de Jésus ne serait pas la paix, mais à nouveau Babel, cimetière humaniste ou totalitaire où croire en l’Homme n’aurait été qu’un prétexte pour mépriser les humains concrets…

 

Là encore, Dieu n’est pas comme nous. Lui, c’est des humains concrets qu’il a souci. Et c’est pour ça que le Fils unique est venu comme un homme concret, dans une existence contingente, datée, localisée, d’une naissance parfaitement anonyme à une mort ignominieuse. Et c’est dans cette même existence humaine qu’il est ressuscité et toujours vivant aujourd’hui, non pas mon modèle ou mon inspirateur, mais « mon Seigneur et mon Dieu » (Jean 20 / 28). Noël ne célèbre donc pas l’anniversaire d’un personnage du passé, mais de quelqu’un qui est vivant, présent, actuel. Et c’est la seigneurie, le pouvoir, de cet homme-ci, qui fait de nous des frères et sœurs, les siens. Et c’est lui encore qui nous tourne vers les autres gens concrets, amis ou ennemis, bons ou mauvais, semblables à nous ou farouchement différents de nous, en nous les faisant voir comme de possibles nouveaux frères et sœurs. Ainsi se construit la vraie paix : par Jésus et à cause de lui.

 

C’est « avec la force de l’Éternel », prophétisait Michée. Cette force est celle de la résurrection ; en fait : celle de la croix. Noël, vous le savez bien, n’est que l’ombre de la croix projetée sur la venue de cet homme, Jésus, pour en révéler le sens. Cette « force de l’Éternel » n’a pas comme armes de guérir notre santé, de remplir notre compte bancaire, de soulager notre jeune ou notre grand âge, de trouver du travail à ceux qui en manquent et de donner du repos à ceux qui en ont trop, de tuer nos ennemis ou de désarmer nos adversaires. Mais elle révèle l’inanité de nos espoirs et de nos combats. « La force de l’Éternel » s’applique à détruire la mort, non à la donner ; à donner dignité aux malades et aux mourants, aux pauvres et aux opprimés. Elle ne légitime aucun de nos combats, mais elle les libère de devoir se justifier en lui : que chacun fasse ce qui lui semble juste, mais que personne ne se prétende chrétien dans ses combats ! Le seul combat chrétien est celui que Jésus a mené sur sa croix, et qu’il a gagné.

 

Là s’est révélée « la majesté du Nom de l’Éternel », là est à jamais notre demeure. La crèche n’est qu’un lieu de passage, pour Jésus comme pour nous, c’est le lieu de notre naissance et de notre vie terrestre : rien d’autre qu’une mangeoire pour le bétail ! Et qui plus est à Bethléhem, « maison de guerre » … Notre demeure et notre paix sont au pied de la croix, c’est là que nous sommes rassemblés tous tels que nous sommes, c’est là que la mort du Fils unique est notre vie, c’est là que nous sommes à jamais rendus libres pour marcher debout devant Dieu notre Père et pour témoigner de sa justice et de sa paix devant tous les humains. « Il est dès maintenant glorifié jusqu’aux extrémités de la terre », concluait le prophète. Que la plupart des gens y soient aveugles ne saurait nous surprendre : nous-mêmes le sommes tellement souvent, fermant les yeux sur l’œuvre de Dieu pour recommencer à croire en les nôtres. Mais que la cécité de la plupart, et parfois la nôtre, ne nous servent pas de prétexte pour quitter notre demeure, qui est en Jésus-Christ. Nous y serions perdus…

 

Lorsqu’un autre prophète écrivait qu’ « un enfant nous est né, un fils nous est donné » (És. 9 / 5), le « nous » n’était pas de pure forme. C’est bel et bien à nous autres tels que nous sommes que cet homme a été donné, c’est pour nous qu’il est né et c’est pour nous qu’il est mort, c’est pour nous et avec nous qu’il a vaincu la mort, la guerre, la haine. « Ce qui est impossible pour les êtres humains est tout à fait possible pour Dieu – à la manière de Dieu, pas à la nôtre. » Comme disait le pasteur Younan. Là est notre demeure parce que c’est la maison de paix, c’est là « qu’il est bon, qu’il est agréable pour des frères d’habiter unis ensemble » (Ps. 133 / 1). Noël, c’est le début de notre paix, mais elle est à vivre tous les jours « à la manière de Dieu ». « Que le Dieu de paix soit avec vous tous. Amen. » (Rom. 15 / 33)

 

Saint-Dié  –  David Mitrani  –  25 décembre 2016

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