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Josué 2 / 1-21
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texte : Josué 2 / 1-21
premières lectures : Évangile selon Matthieu 15 / 21b-28 ; Ésaïe 49 / 5-6 ; épître aux Romains 10 / 9-18
chants : 47-15 et 45-13
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« Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. » Ainsi s’exprime la sagesse populaire. Cela s’appliquerait-il à Jésus avant qu’il fût convaincu par la femme dite cananéenne ? Encore que lui a entendu ! Cela s’appliquerait-il alors à Israël à la suite de ce que l’apôtre Paul exprimait dans sa lettre à l’Église de Rome ? En tout cas cela ne saurait s’appliquer à Rahab, prostituée sise au rempart de Jéricho ! De la bataille de Jéricho, que nous avons souventes fois entendu chanter en anglais par des groupes gospel, nous retenons facilement l’arrêt du soleil et l’effondrement des murailles, mais nous ne saurions oublier cet épisode préparatoire : celui des espions israélites qui furent mis à l’abri par cette femme qui, elle aussi, était pourtant clairement cananéenne.
Par cet adjectif qu’employait l’évangéliste Matthieu de manière totalement anachronique, la Bible désigne tout ce qu’il y avait de plus païen dans la religiosité des habitants du pays d’Israël, quelle que fût leur origine. Ainsi dans notre texte, des habitants de Jéricho avant la conquête qui va suivre. Mais ainsi en est-il également de tout soi-disant Israélite qui va invoquer le dieu de l’orage au sommet des collines (p.ex. 1 R. 22 / 44), de toute femme qui à la maison fait des gâteaux pour la reine du ciel (Jér. 7 / 18), si l’on en croit les critiques des prophètes à l’égard de leur peuple. Les Cananéens français d’aujourd’hui seraient donc les chrétiens de nom, voire de pratique cultuelle, mais qui croient au destin et consultent leur horoscope, invoquent les morts ou sacrifient à la « mère nature », travaillent à leur réincarnation, ou toute autre chose condamnée par la Bible en matière de spiritualité – eux tout autant que ceux qui sont expressément d’une autre religion ou qui se revendiquent clairement du paganisme.
Que faisait donc Rahab avant ce jour où les espions envoyés par Josué sont allés voir à quoi Jéricho ressemblait ? Nous n’en savons rien. À quoi servaient les « tiges de lin arrangées pour elle sur le toit » ? Nous n’en savons rien non plus. Étaient-ils relatifs à sa profession officielle, qui aurait été tisseuse de lin, comme je l’ai lu quelque part ? Ce serait étonnant, « le plus vieux métier du monde » devant parfaitement lui suffire, elle qui avait pignon sur rue puisque même le roi de Jéricho la connaissait… Ce lin avait-il alors un quelconque sens religieux, comme l’éphod bordé de lin sur le vêtement du grand-prêtre juif (Ex. 28 ; 39) ? Mystère… En tout cas, au moment où elle y cache les espions, ce ne sont plus que des objets pratiques pour cette cachette, installés au bon endroit au bon moment. Nous ne savons donc pas ce qu’elle croyait ni quelle était sa pratique religieuse préalable. Le texte nous la montre déjà croire et confesser, ou à tout le moins craindre, le Dieu d’Israël qu’elle appelle par son nom, ce nom que nous traduisons « l’Éternel ». Ainsi sommes-nous invités à méditer sur cette femme supposée étrangère à la foi d’Israël, et pourtant croyante tout comme les Israélites, croyante au même Dieu, et à lui obéissante.
Avant qu’aucun dialogue entre Rahab et ses hôtes ne nous soit rapporté, elle ment à ses risques et périls aux policiers ou soldats qui lui ont été envoyés, elle les envoie sur une fausse piste sans craindre les représailles lorsqu’ils rentreront bredouilles. Le dialogue auquel nous assistons n’intervient qu’ensuite, lorsqu’elle retourne vers les hommes qu’elle avait cachés. La constatation qu’elle leur livre sur l’effroi de la population à l’égard de ces gens qui ont un Dieu si puissant sera un précieux renseignement pour Josué, chef de guerre d’Israël. Mais ce pourrait être l’expression d’un polythéisme ordinaire au Proche-Orient ancien comme aujourd’hui en Inde par exemple : il y a beaucoup de dieux, celui ou ceux qu’on adore, et puis tous les autres, connus ou inconnus, dieux d’autres peuples ou d’autres groupes de gens, dieux qu’on connaît ou dont on a entendu parler mais qui ne sont pas nôtres ; tel aussi le fameux « Dieu inconnu » du discours d’évangélisation de Paul devant l’Aréopage d’Athènes (Act. 17 / 23). Or la constatation des actes de puissance du Dieu d’Israël entraîne chez Rahab une vraie confession de foi monothéiste : « l’Éternel, votre Dieu, est Dieu dans les cieux, là-haut, et sur terre, ici-bas. » Pourtant les espions retiennent seulement que grâce à cela ils peuvent marchander avec elle son salut et celui de sa famille lorsqu’Israël prendra la ville. Serait-ce qu’ils hésitent encore à faire confiance à celle à qui ils doivent la vie ?
Mais l’important n’est pas là. Il est dans la foi de Rahab. Aucun jugement de valeur n’est porté sur sa profession qu’on dirait aujourd’hui honteuse – et qui devait bien l’être déjà, sinon elle n’habiterait pas aux limites de la cité… De même que dans la Genèse il n’est porté aucun jugement sur la polygamie et l’endogamie du clan d’Abraham… Aucun jugement n’est porté non plus sur le fait que Rahab est une étrangère. Au contraire, c’est à cause de cela-même qu’elle peut aider les espions, bien sûr ! Ce qui compte, c’est que cette étrangère prostituée confesse le Dieu vivant, et qu’à cause de cela elle aide le peuple de ce Dieu. C’est comme dans le discours sur « le jugement des nations » vers la fin de l’évangile de Matthieu, quand Jésus affirme : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Matth. 25 / 40) À cause de cela, Rahab sera épargnée, elle et les siens (Jos. 6 / 17. 25). « Elle a habité au milieu d’Israël jusqu’à aujourd’hui, parce qu’elle avait donné abri aux messagers que Josué avait envoyés pour espionner Jéricho. » Dans le Nouveau Testament, l’un retiendra que son salut est dû à sa foi (Hébr. 11 / 31) tandis qu’un autre retiendra qu’il est dû à ses œuvres (Jacq. 2 / 25) !
Sa foi agissante, dirons-nous, a donc acquis à Rahab droit de cité en Israël, ce qui amènera l’évangéliste Matthieu à l’introduire dans la généalogie de Jésus dès la première page de son livre (Matth. 1 / 5), en en faisant même la mère de ce Booz qui épousera Ruth… Mais cette foi agissante est d’abord une confession de foi, sa foi est la raison pour laquelle elle sauvera les deux espions. Le passage de l’épître aux Romains lu tout à l’heure le redit bien : la foi véritable, celle qu’on est capable de confesser, voilà où réside le salut, voilà qui permet de vivre la communion avec Dieu. Et ce, qui qu’on soit, quoi qu’on ait fait, d’où qu’on vienne. Dirais-je que le salut de Rahab ne tient qu’à un fil ? Mais il est solide, ce fil rouge qui pend à sa fenêtre, symbole de sa foi.
Rahab nous redit deux choses que nous connaissons bien, mais qu’il est bon de réentendre et de se réapproprier pour la vie de tous les jours. La première de ces leçons, c’est que la foi est, devant Dieu, la seule chose qui compte dans nos vies, et que nos amours et nos solidarités sont elles-mêmes incluses et au bénéfice de cette foi, tout comme la famille de Rahab sera sauvée avec elle. Nous, bien trop souvent, nous procédons à l’envers : d’abord les nôtres (nos familles, nos amis, nos relations, notre travail, notre maison) et ensuite Dieu et la foi. Déjà après le retour de l’Exil à Babylone, il avait fallu que les prophètes Aggée et Zacharie secouent les gens pour qu’ils se préoccupent de la reconstruction du Temple de Jérusalem, eux qui s’étaient d’abord occupés de leurs propres affaires. C’est de tout temps : nous sommes des mécréants, ou, pour le dire plus gentiment comme Jésus lui-même, nous sommes des « gens de petite foi » (p.ex. Matth. 6 / 30). Nous arguons sans cesse des deux commandements d’amour pour définir le christianisme, mais nous oublions le premier des deux, nous « laïcisons » la foi chrétienne !
Or, dans deux des textes de ce matin, c’est une Cananéenne qui est prise comme exemple d’une foi plus grande que la nôtre, Rahab et la femme rencontrée par Jésus en Phénicie. C’est bien de là que vient la seconde leçon : Dieu étend sa « lumière » à toutes « les nations », comme prophétisé par Ésaïe à propos de ce qu’accomplira Jésus, comme aussi le confessera Siméon lors de la présentation de Jésus enfant au Temple (Luc 2 / 32). C’est l’accomplissement de la promesse que Dieu avait faite à Abraham et aux patriarches, d’être dans leur descendance « bénédiction pour toutes les familles de la terre » (Gen. 12 / 3). Cette promesse qui sera accomplie en Jésus est déjà à l’œuvre dans l’Ancien Testament, et Rahab en est la preuve. Depuis le commencement de l’Évangile, c’est nous qui en sommes la preuve : nous ou nos ancêtres, pris parmi des gens de toutes sortes, de toutes origines nationales, familiales ou sociales. « Il n’y a pas de différence, en effet, entre le Juif et le Grec : ils ont tous le même Seigneur, qui est riche pour tous ceux qui l’invoquent. » Encore faut-il l’invoquer…
Et c’est bien là que les deux leçons du récit de Rahab et des espions sont liées. Le salut, la communion avec Dieu malgré le péché de l’être humain, sont offerts à tout être humain dans la foi. Il n’y a pas d’universalisme du salut comme si tous les pécheurs étaient sauvés, quelle que soit leur foi ou leur non-foi. Sinon Dieu et Jésus n’ont aucun sens et aucun intérêt, ils ne servent à rien non plus que d’être en relation avec eux. Jetons donc la Bible et rentrons chez nous, le salut et l’humanité sont synonymes, « mangeons et buvons car demain nous mourrons… » (És. 22 / 13) Mais il y a une universalité de l’offre de salut, si l’on peut dire. Ou plutôt, ceux qui sont appelés ne le sont pas à cause de leurs qualités ou de leurs défauts, de leurs mérites ou de leurs péchés, de leur race ou de leurs convictions. Ils sont appelés de partout par Dieu qui se révèle à qui il veut, offrant ainsi un témoignage de son amour, un témoignage qui puisse susciter la conversion et la foi.
De ces deux leçons conjuguées nous pouvons enfin en tirer deux autres. La première est qu’il nous faut, nous-mêmes, remettre la foi au centre de notre vie. Dieu est premier ou bien il n’est pas : ceci est vrai dans la religion de chacun de nous comme pour notre Église. Il nous faut y être attentifs, parce que la nature humaine reprend vite le dessus en nous. Ainsi il est bien que notre Église retrouve deux groupes de prière, à Saint-Dié et à La Petite-Raon. Mais leur existence n’a de sens que si nous nous y rendons, les uns et les autres, y compris éventuellement avec des chrétiens d’autres Églises. Tout comme pour nos études bibliques. En faire la liste sur un calendrier n’a de sens que si des chrétiens y sont et en ressortent enrichis, rapprochés de Dieu.
Quant à la seconde leçon, c’est que, indépendamment de toute question de politique migratoire, les étrangers qui sont chez nous ou à côté de nous peuvent aussi, de par Dieu, nous être frères et sœurs dans la foi. Seulement dans la foi. Mais pleinement dans la foi. L’expérience de Pierre avec le capitaine romain Corneille est au cœur du Nouveau Testament pour nous le dire aussi ; certes nous pouvons nous en étonner, mais aussi nous en réjouir : il est des païens qui rencontrent comme nous le Christ et qui adhèrent à lui par le Saint-Esprit (Act. 10). Quoi qu’en disent certains, les raisons morales de s’intéresser aux étrangers ne pèsent pas grand-chose face à notre confort. Mais ce qui pèse, c’est la foi dans le Dieu de Jésus-Christ : il peut faire de n’importe qui un chrétien, une chrétienne, même d’un militaire romain, même d’une Cananéenne… Ne soyons pas sourds ni aveugles, soyons attentifs pour en témoigner et nous en réjouir avec eux. Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 13 octobre 2019