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Job 42 / 1-6
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texte :
Job répondit à l’Éternel :
« Je reconnais que tu peux tout,
Et qu’aucune réflexion n’est inaccessible pour toi.
– Qui est celui qui assombrit mes desseins (par des propos) dénués de connaissance ? –
Oui, j’ai fait part, sans les comprendre,
De merveilles qui me dépassent et que je ne connaissais pas.
– Écoute-moi, et moi je parlerai ;
Je t’interrogerai, et tu m’instruiras. –
Mon oreille avait entendu parler de toi ;
Mais maintenant mon œil t’a vu.
C’est pourquoi je me condamne et je me repens
Sur la poussière et sur la cendre. »
premières lectures : Évangile selon Luc 2 / 25-38 ; première épître de Jean 1 / 1-4
chants : 31-32 et 31-19
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prédication :
« Mon œil t’a vu. » Qui donc peut dire cela… à part Siméon, Jean, Job, les apôtres, et les mystiques ? Mais ça fait déjà quelques personnes… Job avait dit, dans un passage bien connu : « Après que ma peau aura été détruite, moi-même en personne, je contemplerai Dieu. C’est lui que moi je contemplerai, que mes yeux verront, et non quelqu’un d’autre ; mon cœur languit au-dedans de moi. » (Job 19 / 26-27) Cette espérance est mienne, et j’espère pour vous que c’est aussi la vôtre, même si vous pouvez la dire tout autrement que Job. Pourtant, au dernier chapitre du livre, dans les versets que nous avons entendus, Job a cessé de languir, semble-t-il : il reconnaît avoir vu pendant cette vie celui qu’il n’espérait voir qu’au-delà de la mort. Cela serait-il aussi pour moi, pour vous ?
Que s’est-il donc passé pour Job ? Dieu lui a enfin répondu (Job 38 / 1), dans les trois chapitres précédents. Il a montré son œuvre à Job, lui faisant ainsi comprendre… que Job n’avait rien compris, que ses reproches étaient infondés, quand bien même sa révolte contre la souffrance était légitime. Mais si Dieu a partie liée avec la souffrance, ce n’est pas parce qu’il s’en servirait comme punition ou comme épreuve – ça, c’était le discours des amis de Job, un discours que Dieu va condamner dès les versets qui suivent ceux que je vous ai lus. Si Dieu a partie liée avec la souffrance, c’est que depuis la Création il passe son temps à l’écarter, à la repousser aux limites du monde, afin de rendre celui-ci supportable, vivable. Job a enfin réalisé que Dieu n’était pas contre lui, mais pour lui, même s’il ne le voyait pas agir. Voir. Qu’est-ce alors que voir Dieu ? « Personne n’a jamais vu Dieu », confessera le prologue de l’évangile de Jean (Jean 1 / 18). Or Jean connaissait le livre de Job, bien sûr. Alors, voir Dieu ?
Job note ici une opposition importante entre deux modes de connaissance de Dieu : « Mon oreille avait entendu parler de toi ; mais maintenant mon œil t’a vu. » Le premier mode de connaissance est amené par cette phrase : « j’ai fait part, sans les comprendre, de merveilles qui me dépassent et que je ne connaissais pas. » Et par le rappel de la moquerie de Dieu à l’égard de Job prétendant parler de lui… Job est donc allé au-delà de ce que, nous autres, nous faisons souvent dès que nous ne sommes pas entre nous : il a parlé de ce qu’il avait entendu ! Tout le livre est un discours de Job à Dieu, mais donc aussi sur Dieu, puisqu’il est fait pour être lu et entendu. Ce n’est pas une prière « dans le secret » (Matth. 6 / 6). Or Dieu ne va pas dire de Job qu’il a mal parlé, tandis qu’il le reprochera à ses amis ! Mais Job reconnaît qu’il a parlé sans savoir. Or, en français comme en grec – et ce n’est pas pour rien – le verbe savoir vient du verbe voir ! Est su ce qui a été vu. Tant qu’on n’a pas vu, on ne sait pas…
Nous autres aussi, nous avons entendu parler de Dieu, la plupart d’entre nous depuis notre enfance, certains sans doute beaucoup plus tard. Et nous venons encore en entendre parler, que ce soit en lisant la Bible seuls ou en groupe, ou en venant au culte. Nous entendons aussi parfois parler d’autres dieux, sans trop savoir s’il s’agit du même ou pas : tel est le discours relativiste de notre société aujourd’hui, laquelle ne croit pas en Dieu, mais affirme en même temps qu’il n’y en a qu’un seul et que c’est le même pour toutes les religions. Ça, c’est sans doute parce que nous nous sommes tus… En tout cas, le discours sur Dieu est brouillé, jusque dans nos oreilles. Mais n’était-ce pas déjà le cas à l’époque de l’Ancien Testament ? La parole radicalement monothéiste et aniconique des prophètes s’opposait mais se mêlait chez les gens aux cultes d’orage et de fertilité cananéens, aux idées dualistes iraniennes, aux représentations égyptiennes et mésopotamiennes, à l’universalisme hellénistique, etc.
En tout cas, cette parole, ou ces paroles, entendues, restent extérieures à nous. Elles entraînent – ou pas – des convictions, elles font naître – souvent – des doutes. Bref, elles posent question, elles sont faites pour ça. L’apôtre Paul écrivait : « Comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler ? Et comment entendront-ils parler de lui, sans prédicateurs ? Et comment y aura-t-il des prédicateurs, s’ils ne sont pas envoyés ? Mais tous n’ont pas obéi à la bonne nouvelle… » (Rom. 10 / 14-16) Il ne s’agit donc pas d’opposer ceux qui écoutent et ceux qui voient, mais deux modes de connaissance – c’est aussi ce que fait le récit des disciples d’Emmaüs (Luc 24 / 27-32) : ils entendent parler de Jésus dans la Bible, mais ils le reconnaissent seulement à la fraction du pain. Sans ce qu’ils ont entendu, comment l’auraient-ils reconnu ? Mais avoir entendu parler de lui, même de sa propre bouche, n’avait pas suffi.
Il faut que s’y ajoute une véritable expérience personnelle de la présence de Dieu. On peut avoir de telles expériences aussi de faux dieux, de ceux que le Nouveau Testament appelle des « démons » ou des « puissances ». Les autres religiosités ou spiritualités y succombent. D’où l’importance de ce qu’on a entendu auparavant, pour reconnaître celui qui se manifeste, et qui seul est Dieu, le vrai Dieu, le Père de Jésus-Christ. La foi n’est pas la conviction, la croyance – c’est ce que reconnaît Job dans nos versets. On peut répéter à l’envi ce qu’on a entendu, on peut s’en satisfaire tant que tout va bien. L’expérience de Job, c’est que lorsque tout va mal ça ne sert plus à rien, la réalité se charge de dissoudre la croyance, soit dans l’athéisme, soit dans un cri – celui de Job, celui de Jésus sur la croix (Matth. 27 / 46). La foi est une adhésion à une personne, une « adhérence », comme traduisait Chouraqui. Cela suppose la personne présente, rencontrée au moins une fois, reconnue grâce à ce qu’on avait entendu d’elle. Cela suppose l’expérience de cette rencontre, qui a suscité la foi.
C’est cela, voir Dieu. C’est ce que Job espérait au chapitre 19. C’est ce qui a été réalisé pour lui au chapitre 42 ! Ne pas voir, ne signifie pas que Dieu est absent, comme il le révèle à Job aux trois chapitres précédents. Mais comment adhérer à une personne invisible ? Ce sera aussi le problème des disciples de Jésus lorsqu’il annoncera son départ et leur parlera du Père. Il sera obligé de leur dire alors : « celui qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14 / 9). Car celui qui vient nous rencontrer pour nous mettre en communion avec le Père, c’est le Fils, c’est Jésus. C’est bien là le but de l’incarnation : rendre Dieu visible, concret. Jean peut alors écrire : « ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de la vie. » Cette expérience, cette rencontre, peut être unique dans une vie, elle ne peut pas l’être une fois pour toutes pour tous. Christ est mort pour nos péchés une fois pour toutes. Mais il vient rencontrer chacun afin que le bénéfice de cette mort soit communiqué à chacun dans une rencontre particulière qui suscite la foi.
Ce que Jean précise, c’est que ce qu’il a vu et touché, c’est « la parole de la vie ». C’est là toute l’expérience de la foi chrétienne : voir une parole, toucher la vie. « Je reconnais que tu peux tout », disait Job à Dieu. Dieu peut aussi cela : nous faire voir sa parole, et pas seulement entendre ; nous faire toucher, expérimenter concrètement, la vie qui vient de lui, et pas seulement la vie biologique des Homo sapiens que nous sommes, singes intelligents pas si intelligents que ça… Et c’est cette expérience concrète, évidemment propre à chacun, incommunicable, indicible (cf. 2 Cor. 12 / 2-4), qui nous fait réaliser la misère dans laquelle nous sommes hors de la présence de Dieu. « C’est pourquoi, dit Job, je me condamne et je me repens sur la poussière et sur la cendre. » Comme l’énonçait notre ancienne liturgie : « En présence du Dieu saint, que chacun de nous confesse humblement son péché. » Ce n’est pas la liturgie de notre culte qui nous y invite, mais la présence de Dieu qui nous y oblige. La liturgie ne fait que le mettre en scène, le faciliter.
Car la rencontre avec le Christ, avec la vie, nous fait réaliser combien notre vie sans lui ou loin de lui n’est porteuse de rien. Lorsque l’être aimé est loin, on finit par supporter son absence en comblant le vide par des ersatz de toute sorte. Mais lorsqu’il est là on réalise combien ces ersatz étaient mensongers et même mortifères, et combien était vide notre existence. C’est la même chose. Cela ne signifie pas que Job, que tout croyant, va rester « sur la poussière et sur la cendre ». Mais ce premier mouvement va le réajuster à une relation vraie avec Dieu. Dès les versets suivants, derniers de ce livre, il va être institué prêtre pour les autres, et être béni abondamment. Autant dire qu’il ne va pas s’attarder dans la confession de son état de pécheur. Pour le croyant, « pardon » et « merci » sont liés. Dire seulement merci, c’est croire et laisser croire qu’on a reçu ce qui nous était dû. Demander seulement pardon, c’est se condamner à ne pas recevoir ce pardon. Oui, les deux sont liés, dès lors qu’on est en présence de Dieu, en présence de son Christ qui est mort pour nous.
Car la souffrance de Job nous renvoie à celle du Christ. Celui qu’il a contemplé, c’est celui qu’il espérait rencontrer au fond de sa misère et de sa mort. Or la misère et la mort ne sont pas au terme de cette existence-ci, mais tout au long. De même, la vie et le bonheur ne sont pas à recevoir dans l’au-delà, mais bien ici et maintenant, non par nos œuvres religieuses ou morales, mais par la seule présence du Christ à nos côtés, là où nous sommes, là où nous souffrons, là où il vient nous rencontrer. Ne pensons pas qu’il faut de notre part des conditions à cette rencontre, c’est lui qui vient, et il vient parce que nous en avons besoin pour vivre. C’est sa venue qui crée en nous les conditions de la recevoir et d’en profiter, dès lors que nous ne la refusons pas par orgueil ou ignorance. « Aide-toi, le ciel t’aidera » (J. de la Fontaine, Fables, Livre VI, « Le Chartier embourbé ») est une maxime diabolique si elle concerne le salut, la liberté, la vie éternelle. Christ est l’unique sauveur, pas moi !
Alors, voir Dieu et mourir, comme le craignaient les Hébreux au Sinaï (Ex. 20 / 19) ? Non pas, car voir Dieu en Christ, c’est vivre à jamais. C’est bien pour ça que la prière de toute l’Église, celle de chaque chrétien, c’est de dire « Maranatha » (1 Cor. 16 / 22), « Viens, Seigneur Jésus » (Apoc. 22 / 20). Nous confessons que nous avons besoin de lui. Parce que nous l’avons déjà rencontré, au moins lors de notre baptême, quand il a dit sur nous sa parole d’adoption. Nous savons qui il est. Nous savons donc qui nous sommes. En lui, dans la foi, nous avons la vie. Comme Paul l’écrivait : « Ainsi la mort agit en nous, mais la vie en vous. Et comme nous avons le même esprit de foi – selon ce qui est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ! – nous aussi nous croyons, et c’est aussi pourquoi nous parlons. » (2 Cor. 4 / 12-13) Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 29 décembre 2019