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Job 14 / 1-17
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texte :
L’être humain né de femme !
Sa vie est courte, il est saturé d’agitation.
Il a poussé comme une fleur et il est coupé.
Il prend la fuite comme une ombre et ne s’arrête pas.
C’est sur lui que tu as l’œil ouvert !
Et tu me fais aller en justice avec toi !
Qui fera sortir le pur de l’impur ?
Personne.
Si par toi ses jours sont fixés, le nombre de ses mois,
Si tu en as marqué le terme qu’il ne saurait franchir,
Détourne de lui les regards, et qu’il fasse une pause,
Pour qu’il ait au moins le plaisir du salarié à la fin de sa journée.
Pour un arbre, il y a une espérance :
Si on le coupe, il repousse,
Ses rejetons ne manqueront pas ;
Si sa racine vieillit dans la terre,
Si son tronc meurt dans la poussière,
Il refleurit à l’approche de l’eau,
Il produit des rameaux comme une jeune plante.
Mais le brave meurt et il perd sa force ;
L’être humain expire ; où est-il alors ?
Les eaux de la mer peuvent se retirer,
Les fleuves tarissent et se dessèchent ;
Ainsi l’homme se couche et ne se relèvera plus,
Il ne se réveillera pas avant que les cieux disparaissent,
Il ne sortira pas de son sommeil.
Oh ! si tu voulais me cacher dans le séjour des morts,
M’y tenir au secret jusqu’à ce que ta colère s’apaise,
Et me fixer un terme pour que tu te souviennes de moi !
Si le brave une fois mort pouvait revivre,
Je serais dans l’attente tous les jours de mon service,
Jusqu’à ce que vienne ma relève.
Tu appellerais alors, et moi je te répondrais,
Tu languirais après l’œuvre de tes mains.
Mais maintenant tu comptes mes pas.
N’observes-tu pas mon péché ?
Mon crime est scellé dans un sac,
Et tu ravives ma faute.
autres lectures : Épître aux Romains 14 / 1-13 ; Évangile selon Matthieu 25 / 31-46
chants : 31-24 et 43-10
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prédication :
« Qu’est-ce que l’être humain ? » Cette question qui ouvrait sur la louange dans le célèbre psaume 8 (v. 5), est ici posée, de même qu’au psaume 103, comme l’expression d’une angoisse existentielle, encore qu’au psaume 103 cela débouche juste après sur la confiance en Dieu ; je vous relis ces vers : « L’homme ! ses jours sont comme l’herbe, Il fleurit comme la fleur des champs. Lorsqu’un vent passe sur elle, elle n’est plus, Et le lieu qu’elle occupait ne la reconnaît plus. Mais la bienveillance de l’Éternel… » etc. (Ps. 103 / 15-17) Dans ces deux psaumes – que je vous laisserai relire chez vous – le mot utilisé désigne l’homme dans sa faiblesse. Job n’utilise pas ce mot. Au contraire. Parmi les nombreuses manières de dire « homme » en hébreu, à deux reprises il utilise le mot que j’ai traduit par « brave », qui indique l’homme dans sa puissance presque guerrière. Et les deux fois, il est en lien direct avec la mort. Toute l’angoisse que Job exprime, dans ce passage comme dans le reste du livre, tient à cette contradiction.
Que l’homme, s’il est faible, dépérisse et meurt, qui s’en étonnera ? Ce qui est scandaleux pour Job, c’est que le puissant meure, c’est la juxtaposition de ces deux réalités : lui était un homme puissant, pieux et respecté, et maintenant il n’est plus rien, abîmé, avili, abandonné de tous. C’est bien aussi ce qui nous chagrine tous : là où le petit, le pauvre, le faible, peut à chaque seconde s’étonner d’être vivant, et de tout ce qui, dans sa misère, lui arrive pourtant de positif, eh bien le puissant, lui, ne peut que s’épouvanter de n’être plus rien, plus capable de rien, miné par la maladie et la pauvreté qui ne le choquaient pas quand elles s’attaquaient à d’autres. C’est là ce qui fait la force du livre de Job : il ne peut que s’opposer avec vigueur à toute théologie de la rétribution, puisque Job constate dans sa chair et sa vie sociale que le bon et le juste n’est pas récompensé, tandis que prospèrent les méchants – notamment ses « amis » qui ne cessent de l’accuser d’avoir mérité ce qui lui arrive.
Accusation. Précisément nous en sommes là. Job, accusé par ses amis, les accuse à son tour, et il accuse Dieu : c’est ça qui horrifie les autres ! Dans notre passage, son accusation ne porte pas tellement sur son cas à lui d’ailleurs, contrairement à d’autres passages : il le généralise à tout « être humain né de femme ». Pour Job, la faiblesse de cet être humain qui devrait être puissant est due à Dieu, un Dieu qui semble à Job fort malveillant, trop proche alors-même qu’il se tait, trop occupé à écraser l’homme et à lui enlever tout espoir. Pour Job, c’est Dieu lui-même qui est la cause de l’accusation de Job à son égard : « C’est sur [l’être humain] que tu as l’œil ouvert, et tu me fais aller en justice avec toi ! » En fait, il n’y a plus que là que Job peut encore être fort, qu’il peut encore correspondre à l’image qu’il avait de l’être humain avant de constater qu’elle était fausse, balayée par Dieu. Job reste un brave dans sa déréliction-même, en en accusant Dieu.
Job est aveugle. Ses amis pourraient penser qu’il est aveuglé par son malheur. Non. Job est aveugle parce qu’il est un être humain, et qu’il ne peut voir Dieu. Le prologue de l’évangile de Jean le confessera à sa manière, en disant que « personne n’a jamais vu Dieu » (Jean 1 / 18). Job est donc aveugle comme vous et moi : il ne peut voir Dieu, il ne peut que se l’imaginer – imaginer, s’en faire une image, une idole… – il ne peut que l’imaginer en fonction de ce qu’il vit maintenant : un despote omniprésent, un destin implacable. Le début du livre nous a montré qu’il n’en est rien, et la fin le confirmera fortement, quand Dieu lui-même se manifestera enfin à Job (ch. 38-41) en lui faisant comprendre tout ce que Job ne pouvait pas voir ni savoir. Alors, Job a-t-il raison ou tort ? Les deux. Ses constatations humaines sont justes, ses conclusions sur Dieu sont erronées. L’être humain n’est pas le roi des animaux ! C’est le Léviathan qui l’est (Job 41 / 26), monstre dont Dieu pourtant se joue (Ps. 104 / 26) … Job nous permet de nous en souvenir et nous remet à notre juste place, celle de la faiblesse.
Mais pourquoi cette place-là ? Pourquoi l’être humain ne peut-il pas mettre son orgueil dans ses propres réalisations ? Pourquoi ne peut-il pas être pérenne, comme n’importe quel végétal le peut, lui, au moins dans la nature ? « Pour un arbre, il y a une espérance : si on le coupe, il repousse, ses rejetons ne manqueront pas… » Jésus, dans le « sermon sur la montagne », renversera l’argumentation, en disant : « Si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs qui existe aujourd’hui et demain sera jetée au four, ne le fera-t-il pas à plus forte raison pour vous, gens de peu de foi ? » (Matth. 6 / 30) Alors, moins qu’une herbe, ou bien infiniment plus ? Mais de qui parle-t-on ? Qui parle de qui ? Où donc est-il question dans la Bible de quelqu’un « né d’une femme » ? À part Job, seul l’apôtre Paul utilise cette expression, à propos de… Jésus ! (Gal. 4 / 4) : « Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sous la Loi. » Si je veux mettre en parallèle les deux seuls textes qui utilisent l’expression, alors il me faut admettre que « l’être humain né de femme » dont parle Job sans le comprendre, c’est bien Jésus.
Car dans le monde, il y a de nombreux humains qui sont comme était Job avant que les malheurs pleuvent sur lui. Il y a de nombreuses personnes qui sont plus comme l’arbre que décrit Job que comme l’homme détruit qu’il est devenu. Les généralités qu’il évoque pour faire le procès de Dieu n’en sont pas, et souventes fois la méchanceté sourit aux méchants ! Les psaumes sont pleins de cette constatation amère, bien plus amère que celle que fait Job ce matin. Non. L’homme qui, dans la Bible, est par excellence le pendant de Job, l’homme d’extrême dénuement, d’extrême faiblesse, c’est Jésus. Ésaïe avait prophétisé de lui, en disant : « Il n’avait ni apparence, ni éclat pour que nous le regardions, et son aspect n’avait rien pour nous attirer. Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleur et habitué à la souffrance, semblable à celui devant qui l’on se voile la face, il était méprisé, nous ne l’avons pas considéré. Certes, ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ; et nous, nous l’avons considéré comme atteint d’une plaie, comme frappé par Dieu et humilié. » (És. 53 / 2-4) Et c’est de lui pourtant que Pilate, avant de le faire exécuter, dira : « Voici l’homme » (Jean 19 / 5), avec le même mot que Job parlant de « l’être humain ».
L’humanité telle que voulue par Dieu, quoique oblitérée par le péché originel, n’apparaît pas dans la puissance, mais dans la faiblesse. Et cette faiblesse laisse penser qu’elle est le fruit d’une condamnation par Dieu, ce qu’Ésaïe mentionnait d’ailleurs. Mais non. Dieu n’avait pas besoin d’une victime, il n’a pas fait les humains pour ça, ce sont les humains qui font de bien assez nombreuses victimes. Non. C’est nous qui avions besoin d’une telle victime. Job comprendra à la fin qu’il n’avait rien compris… ! Il se fait le porte-parole d’une accusation contre Dieu que beaucoup de ceux qui croient en Dieu font ou aimeraient oser faire eux aussi. Il fait à Dieu le procès de nous faire un procès ! Il accuse Dieu de nous mettre en jugement sans nous laisser aucun droit. Il a raison en ceci que devant Dieu nous n’avons aucun droit. Mais il a tort de voir Dieu comme un juge. Le Nouveau Testament fera éclater cette image de jugement, vous le savez bien : si Dieu est le juge, le satan l’accusateur et Jésus notre avocat, alors le juge a remis le jugement à l’avocat de la défense après avoir mis l’accusateur à la porte ! (Luc 10/ 18 ; Jean 5 / 22-24…)
Ce sont les hommes qui ont fait procès au Fils unique de Dieu, qui l’ont cloué au bois comme s’il était maudit (Gal. 3 / 13). Comme ce sont les hommes qui abîment et font mourir d’autres hommes, par la guerre, la faim, l’injustice, l’économie, la peur, la haine, la vengeance… L’accusateur accuse Dieu, c’est son travail, et comme Job nous lui prêtons notre voix, nos pensées. Si Dieu n’écoute plus l’accusateur, nous, nous l’écoutons encore. À nos premiers parents il disait : « vous ne mourrez pas » (Gen. 3 / 4), à Job il fait dire : « l’homme se couche et ne se relèvera plus » ; l’accusateur est un menteur, nous le savons mais ça n’y change rien, il nous fascine, parce que la détresse et la mort nous fascinent et nous horrifient. Pourtant c’est bien à un retour au jardin d’Éden qu’aspire Job, lorsqu’il dit : « Tu appellerais alors, et moi je te répondrais, tu languirais après l’œuvre de tes mains. » Rappelez-vous « l’Éternel Dieu qui parcourait le jardin avec la brise du soir. […] L’Éternel Dieu appela l’être humain et lui dit : “Où es-tu ?” »
À la différence de la figure de l’humanité pécheresse qu’est le premier couple qui se cache de Dieu, Job, lui, aspire à pouvoir répondre à cet appel, après avoir été caché, protégé, par Dieu lui-même. Il entrevoit la possibilité que les relations entre Dieu et les humains ne se passent plus sur le mode de l’accusation et de la condamnation, mais selon ce que Dieu exprimait au tout début de la Bible, avant la Chute. Or c’est cela qui sera réalisé par Jésus, en Jésus. Les accusateurs se condamnent eux-mêmes, c’est ainsi qu’à la fin du livre Dieu condamnera les « amis » de Job, tout en leur annonçant étonnamment leur grâce : « Ma colère est enflammée contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n’avez point parlé de moi avec droiture comme mon serviteur Job. Prenez maintenant sept taureaux et sept béliers, allez auprès de mon serviteur Job et offrez pour vous un holocauste. Mon serviteur Job priera pour vous, et comme j’ai de la considération pour lui, je ne vous traiterai pas selon votre folie, car vous n’avez point parlé de moi avec droiture, comme l’a fait mon serviteur Job. » (Job 42 / 7-8)
Cette fois encore, c’est bien de Jésus, prêtre et intercesseur, que Job est la figure. C’est à cause de Jésus que nous ne sommes pas condamnés. Comme Jésus, Job est aussi la figure de notre propre misère. En lui, dans cette figure que la Bible nous offre, nous pouvons voir à la fois Jésus et nous-mêmes, voir à la fois notre incompréhension et ce qu’il nous faut comprendre. Tandis que les « amis » de Job, eux, sont la figure et la voix du satan qui accuse Dieu et les hommes. Eux croient en un Dieu justicier, et donc naturellement ils ignorent la compassion, ou plutôt ils ne la connaissent que tant que Job se tait, que tant qu’il accepte sa souffrance, donc que tant qu’il est comme eux à trouver justifié ce qui lui arrive. Sa révolte les révolte. Parce qu’elle pointe vers un Dieu qui ne juge pas comme jugent les hommes. Parce qu’elle fait appel à Dieu au lieu de se soumettre au destin ou à la fatalité en les badigeonnant de religion. Le croyant n’est pas celui qui a une bonne théologie, qui parle bien – ou mal – de Dieu, mais c’est celui qui sait qu’il peut se tourner vers Dieu et crier vers lui son malheur, l’appeler à l’aide quand même il ne saurait pas entendre la réponse. La foi, celle de Christ, c’est quand Dieu et un être humain particulier s’appellent l’un l’autre, tels les amants du Cantique des cantiques ! « Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » (Jean 3 / 17-18) Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 17 novembre 2019