- Accueil
- Cultes et prière
- Prédications
- Jérémie 23 / 16-29
Jérémie 23 / 16-29
Partage
texte : Jérémie, 23 / 16-29 (trad. : Bible à la colombe)
premières lectures : Évangile selon Luc, 16 / 19-31 ; Deutéronome, 6 / 4-9
chants : 36-19 et 22-07 (Alléluia)
téléchargez le fichier PDF ici
« Ils ont Moïse et les Prophètes ; qu’ils les écoutent. » Pour nous, la transcription de cette phrase de Jésus en langage moderne est facile, puisque Moïse, ce sont les 5 livres de la Loi, et les Prophètes, c’est la suite de l’Ancien Testament, à la fois livres historiques et oracles prophétiques. « Moïse et les Prophètes », c’est une manière de désigner la Bible du judaïsme. Nous, nous sommes chrétiens, et nous y ajoutons le Nouveau Testament. La phrase de Jésus devient alors : « Ils ont la Bible ; qu’ils la lisent » et, donc, qu’ils la mettent en pratique – ce qui était implicite dans la réponse de Jésus. Le Shema’ Israël, dans le Deutéronome, nous a rappelé ce qu’il y a dans la Bible : Dieu en premier, et sa Parole toujours et partout ! Racontant son histoire sur le riche et le pauvre Lazare, Jésus suggère que les gens ne le feront pas… Mais ce n’est pas le sujet de ce matin ! Quoique…
Le sujet, dans le prophète Jérémie, c’est qu’il y a des faux prophètes – et c’est son combat, perdu d’avance puisqu’il passera sa vie à n’être pas écouté, et à ce que ses amis eux-mêmes écoutent d’autres voix que la sienne. Vous me direz : en quoi sommes-nous concernés ? Parce que cette parole du prophète reste bien actuelle : il nous est plus facile d’écouter notre propre voix que celle de Dieu. Parce que la parole de Dieu nous condamne, et nous n’aimons pas ça. Et parce qu’elle nous annonce que nous sommes graciés sans que nous y soyons pour rien, et nous n’aimons pas ça non plus : ça ne nous flatte pas, ça nous confirme dans notre incapacité à mettre en œuvre ce que la Loi de Dieu nous demandait. C’est vrai. Je suis incapable de faire passer Dieu avant toute autre chose par amour pour lui. Et je passe mon temps à ne pas transmettre sa parole, ou alors à l’accommoder…
Et voilà bien ce que Jérémie dénonce : ceux qui accommodent la parole insupportable de Dieu. Qu’ils le fassent pour eux-mêmes : c’est tant pis pour eux ! – Ce que Paul écrira un jour aux Galates… – Mais qu’ils l’annoncent ainsi, voilà ce que Dieu ne supporte pas. Or, chrétiens, nous sommes nous-mêmes à la fois croyants et témoins de cette foi reçue et qui nous fait vivre. Dit avec d’autres mots : parce que nous sommes chrétiens, eh bien nous sommes prophètes. Jésus a dit : « À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jean 13 / 35) Non seulement nous ne le vivons pas, la plupart du temps. Mais nous nous cherchons des excuses au lieu de rechercher le pardon. Et nous nous trouvons donc des excuses, et ce sont ces excuses que les gens retiennent autour de nous, à commencer par nos plus proches : enfants, parents, amis, relations… Nous devenons donc ces faux prophètes que Jérémie dénonçait de la part de Dieu.
Il y a des tas de manières d’accommoder la parole de Dieu à nos incapacités ou à nos refus. Une première manière, c’est la casuistique : le commandement, la parole, certes est valable, est à mettre en pratique telle qu’elle, dans certains cas ; mais dans tel autre cas, il convient plutôt de faire ceci, et dans tel autre cas, de faire comme cela… Jésus prend un exemple : « Dieu a dit : honore ton père et ta mère, et : celui qui maudira son père ou sa mère sera puni de mort. Mais vous, vous dites : “celui qui dira à son père ou à sa mère : ce dont j’aurais pu t’assister est une oblation, n’est pas tenu d’honorer son père ou sa mère”. Ainsi vous avez annulé la parole de Dieu au profit de votre tradition. » (Matth. 15 / 4-6) Il n’est plus question de sacrifice au Temple de Jérusalem, et comme Jésus justement a pris cet exemple, il ne nous viendrait pas à l’idée de refuser d’entretenir les nôtres sous prétexte d’offrande à l’Église ! Mais nous le faisons pour tellement d’autres choses… Je vous laisse les imaginer, ou plutôt vous les remémorer. Nous mettons les priorités qui nous arrangent.
Nous faisons cela pour nous-mêmes, chacun. Nous nous arrangeons avec nos excuses en nous disant quelque chose du style : « après tout, dans ce cas-ci, nous avons bien le droit… » Vous comprenez bien qu’en déshabillant ainsi le commandement, en vidant la parole de ce qui nous embête, nous faisons en fait comme si elle ne nous concernait pas. Parfois, c’est même en tant qu’Église que nous agissons ainsi. Nous connaissons la parole de Dieu qui évoque le problème sur lequel nous réfléchissons ou sur lequel nous avons à prendre une décision. Mais nous souhaitons prendre une décision inverse de ce que Dieu dit explicitement. Nous inventons donc l’idée qu’il y a des cas particuliers, et que dans certains cas la parole ne doit pas être retenue, ou doit être aménagée.
Une seconde manière – c’est une variante de la première – consiste à acclimater la parole à l’air du temps. Et c’est parfois expressément revendiqué comme tel. Ainsi, nous considérons que certains commandements, certaines paroles, avaient sens dans un certain contexte, mais ne s’appliquent plus dans un contexte différent. Généralement, nous y cherchons des arguments au sein de la Bible, et parfois nous avons raison, car la Bible elle-même nous donne raison. Ainsi de cette parole prophétique : « En ces jours-là, on ne dira plus : “les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des fils sont agacées”. Mais chacun mourra pour sa propre faute ; tout homme qui mangera des raisins verts aura les dents agacées. » (Jér. 31 / 29-30 ; cf. Éz. 18) La punition des pécheurs s’étendant sur leurs enfants est alors considérée comme caduque. On en a des échos dans l’Évangile : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » (Jean 9 / 2) Les disciples de Jésus n’avaient pas bien lu Jérémie et Ézéchiel !
Mais bien souvent, c’est sans argument biblique, ou bien en tordant les textes, que nous décidons – nous ou l’Église elle-même – que telle parole biblique est caduque parce qu’aujourd’hui, ça ne peut plus être comme ça. Mais qui le dit ? Jérémie répond : c’est vous qui le dites, vous parlez à la place de Dieu, vous « racontez les visions de [votre] propre cœur, et non de la bouche de l’Éternel ! » Par exemple, comme à l’époque de Jérémie – et peut-être de tout temps – il est politiquement correct de prophétiser de la part de Dieu la paix. En fait, personne n’y croit, tout le monde sait très bien que les humains en société sont des loups les uns pour les autres. Mais que ce soit par miracle ou bien par victoire sur l’adversaire, les croyants prophétisent la paix, non pas parce que Dieu a donné une prophétie à l’un ou à l’autre ou à tel synode, mais parce que c’est ce que les gens souhaitent entendre, alors-même qu’ils n’y croient pas. Dieu ne peut être qu’un Dieu de paix.
Or dans la Bible, Dieu donne la paix ou demande la paix aux croyants – je veux dire à ceux qui croient en lui, pas aux idolâtres… Mais nombreux sont les versets qui parlent de violence, de persécutions, de sa vengeance, de sa victoire, etc. « Si tous les gars du monde décidaient d’être copains et partageaient un beau matin leurs espoirs et leurs chagrins, si tous les gars du monde devenaient de bons copains et marchaient la main dans la main, le bonheur serait pour demain… » (Paul Fort, chanté par Les compagnons de la chanson) Mais justement, ce poème dit bien les conditions qui ne seront jamais remplies, et qu’ainsi ce n’est pas demain la veille ! On est dans la même vision que ce qu’Abraham répond au riche : « ils ont Moïse et les Prophètes », etc. Ça se saurait si nous le faisions !
C’était un exemple, il en est tant d’autres. Nous croyons toujours que nous nous rendons sympathiques aux incroyants ou aux croyants d’autres religions en gommant tout ce qui dérange, alors qu’en fait nous nous rendons simplement insignifiants, inutiles. Qu’allons-nous dire aujourd’hui, lorsqu’il est question de légaliser l’utilisation de « mères porteuses », l’euthanasie, le « suicide assisté » ? Qu’allons-nous dire lorsqu’on nous parle de « notre mère la terre » ? Qu’allons-nous dire quand la bonne volonté s’exerce à relativiser les religions ? Que disons-nous lorsque la « principale » du collège de ce village-ci interdit à une enseignante d’histoire de faire visiter à ses élèves les bâtiments religieux de Saint-Dié au prétexte que les croyants ne sont pas fiables eu égard à la laïcité ? Etc. Allons-nous laisser étouffer la parole de Dieu et la mission de l’Église dans le monde au prétexte de la « bien-pensance » que promeut notre société médiatique et politique ?
La parole de Dieu n’est pas agréable à entendre ? Sans doute. Elle nous condamne, je vous l’ai dit. Autre exemple : « L’homme et la femme adultères seront punis de mort », dit le Lévitique (20 / 10). C’est ce qu’ils méritent. « Mais moi – dit Jésus – je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis adultère avec elle dans son cœur. » (Matth. 5 / 28) Allez-vous exécuter alors tous les hommes ? Certaines féministes en rêvent, je sais !!! Il ne s’agit donc pas d’exécuter tous les coupables, mais pourtant bien de les déclarer coupables. Il n’est nulle part question dans la Bible de justifier l’adultère, ni aucun autre péché, sous prétexte de contexte ou même de bienveillante tolérance pour les faiblesses humaines. Non, la Bible nous déclare coupables, afin que nous puissions recevoir le pardon de nos fautes. S’il n’y a plus de faute, il n’y a plus de pardon, et c’est alors que les gens meurent dans leur péché !
Nous avons donc cette responsabilité, non pas de jouer les purs que nous ne sommes pas, mais d’annoncer et de vivre le jugement de Dieu contre ce monde, jusqu’au cœur de nos propres manières de vivre, afin que le monde puisse recevoir l’amour gratuit de Dieu, y compris nous-mêmes dans nos propres vies pécheresses. Ne cherchons des excuses ni aux gens ni à nous-mêmes. Ne cherchons d’accommodement pour aucune cause ni pour qui que ce soit, pas-même pour nous dans nos combats. Laissons Dieu faire, laissons-lui la parole ! « [Sa] parole n’est-elle pas comme un feu et comme un marteau qui fait éclater le roc ? » Elle brûlera en nous et alentour ce qui ne lui appartient pas, elle brisera les résistances les plus fortes et les péchés les plus mortels, afin que son œuvre de salut en Jésus-Christ puisse se manifester avec force. Car tel est bien l’enjeu : atténuer la parole, faire de la casuistique, du libéralisme ou du relativisme, c’est empêcher que soit proclamée la grâce de Dieu par la mort et la résurrection de Jésus-Christ, qui dès lors ne serviraient plus à rien, si l’homme pouvait se justifier lui-même.
Nous ne pouvons qu’inviter les autres et nous-mêmes à se taire et à écouter la parole de Dieu qui nous concerne, qui nous condamne, qui nous sauve, qui nous régénère. Lui seul le peut, ne l’en empêchons pas par nos timidités et nos complaisances. Nous ne jugeons personne, puisque nous sommes aussi coupables que les autres (Rom. 2 / 1-4). Mais ensemble nous avons besoin de cette parole de Dieu pour en vivre. Laissons-le donc nous le dire, laissons-le le dire aux gens à travers nous, nous sommes là pour ça. Nous sommes prophètes, prophètes non de mensonge et de paix fallacieuse, mais prophètes de vérité, de vie éternelle, prophètes de Jésus-Christ. Amen.
Senones – David Mitrani – 3 juin 2018