- Accueil
- Cultes et prière
- Prédications
- Genèse 32 / 23-32
Genèse 32 / 23-32
Partage
texte :
(Jacob) se leva cette nuit-là, il prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze enfants, et il passa le gué de Yabboq. Il les prit et leur fit passer le torrent ; il le fit passer à ce qui était à lui. Et Jacob resta seul. Un homme lutta avec lui jusqu’à la montée de l’aube. Il vit qu’il ne l’avait pas vaincu, et il le toucha à l’articulation de la hanche ; et l’articulation de la hanche de Jacob se démit dans sa lutte avec lui. Il dit : « Renvoie-moi, car l’aube est montée. » Il dit : « Je ne te renvoie pas que tu ne m’aies béni. » Il lui dit : « Quel est ton nom ? » Et il dit : « Jacob. » Il dit : « Ton nom ne sera plus dit “Jacob”, mais “Israël”, car tu t’es battu avec Dieu et avec des hommes, et tu vainquis. » Jacob l’interrogea et il dit : « Déclare donc ton nom. » Il dit : « Pourquoi interroges-tu sur mon nom ? » Et il le bénit là. Jacob appela le nom de ce lieu “Peniel”, « car j’ai vu Dieu face à face, et mon âme fut délivrée ». Le soleil s’éleva quand il passa Penouel. Et lui boitait de la hanche.
premières lectures : Évangile selon Jean 20 / 19-29 ; Ésaïe 40 / 26-31
chants : 34-26 et 43-10
télécharger le fichier PDF ici
prédication :
Je ne vous dirai rien aujourd’hui du combat que se livrèrent Thomas et Jésus. Mais assurément, pour Thomas, ce fut un combat avec Dieu, comme il le reconnut lui-même. Combat non violent ? Physiquement, certes. Mais moralement et spirituellement ? J’en doute… Jésus ressuscité, ou pas ? Je sais que ce questionnement ne s’est pas arrêté avec la conversion de Thomas, et qu’aujourd’hui encore, parmi les chrétiens, la question, étonnamment, se pose parfois. Simple interrogation intellectuelle car nous ne savons pas vraiment en quoi consiste la résurrection ? Ou bien interrogation due à une foi qui ne s’est pas vraiment confrontée à la présence du Christ ressuscité ? Ou encore véritable combat spirituel avec Jésus contre l’Accusateur, ou bien combat contre Jésus ? Peut-être le combat de Jacob avec l’homme au Yabboq peut-il nous éclairer sur nos propres combats ?
Jacob a peur. Vous vous rappelez l’histoire : comment il a dépouillé son frère de tous ses droits avant de s’enfuir en Syrie pour trouver femme dans la famille de sa mère, avant de s’enfuir aussi de là après avoir truandé son beau-père qui le méritait bien. Bref, une vie de mensonge et de fuite, deux femmes dont une qu’il n’avait pas choisie, plus deux servantes mères porteuses, comme avait fait son grand-père Abraham, et onze enfants mâles – plus sa fille, on le suppose… – et beaucoup de troupeaux. Mais de retour au pays, le frère spolié est au-devant de tout ce petit monde. Et, donc, Jacob a peur. Au moment de passer le gué, il fait passer devant tout le monde, peut-être comme il avait fait passer des cadeaux à son frère juste avant, pour se l’amadouer.
Mais Jacob a peur, et dans cette peur il est seul. Franchira-t-il le gué ou pas ? Assumera-t-il ce qu’il est ou bien restera-t-il dans un no man’s land entre le passé révolu – car il ne retournera pas chez Laban – et un futur impensé, impossible ? Le combat est là, inévitable. Combat contre lui-même. Combat contre le diable qui alimente sa peur et sa culpabilité. Combat contre celui qui, à Béthel, lui avait promis son aide pour que son projet s’accomplisse à travers lui, mais maintenant voilà : le projet passe par la descendance de Jacob, lui ne sert plus à rien à ce protecteur dont il n’avait pas compris la bénédiction, toujours intéressé seulement par sa bonne fortune personnelle… (Gen. 28 / 10-22) Mais il n’est pas écrit que le combat est perdu d’avance. Après tout, dans notre texte, c’est contre un homme qu’il se bat !
Il y a là une première leçon pour nous aussi. Car la peur nous fait toujours voir l’adversaire comme plus puissant qu’il n’est en réalité. C’était déjà le cas au Jardin, avec le serpent doté en hébreu du même qualificatif que l’être humain, même si en français on traduit « nu » pour l’humain et « rusé » pour le serpent ; c’est comme pour nous faire comprendre que la voix du serpent n’est jamais que la nôtre, et que donc on pourrait se boucher les oreilles… (Gen. 2 / 25 – 3 / 1) Il en est ainsi dans nos tentations et nos combats – car c’est la même chose ! Nos routes ne sont jamais horizontales, même si ce serait plus agréable et reposant. Mais non, elles sont en pente, et c’est fatigant. En plus, la pente est parfois tellement raide que le choix se résume à dégringoler ou bien à grimper. Et là, nous avons peur. Jacob a peur. Pourtant la lutte est humaine, seulement humaine. Personne ne nous demande d’être des super-héros comme au cinéma ou dans nos rêves. Jacob va devoir affronter sa peur, s’affronter à lui-même, et y trouver son identité, ou peut-être une identité nouvelle. Nous aussi ?
À ce moment-là, dans ces moments-là, ne disons pas : « ma destinée est cachée à l’Éternel », comme Ésaïe le reprochait à Israël. Face au diable, face à nous-mêmes, dans nos combats, Dieu est là : « ne l’as-tu pas reconnu ? » Dieu n’est pas nous. Dieu n’est pas le diable – encore qu’on l’affuble souvent d’habits diaboliques : tout-puissant, tentateur, juge prêt à condamner sans appel, etc. Non, Dieu n’est pas tout ça. Dieu est un autre. Mais dans nos combats, il arrive que ce soit face à cet autre qu’on finisse par se retrouver, finalement libérés par lui de nous battre contre le diable – qui n’existe pas – ou contre nous-mêmes. Dieu prend la place de ma peur. Dieu me fait-il donc peur ? Dieu est-il ma propre peur ? Les athées l’affirment, qui ne voient en lui que la projection de mes peurs. Mais alors un tel dieu ne libère en rien ! Le Dieu biblique, lui, est un vrai libérateur, il l’affirme dès l’introduction aux Dix commandements : « Je suis l’Éternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison des esclaves. » (Ex. 20 / 2)
Pourquoi alors lutte-t-il avec moi ? Justement pour me libérer de moi-même, de la préoccupation de moi-même, de la peur que j’ai de moi-même, de mon passé, de mon présent et de mon avenir. Jacob était prisonnier de son égocentrisme, qui n’était après tout – comme toujours, vous diront les psychologues – qu’un gros sentiment d’infériorité, ce qui l’avait poussé, comme j’ai dit, au vol, au mensonge et à la fuite. Que se passe-t-il alors dans ce combat ? Jacob n’est pas vaincu. Serait-il plus fort que Dieu ? Alors Dieu n’est pas Dieu ! Mais nous chrétiens, nous savons que sa victoire revêt parfois les formes de la défaite : Jésus n’est-il pas mort, vraiment mort, sur la croix ? Mais ce fut une victoire, grâce à quoi nous avons été libérés du péché et de la mort.
C’est un peu ça qui se passe dans notre texte ! La non-victoire de l’homme qui lutte avec Jacob – notez bien : le texte ne dit pas « contre lui » mais « avec lui » – cette non-victoire se solde pour Jacob par un triple avantage, qu’il n’aurait pas eu si la lutte n’avait pas eu lieu. Premier avantage, si j’ose dire – moi qui ai bénéficié d’une prothèse de hanche il n’y a pas si longtemps – sa hanche est abîmée, il va devoir boiter. En quoi donc est-ce un avantage ? C’est ainsi que se manifeste la libération opérée par Dieu en Jésus-Christ : il me remet en manque, en incomplétude, afin que ce qui en moi m’emprisonne soit enlevé, effacé. Alors certes parmi les humains je vais boiter, mais boiter d’une nouvelle relation possible avec eux et avec Dieu. Sans ce manque, je ne puis aimer, je ne puis faire confiance, je reste seul avec ma peur… Ce boitement est bien une bénédiction : grâce à lui, j’ai besoin de Dieu et des autres. Et c’est bien.
Deuxième avantage : Jacob reçoit une nouvelle identité, à travers un nouveau nom : Israël ! Pas d’Israélites avant lui : son frère, ses cousins et petits-cousins, sont des Araméens ou des Arabes, selon les généalogies bibliques sur l’historicité desquelles je ne jouerai pas ma réputation ! « Israël car tu t’es battu avec Dieu et avec des hommes ». En fait, l’étymologie de ce nom serait plutôt « Dieu lutte ». Les étymologies dans la Bible ne servent qu’à raconter ce qu’on veut dire, comme les généalogies ! Les deux sens de toute façon correspondent à notre récit. Car lorsque Dieu lutte avec nous, c’est pour nous qu’il lutte, je vous l’ai montré. Mais attention : Israël n’est pas le combattant de Dieu, c’est Dieu qui est le combattant d’Israël, ce que nous montrent de nombreux passages des livres dits « historiques ». Nous aussi, nous sommes Israël lorsque nous sommes au bénéfice de la lutte de Dieu avec nous / pour nous. Nous sommes Israël de ce que Jésus a donné sa vie pour nous. Nous sommes Israël de ce que le Saint-Esprit de Dieu travaille en nous pour nous rendre boiteux, même si cela nous déplaît… mais n’y résistons pas !
Car, troisième avantage, c’est ainsi que Dieu nous bénit. La bénédiction de Dieu ne consiste pas à connaître son nom, comme Jacob le voulait. Dieu résiste à cette demande, il ne délivre pas son nom, il ne se livre pas autrement que par sa présence combative, que par sa lutte tout humaine, à notre niveau, comme l’un de nous : Jésus-Christ. Le problème n’est pas de nous approprier qui est Dieu, mais de nous approprier qui nous sommes, nous, dans notre nouvelle identité ! Il faudra de nombreux siècles pour qu’Israël advienne à sa nouvelle et pleine identité, il faudra aller de Jacob-Israël jusqu’à Jésus. Jésus sera à la fois Jacob et l’homme qui lutte avec lui, et lui, nouveau Jacob, ce ne sera pas seulement sa hanche, mais toute sa vie, qu’il donnera, assurant ainsi sa mission à notre profit : sa mort nous enrichit et nous fait vivre, sa mort change notre identité et nous ressuscite avec lui. En tant que tel, Jésus est indépassable. Il n’y en aura pas d’autre, car qui pourrait donner plus que sa vie au point que la mort des siens soit vaincue ?!
J’avais annoncé trois avantages, il y en a un quatrième, ou plutôt un résumé de toute la scène : « mon âme fut délivrée », dit Jacob-Israël. Souvent on traduit simplement : « ma vie a été épargnée », car on était réputé ne pas pouvoir voir Dieu et vivre. Mais je crois bien que le sens est plus profond : face à Dieu, confrontés à la croix de Jésus, nous sommes effectivement délivrés de tout ce qui nous tirait vers le bas et nous emprisonnait : nous-mêmes, notre péché, et toutes les formes de mort qui nous agressent et nous abîment, jusqu’à la dernière qui nous emporte vers le néant. De tout ceci nous sommes délivrés par le combat que Dieu mène pour nous avec nous en nous contre nous. Du coup le texte redit que Jacob « boitait de la hanche ». Délivré certes, mais non pas vers un plus qui nous étoufferait : c’est vers un moins qui nous permet de vivre avec et pour Dieu et les autres. Chers amis, ne redoutez pas cette lutte de Dieu avec vous en Christ, lutte qui a déjà débuté – sinon vous ne seriez pas chrétiens ! N’ayez pas peur comme Jacob, comme si la perte vous effrayait : attendez-la, espérez-la, laissez le Christ être votre nouvelle existence pour toujours (cf. Gal. 2 / 20). Amen.
David Mitrani – 16 avril 2023