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Genèse 28 / 10-22
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texte : Genèse 28 / 10-22 (trad. personnelle d’après Bible à la colombe)
premières lectures : Évangile selon Luc 17 / 11-19 ; épître aux Romains 8 / 14-17
chants : 42-08 et 42-03
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Il ne suffit pas d’être fils ou petit-fils de croyant pour l’être soi-même. Ça, malheureusement, vous le savez tous plus ou moins, pour le vivre dans la plupart de vos descendants… Et ce, quand bien même le descendant en question serait honorablement connu par ailleurs, bon et généreux et tout ce que vous pouvez souhaiter humainement. Or ces dernières qualités n’étaient certes pas celles de Jacob, frère indigne, intéressé et voleur, menteur et couard. Mais il est clair qu’il n’était pas non plus croyant, en tout cas qu’il ne connaissait pas le Dieu qu’avaient connu ses pères. Nous avons là l’attestation biblique de ce que nous savons d’expérience, et qu’avaient peut-être oublié nos anciens jadis : la foi ne se transmet pas ni ne s’impose aux autres, on peut seulement témoigner de celle qui nous fait vivre… Isaac et Rébecca témoignaient-ils auprès de leurs fils Ésaü et Jacob de leur propre foi ? Je n’en sais rien. Certes ces parents écoutaient la parole de Dieu, et ils bénissaient en son nom. Mais Jacob est comme beaucoup d’enfants : il ne connaît pas Dieu et, s’il en a une vague idée, c’est une idée païenne et non biblique, comme nous allons le voir. Là encore, il est hélas très moderne…
Jacob part donc de la porte du désert, au sud de ce qui sera le pays d’Israël, vers le sud de la Turquie actuelle, au pays de sa famille : c’est de là qu’Abraham était parti à la mort de son père, c’est là qu’habite son oncle maternel chez qui il part chercher femme. C’est donc le pays qu’avait quitté Abraham pour suivre son Dieu ! C’est donc un pays païen. Mais notre récit se situe au tout début de la route, ou presque, et Béthel sera un lieu sacré du royaume d’Israël, des siècles plus tard, avec un temple rival de celui de Jérusalem, et la statue d’un veau d’or… Notre récit est un récit de fondation de temple : le mot « lieu » y revient 6 fois sans nécessité, c’est le mot servant à désigner un temple : on dit couramment « le Lieu » ou « la Maison », autre mot qui revient 3 fois. Mais pour l’instant Jacob s’arrête simplement là, il n’y a rien, il ne s’y passe rien, Jacob s’endort… Il rêve…
D’abord une image, comme ça se passera pour Moïse plus tard avec un buisson en feu (Ex. 3 / 1-6) : c’est pour attirer l’attention de Jacob. C’est une image religieuse, quasiment une image pieuse : un escalier qui mène au sommet d’une pyramide à degrés, avec sans doute un temple tout en haut, comme toute la Mésopotamie d’alors en connaît, à l’image de celle de Babylone, la fameuse tour de Babel. Les « anges de Dieu », c’est-à-dire ses messagers, les prêtres donc, montent à ce temple par cet escalier, et en descendent ensuite. Jacob, dans son rêve, doit alors s’attendre à un message divin, apporté par eux. Mais c’est la première rupture dans le rêve : Dieu lui-même parle à Jacob, le Dieu d’Israël avec son nom propre : « l’Éternel » (*YHWH). Pas d’intermédiaire entre ce Dieu et celui à qui il s’adresse. Pas besoin de prêtres. Pas besoin de temple. Pas besoin de religion. « L’Éternel se tenait au-dessus de lui. » Au-dessus de l’escalier ou au-dessus de Jacob ? « L’escalier » est masculin, comme Jacob : jeu de mots de la langue hébraïque, clin d’œil au lecteur. Pas besoin d’escalier pour aller vers Dieu, on n’en reparle plus, seuls comptent désormais Dieu et Jacob.
Comme il le fera aussi avec Moïse, Dieu commence par se présenter. Et il ne se présente pas par ce qu’il est en lui-même, ou par l’un des attributs de la divinité. Non. « Je suis l’Éternel, le Dieu d’Abraham, ton père, et le Dieu d’Isaac. » « Je suis le Dieu que tu ne connais pas, mais que tes pères ont connu, rencontré, et auquel ils ont fait confiance. » Après tout, nous ne sommes que 6 chapitres après le récit de la ligature d’Isaac, où lui et son père ont fait confiance à Dieu, où ils ont cru et confessé que « Dieu pourvoira » (Gen. 22 / 8, 14). Car si l’on n’hérite pas de la foi, par contre le Dieu de la Bible, notre Dieu, est un Dieu qui se laisse rencontrer (És. 55 / 6 ; Jér. 29 / 14), un Dieu qui vient lui-même à notre rencontre. Avant que d’être confessé comme le Dieu de l’univers, le Créateur, il est d’abord le Dieu d’Untel ou d’Unetelle, celui en qui ils ont cru. Rappelez-vous la longue liste des témoins dans l’épître aux Hébreux (Hébr. 11). Je ne suis pas sûr que Jacob va le comprendre maintenant : il y faudra la lutte avec Dieu au gué du Yabboq, quand il rentrera avec femmes et enfants longtemps après : c’est là qu’il deviendra Israël (Gen. 32 / 25-33). On n’y est pas encore…
Dieu vient-il cette fois éprouver Jacob ? Non point. Ce que Dieu vient en personne lui dire, c’est une promesse qui le concerne, lui Jacob. Car Dieu a un projet, toujours le même depuis le début du Livre, et ce projet pour toute l’humanité prend corps à travers des êtres humains concrets, que Dieu associe à son projet. C’est l’autre raison pour laquelle il se présente comme « le Dieu d’Abraham ton père et le dieu d’Isaac » : c’est le même projet qu’avec eux, et Dieu a choisi maintenant Jacob pour poursuivre son projet. Pour Jacob, qui est loin de n’être qu’un instrument aux yeux de Dieu, ce projet revêt la forme d’une promesse. En fait, de plusieurs promesses. Je vous les rappelle : le don de la terre, la descendance innombrable, être le moyen de la bénédiction de Dieu pour tous, la protection de Dieu qui dit à Jacob « moi avec toi » comme il sera dit un jour « Dieu avec nous », « Emmanuel » (És. 7 / 14 ; Matth. 1 / 23).
Las ! Jacob ne va retenir de tout ceci, de toutes ces promesses, que trois choses. La première, c’est que « le lieu » où ce rêve se produit est sacré puisque Dieu lui a parlé ici. C’est bien sûr une mauvaise interprétation : Dieu n’a pas parlé au lieu qui va devenir « Béthel », « maison de Dieu », mais à Jacob, avec la promesse de l’accompagner – et donc pas de rester là à l’attendre ! Dieu n’est pas lié à un lieu, quel qu’il soit. Il n’est ni à Béthel, ni au Garizim, ni à Jérusalem (Jean 4 / 20-24), ni à Rome, ni à Genève ou ailleurs ! Comme Étienne en rendra témoignage avant d’être lapidé : « Le Très-Haut n’habite pas dans ce qui est fait par la main de l’homme, comme dit le prophète : Le ciel est mon trône, Et la terre mon marchepied. Quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, Ou quel sera le lieu de mon repos ? » (Actes 7 / 48-49) Jacob en est resté à l’image – devenue idole – du début du rêve : celle de l’escalier du temple païen, ce « marchepied » du dieu qui est un temple local et non toute la terre, contrairement à la promesse ; ce qui laisse déjà entendre que Jacob n’a pas vraiment écouté la suite…
La suite, nous l’entendons dans le vœu qu’il fait avant de continuer sa route. Ainsi, la seconde chose que Jacob va retenir de son rêve, c’est que Dieu va le protéger et l’enrichir. Oui, certes ça y était. « Je te garderai », avait dit Dieu. Traduction par Jacob : « santé et prospérité pour moi… » L’écoute que Jacob a eue était une écoute purement égoïste, conforme à la personnalité du monsieur. Jacob ne nous surprend pas ici. Mais c’est pire que ça. Il est à ce moment-là une figure de ce que nous sommes, nous, le plus souvent. Nous avons entendu la parole de Dieu, nous la connaissons, il arrive même que nous la méditions ! Mais ce que nous en attendons, c’est que les promesses de Dieu à notre égard, son Évangile, se traduisent en santé et prospérité pour nous, auquel cas nous lui en rendrons grâces. De la même façon nous interprétons la première lecture, la guérison des dix lépreux, comme une promesse pour nous, nous qui nous reconnaissons dans le lépreux qui revient, naturellement… Nous avons – oh ! pas toujours, bien sûr, mais souvent –— nous avons une écoute sélective, égocentrique, intéressée. Or Dieu ne nous a pas promis la santé et la richesse, mais qu’il était avec nous !
La conséquence religieuse logique de cette mauvaise compréhension, c’est la promesse de Jacob à la fin du récit, qui sonne comme un chantage à l’égard de Dieu : « si tu me donnes tout ça, alors ici sera ton temple, et je te donnerai 10 %… » La religion de Jacob est une religion de maquignons, elle est basée sur un échange de bons procédés et d’intérêts bien compris. Plaise à Dieu que notre propre religion ne soit pas telle ; que personne parmi nous n’envisage ainsi ses relations avec le Dieu qui lui promet gratuitement sa protection et sa présence aimante. Rien dans les promesses de Dieu n’était conditionné par quoi que ce soit de la part de Jacob. Comment Jacob a-t-il pu comprendre de cette manière tordue les promesses de Dieu, sinon à cause d’une précompréhension païenne, d’une vision perverse d’un Dieu qui s’achète ou se flatte, qu’on honore pour l’utiliser mieux… ? 9 lépreux sur 10 préfèrent la religion sacrificielle, médiatisée, codifiée, tarifée, au lieu de la relation personnelle avec Jésus, au lieu de rendre gloire à Dieu. C’est ainsi. C’est plus facile, et beaucoup moins impliquant…
La troisième chose que Jacob retient, là encore en tordant la parole de Dieu, c’est que celui-ci le ramènera à la maison. Mais il se trompe de maison. « Je te ramènera vers ce sol », avait dit Dieu, le sol-même que Jacob a nommé « maison de Dieu ». Pour Dieu, le but du chemin de Jacob, c’est d’habiter la « maison de Dieu », par-delà le nom « Béthel » qui n’est que le moyen de faire comprendre ça à Jacob. « J’habiterai dans la maison de l’Éternel pour la durée des jours », chantait David (Ps. 23 / 6). Au bout du trajet, Dieu me ramènera chez lui. Ma maison, c’est chez lui. C’est lui qui me donne mon identité, qui fait de moi son enfant, selon ce que « l’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit ». Mais Jacob, lui, entend bien revenir riche et en bonne santé à « la maison de [son] père ». Enfant de Dieu, ou bien enfant d’Isaac ? C’est toujours la même erreur : Dieu au service de mes intérêts et de mon propre projet, sans que ça ne change rien à mon identité héritée de mes racines et de ma culture.
Or Jacob ne reviendra pas riche ni en bonne santé : lorsqu’il se battra avec Dieu sur le chemin du retour, il sera seul, ayant fait partir sa famille et ses biens, et il en sortira estropié (toujours Gen. 32 / 25-33). C’est alors qu’il recevra, contraint et forcé, une nouvelle identité. Car l’identité du croyant est en Dieu, et non dans sa famille ou sa culture : la foi ne s’hérite pas, mais elle se reçoit. La foi, pas la santé, la richesse, la sécurité. Ce n’est pas incompatible, certes, mais ça n’a rien à voir. Tout comme la foi n’est pas incompatible avec une pratique religieuse, sinon vous ne seriez pas là. Mais elle n’est pas du tout au même niveau. On peut aller au temple sans avoir la foi : c’est sans intérêt, mais non sans risque, car Dieu peut quand même s’y faire entendre, comme en un rêve ! Reste la seule vraie question que Dieu nous pose : « pauvre ou riche, de quel lieu es-tu, à qui es-tu ? » La réponse attendue est seulement celle-ci, que Jacob n’a pas dite : « Je suis à toi, de ta maison ; fais de moi ce que tu veux. » Jacob ne l’a pas dite, ça n’a pas empêché Dieu de faire pour lui et par lui ce qu’il lui avait annoncé !
Le récit du rêve de Jacob et de la réaction de celui-ci nous met à la fois en joie et en garde. En joie parce que Dieu s’adresse à nous par sa Parole, nous dévoilant son amour et son projet. Et en garde parce qu’à chaque pas nous risquons de nous tromper : nous tromper de Dieu, nous tromper d’Évangile, nous croire au centre, ne pas être à la hauteur de l’identité que Dieu nous offre. Il nous faut du discernement, pas tellement pour discerner la volonté de Dieu, mais pour discerner nos erreurs, nos paganismes, nos égocentrismes. Ne pas prendre notre religion pour Dieu, mais au contraire prendre le vrai Dieu comme religion, l’écouter et le suivre, pour notre bonheur ! Amen.
Saint-Dié – David Mitrani – 22 septembre 2019