Genèse 2 / 25 – 3 / 19

 

texte :  Genèse 2 / 25 – 3 / 19   (trad. personnelle)

autres lectures :  Épître aux Hébreux 4 / 14-16 ; Évangile selon Matthieu 4 / 1-11

chants :  37-01 et 62-78

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Tentation. D’où vient la tentation ? Réponse facile : du serpent… Pauvre bête ! Si ce récit de la Genèse ressortit du mythe et non de l’histoire, c’est alors qu’il parle de nous, de nous tous quels que soient l’époque et le lieu, et non pas d’un lointain passé. Il n’est sans doute pas exact historiquement, mais qui s’en soucie ? Ce récit est vrai, profondément vrai. Alors… et le serpent ? Il a une parenté affirmée avec l’être humain : il est « nu », comme eux… Comme ça ne veut rien dire, les traducteurs préfèrent écrire : « rusé ». Mais non. Le texte dit : « nu ». C’est ce même qualificatif qui nous montre, dès le début du récit, la parenté entre ce serpent tentateur et nous autres. La tentation viendrait-elle alors de nous ? D’aucuns pensent qu’elle vient de Dieu, créateur du serpent comme des humains, créateur de « l’arbre de la connaissance de bien et mal » dont pourtant il « commande de ne pas manger ». Tentation ? Mise à l’épreuve… Comme en un commentaire de ce récit, l’apôtre Paul écrivait ceci : « Quand le commandement est venu, le péché a pris vie, et moi je mourus. Ainsi, le commandement qui mène à la vie se trouva pour moi mener à la mort. Car le péché, profitant de l’occasion, me séduisit par le commandement, et par lui me fit mourir. » (Rom. 7 / 9b-11)

 

Le serpent séducteur. Le péché. Et cette histoire où « le commandement saint, juste et bon » (ibid. v. 12b) devient occasion de chute, où « la connaissance de bien et mal » qui n’avait pas de réalité – car Dieu a tout créé et « vu comme bon » (Gen. 1 / 31) – cette connaissance va soudain prendre corps, et c’est à propos de cette nudité justement, ce qualificatif qui était positif, que cela va s’appliquer en connotant « mal » ce qui était « bien », en en faisant un « mal » … et tout le reste va suivre. Ce n’est pas pour rien que la prière du Seigneur nous faisait demander au Père de « ne pas nous conduire dans l’épreuve » (Matth. 6 / 13), car si nous y allons, alors à coup sûr nous échouerons, comme dans notre chapitre de ce matin. Là où nous sommes tentés, nous tombons. Vous me direz que certains d’entre nous ont sans doute plus de force d’âme pour résister que d’autres. C’est vrai. Mais au fond des choses, au fond de nous… ? Il y a toujours une limite, même si elle n’est pas au même endroit pour chacun. Il y a une limite au-delà de laquelle nous nous précipitons au lieu de résister. Dans notre texte, elle a été franchie par « l’humain et sa femme », et c’est bien sûr « la femme » qui y est active, car elle est principe de vie, alors qu’ « humain » signifie seulement « pris de la terre » – j’aurais pu traduire « terrien » d’ailleurs…

 

Serpent. Tentation. Tentation qui s’adresse à ce qui, en nous, est vie, envie de vivre, envie de vivre plus – envie légitime, mais aussi envie risquée. Comment trouver un équilibre, un juste milieu, entre être seulement « terrien », matériel, se laissant flotter au fil de l’eau ou du destin, et cette furieuse envie de vivre plus, qui mène en l’occurrence à l’inverse, au déploiement de la mort ? Alors, vivre comme un mort, ou bien mourir comme un trop vivant ? Le couple de « l’humain et sa femme » était un équilibre, la fin du texte montre que cet équilibre a été rompu lorsqu’il a succombé à la tentation. Ce couple était un équilibre parce qu’il avait été donné par Dieu. Ce que le personnage masculin reprochera à Dieu d’ailleurs : « la femme que tu as donnée avec moi… » Encore un qui dit que c’est la faute des autres, que c’est la faute de Dieu. Seulement voilà : hors de la relation avec l’autre, le partenaire que Dieu me donne, et hors de la relation avec Dieu – dont ils se sont cachés… – il n’y a plus que moi ; et moi tout seul, c’est mourir. La tentation, c’est aussi vouloir être seul, et reprocher la vie à Dieu.

 

Comment se déploie l’épreuve ? D’abord par la suspicion à l’égard de la parole de Dieu : « Dieu a-t-il vraiment dit… ? » La question-même est rupture de confiance. Y prêter l’oreille signe déjà la chute. Il en est de même dans toutes les relations : de couple, de fraternité, d’amitié, de vie sociale. Et ceux qui, dans tous ces domaines, usent de double langage afin qu’on ne puisse plus être certains de leur bonne foi, de leur bonne parole, ceux-ci sont grandement coupables devant Dieu et devant le monde. Qu’ils soient condamnés à ramper sur le ventre et à manger la poussière est encore ce qui peut leur arriver de moins pire ! La vie démocratique dans notre pays agonise à cause de ces pratiques, qu’elles soient le fait de dirigeants politiques, de médias, d’entrepreneurs, de syndicalistes, ou de qui que ce soit. Regardez le diable citant la Bible, dans le récit de la tentation de Jésus au désert… Et cette fois-là il ne fait pas de fausse citation, contrairement au serpent dans la Genèse ! Donner à sa fausse parole un air de vraie parole, ou bien questionner la véracité de la parole de l’autre, cela revient au même, et c’était le but recherché : la confiance devient impossible.

 

Par rapport à la parole de Dieu, pour nous autres chrétiens l’enjeu est d’importance, aussi bien pour notre bénéfice que pour notre témoignage. Si la parole de Dieu nous est transmise par le Saint-Esprit à travers la Bible, elle ne se confond pas avec le texte imprimé ! Que celui-ci soit inspiré et ne se trompe pas, j’en suis convaincu. Mais Dieu n’est pas un écrivain, il est celui qui a donné sa vie pour nous, en son Fils Jésus : voilà sa vraie parole ! C’est le diable qui nous fait lire autre chose dans la Bible, qui nous fait prendre au pied de la lettre ce qui donne une autre image du vrai Dieu, une fausse image du vrai Dieu. « Dieu a-t-il vraiment dit… ? » Dieu est-il vraiment le Père très-aimant de Jésus ? Pensez-vous vraiment que Dieu vous aime gratui­tement ? Ne voyez-vous pas tous les sacrifices qu’il demande, ne voyez-vous pas la violence de ses jugements, ne ressentez-vous pas l’injustice de son action à votre égard, à l’égard de toute l’humanité ? « Dieu a-t-il oublié d’avoir pitié ? » (Ps. 77 / 10) La question du serpent, sous une forme ou sous une autre, revient sans cesse à nos oreilles, à nos esprits. La Bible en est pleine, certes, mais c’est parce qu’elle est la réponse de Dieu à cette question perverse. Il faut se garder alors, lisant trop vite, presque bêtement, il faut se garder de prendre la question du serpent pour la réponse de Dieu, tout comme il faut se garder des discours pieux des amis de Job à qui Dieu dit à la fin de ce livre : « Vous n’avez point parlé de moi avec droiture comme mon serviteur Job » (Job 42 / 7).

 

Ainsi, lorsque nous cherchons à entendre la parole de Dieu en lisant la Bible, c’est l’inspiration du Saint-Esprit que nous devons demander, pas le sifflement du serpent ! Car le but de celui-ci est de nous « écraser le talon », comme dit le texte. Image étrange, mais c’est qu’il ne s’agit pas de nous piquer comme une vipère, mais bien de nous faire chuter, pour nous rendre incapables de marcher. Son but n’est pas de nous tuer, mais de nous empêcher de marcher sur la route que Dieu a voulue pour nous. C’est pire ! Tandis que le but de l’Esprit, à travers la Bible, est de nous rapprocher de Dieu. Selon l’évangile de Jean : « ceci est écrit afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. » (Jean 20 / 31) Telle est donc la clef de lecture de toute la Bible, ce qui est confirmé par d’autres versets. Le but de la Bible n’est pas de « connaître bien et mal », mais de connaître le Christ Seigneur et Sauveur. Et de le faire connaître ! Simplifier le message, en faire un message moral, c’est faire l’œuvre du serpent, car la morale nous condamne, tous ; elle nous met à nu non pas comme une libération mais comme une honte.

 

La question du serpent brouille notre esprit : qu’est-ce qui est au centre du jardin ? Le chapitre 2 disait : « L’Éternel Dieu fit germer du sol tout arbre d’aspect agréable et bon à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance de bien et mal. » (Gen. 2 / 9) Alors, pour vous-mêmes, et dans ce dont vous témoignez auprès d’autres gens, quel est l’arbre qui est « au milieu du jardin » ? Ce qu’en dit Dieu, ou bien ce qu’en répond la femme à la question du serpent ? L’Évangile, ou bien la Loi ? Le Christ, ou bien la condamnation ? En d’autres termes – mais c’est bien la même chose – voulez-vous être des enfants de Dieu, recevant de lui la vie, ou bien voulez-vous être des dieux, être Dieu à la place de Dieu, gagner votre vie par vous-mêmes, par vos efforts, par votre obéissance, par toutes les stratégies que le diable vous soufflera en vous faisant croire qu’il vous place tout en haut ? Jésus, lui, a tenu bon, au désert : Fils de Dieu, plutôt qu’esclave du diable pour se croire important et généreux. Il n’y a pas place au jardin pour deux arbres au même endroit, « au milieu ». Soit c’est « l’arbre de vie », soit c’est l’autre. La femme du récit a choisi l’autre, dès le début du dialogue. Ils seront donc privés de la vie, jusqu’au moment où cet arbre ressurgira au cœur de la ville pour donner vie au monde, et ce sera la croix du Christ.

 

Oui, ce choix est important, primordial, vital. Pour vous, pour moi, où est le centre ? Si la question se pose, c’est parce que le serpent l’a posée sous une forme perverse, mais c’est fait, c’est fait depuis toujours, et il faut faire avec, il faut donc y répondre. Reculer, se cacher, c’est « se cacher de la face de l’Éternel Dieu au milieu de l’arbre du jardin », c’est se cacher au lieu-même du péché, à l’endroit où se révèle à la fois mon hybris et son inanité : ma nudité. Comme si je pouvais me cacher de Dieu ! « Il n’y a rien de caché qui ne doive être révélé » (Matth. 10 / 26). Se cacher de Dieu, c’est rester dans le péché et y être découvert, c’est choisir la mort, la déliquescence de toutes les relations vitales : la distorsion du couple qui est évoquée dans le texte le dit bien, où désir et domination remplacent amour et partenariat, où le « terrien » est renvoyé à la « terre ». Se confier en Dieu, en le reconnaissant comme centre, c’est recevoir de lui le pardon, la paix, la vie, au grand jour. Ça ne nous est pas possible par nous-mêmes, c’est un don de Dieu. En Christ, nous sommes sortis de la condition humaine ordinaire, nous possédons ce qu’aucun être humain ne peut gagner : nous sommes enfants de Dieu.

 

Le diable se dévoile devant Jésus au désert : « Je te donnerai tout cela, si… » L’Évangile dit le contraire. L’Évangile dit le cadeau inconditionnel de Dieu à ceux qui font confiance à sa parole, à ceux qui reçoivent ce cadeau de la vie en Christ pour s’en servir et pour en témoigner afin que d’autres le reçoivent eux aussi. Le Christ, en quelque sorte, nous fait vivre le jardin au milieu d’un monde qui n’y ressemble guère et qui en a oublié jusqu’à l’image. Il n’est pas encore manifesté à tous, « l’arbre de vie, qui produit douze récoltes et donne son fruit chaque mois, [et dont] les feuilles servent à la guérison des nations. » (Apoc. 22 / 2) Mais nous, nous y avons déjà goûté, pain et vin, vie offerte et alliance éternelle. N’écoutons donc plus le serpent, ne le laissons plus nous enlever le don de Dieu, ne le laissons plus nous cacher le Christ. Car « nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés », comme Paul l’a écrit (Rom. 8 / 37). Il s’agit juste de vivre de cette victoire, de vivre en vainqueurs et non en esclaves. Le chemin est devant nous, offert. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  1er mars 2020

 

 

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