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Genèse 18 / 9-15
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texte : Genèse 18 / 1-2. 9-15
autres lectures : Épître aux Philippiens 4 / 4-7 ; Évangile selon Luc 1 / 26-38. 46-55
chants : 31-09 et 14-03
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Voici des textes qui sont très déroutants pour les gens, aujourd’hui. Pour nous aussi, si nous y réfléchissons un peu, en passant par-dessus le fait que nous les connaissons quasiment par cœur et qu’ils ne nous troublent plus. Certes, il y a plusieurs histoires dans notre Bible, où Dieu permet à des gens qui ne peuvent pas ou plus avoir d’enfant d’en avoir néanmoins. C’est le cas d’Anne, par exemple, de qui naîtra Samuel. Ou bien de Rachel, la femme préférée de Jacob. Il s’agit alors de réparer ce qui apparaît comme une injustice : la plus aimée n’a pas eu d’enfant, la moins aimée en a, la première va finalement enfanter aussi, fût-elle stérile. Comme il y a une morale, ça nous parle, ça justifie la « belle histoire » malgré nos esprits rationnels ou qui tâchent de l’être. Car pour la plupart d’entre nous, ce sont là de « belles histoires », pour ne pas dire des mythes, et certains parleraient même de mythologie… Écartons donc cette dernière interprétation, qui détruit le tout de la foi : non, ces histoires ne sont pas comme celles qu’on enseigne encore – en tout cas de mon temps – dans les écoles de la République laïque, histoires de dieux très humains, adultères, querelleurs, vindicatifs, causes de grands malheurs pour l’humanité…
La question se pose de savoir si nos textes bibliques sont des mythes, c’est-à-dire des récits exprimant sous forme imagée des vérités profondes qui fondent la foi et la compréhension de soi-même et du monde, mais qu’on ne sait pas dire autrement. Ce que faisaient aussi nos contes d’autrefois, avant d’être édulcorés pour les enfants par des auteurs populaires au XIXe siècle, et par les studios Walt Disney au XXe ! Mais nos récits n’en ont pas l’allure. En plus, ils donnent la réponse très explicitement, ils disent clairement ce qu’il faut comprendre, ce qu’un mythe ne peut pas faire, puisqu’il remplace une explication impossible clairement. Non, le récit de l’Annonciation, non plus que celui des chênes de Mamré, ne sont des mythes. Dans les deux cas, il y avait une promesse, que la nature rendait impossible à tenir. Une promesse de Dieu. La première question à laquelle ils répondent est donc cruciale pour la foi : Dieu est-il menteur ? Dieu a-t-il fait des promesses qui ne sont pas tenables ? Abraham et Sarah se sont posé la question, implicitement, en cherchant d’autres moyens d’avoir une descendance, la descendance promise, puisqu’ils n’étaient pas féconds, et désormais trop vieux de toute façon. Mais Dieu n’a agréé ni le cousin ni le fils de la servante… Évidemment, vous comprenez bien que la seule manière de répondre négativement à la question, la seule manière de montrer que Dieu tient ses promesses, c’est de constater qu’il les a effectivement tenues. Ce qui suppose que ce soit vrai ! S’il y a un doute là-dessus, alors ce n’est plus une preuve, et la conclusion logique, au bout du chemin, c’est que Dieu n’en a rien à faire de nous, ou alors qu’il n’existe pas. Conclusion qui est celle de beaucoup de gens aujourd’hui dans notre pays.
Abraham et Sarah ont eu un fils dans leur vieillesse, un fils non seulement légitime, ce qu’était Ismaël, mais aussi naturel, si l’on peut dire. Car il est aussi, bien évidemment, surnaturel, non pas dans son identité, mais dans sa conception et sa naissance. Et c’est bien la seconde question, et d’ailleurs aussi la réponse, celle donnée par Gabriel à Marie, mais déjà par l’Éternel à Abraham et Sarah. « Rien n’est impossible à Dieu », dit Gabriel. Et Abraham avait entendu cette question purement rhétorique, cette affirmation : « Y a-t-il rien qui soit étonnant de la part de l’Éternel ? » « Y a-t-il rien qui soit étonnant de la part de l’Éternel ? » ! Frères et sœurs, si nous avons un esprit un peu magique, nous allons en tirer comme conclusion qu’on peut alors tout demander à ce Dieu, il le fera, même ce qui nous est impossible, même ce qui pourra nous étonner dans notre naïveté ou dans notre rationalisme… C’est d’ailleurs ce que nous faisons souvent dans nos prières. Nous lui demandons de faire ce qui nous est impossible, nous le prenons pour un magicien. Nous aimerions tellement qu’il empêche ceux que nous aimons, et nous-mêmes aussi, de souffrir, de mourir ; nous aimerions tellement qu’il y ait la paix et la prospérité (sauf pour nos ennemis, naturellement) ; nous aimerions tellement qu’il réalise nos rêves de puissance…
Seulement voilà : toutes nos histoires individuelles, toute notre histoire collective (nationale ou ecclésiale) sont tissées du non-exaucement de telles prières. C’était impossible, et pourtant Dieu ne l’a pas fait… Dieu est-il méchant avec moi parce que je suis pécheur et ne mérite rien d’autre ? Dieu est-il égoïste et ne s’occupe-t-il que de ce qui l’intéresse ? Dieu ne s’intéresse-t-il qu’à la réalisation de son propre projet ? Certes, Dieu se préoccupe de son propre projet, mais la Bible affirme, contrairement aux mythologies, que ce projet est un projet d’amour, et que ce projet est bon pour moi et pour les autres. Alors, s’il peut le faire, pourquoi n’exauce-t-il pas ma prière ? Et s’il ne peut pas le faire, est-il Dieu ? Et me voici qui enferme Dieu dans mes propres questions, dans ma propre logique, et qui m’y enferme moi-même… Tous ces raisonnements ne sont-ils pas seulement le cri de mon angoisse devant la vie, l’expression de mon incompréhension totale de qui est Dieu et de son action dans le monde comme dans ma vie ? Vous le savez, lorsque l’apôtre Paul se posera, et posera au Seigneur, de telles questions, la réponse que Paul nous retransmet lui-même est celle-ci : « Ma grâce te suffit, car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse. » (2 Cor. 12 / 9) Et à Pierre qui lui posait la question du devenir du « disciple que Jésus aimait », le Seigneur avait répondu : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi. » (Actes 21 / 22-23a)
Ainsi notre Seigneur oppose-t-il une fin de non-recevoir à nos prières et à nos interrogations sur le possible et l’impossible, le raisonnable et l’irrationnel. Dans ces deux versets que je viens de vous citer, on dirait qu’il ramène tout à lui. Mais non : « ma grâce TE suffit », « TOI, suis-moi » ! Là comme ailleurs, pour ces questions comme pour toute autre, Jésus tente de me déplacer, non pas du possible vers l’impossible – encore que… – mais de moi vers lui et moi. C’est évidemment le projet que Gabriel exposait à Marie. C’était déjà celui que les « trois hommes » ont exposé à Abraham et qui suscita le rire de Sarah, ce qui donnera son nom à Isaac – « il rit ». Était-ce un rire d’incrédulité ? Sarah s’en défendait. Le rire alors que suscite la perspective que ma vie soit liée à celle de Dieu, que ma vie soit liée à Jésus-Christ ? Qu’elle le soit avec certitude, tout comme il est certain que Dieu est capable de l’impossible ? Amen ! Voilà sans doute ce qui est commun à Abraham et Sarah, et à Marie. L’accomplissement de la promesse à Abraham ouvre une histoire et donne sens à la vie d’Abraham et de Sarah. L’accomplissement de la promesse à Marie ferme cette histoire qui est maintenant achevée, accomplie elle aussi, pour en ouvrir une nouvelle qui est pour tous les peuples.
En fait, il faut que je me détache de l’idée que Dieu peut résoudre les problèmes insolubles, impossibles, de ma vie et du monde, tels que je les vois et les comprends. Mais c’est afin de m’ancrer dans l’idée que Dieu peut l’impossible pour moi et pour le monde, d’une manière qui ne m’est pas accessible, qui n’est peut-être pas accessible à ma vue, mais qui en tout cas n’est pas accessible à ma raison. Mais pourquoi croire que je ne le verrai pas ? Ne l’ai-je pas déjà vu ? Dieu n’a-t-il pas donné le fils qu’il avait promis à Abraham ? Dieu n’a-t-il pas donné son propre Fils par Marie ? N’ai-je pas déjà vu ce Dieu accomplir un peu d’impossible dans ma vie à moi ? Ne m’a-t-il pas appris à me tourner vers lui, malgré mes doutes, mes refus, ma rationalité ? Si Dieu n’est pas capable de l’impossible, ou s’il ne le fait pas, alors ma vie n’a pas de sens, le monde non plus. « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons… » (1 Cor. 15 / 32) La question n’est pas d’abdiquer sa raison, mais de laisser Dieu être Dieu, de me servir de ma raison pour ce à quoi elle peut s’appliquer, et de faire confiance pour ce que je ne comprends pas et sur quoi je n’ai aucune prise. C’est ce que Dieu avait montré à Job dans les derniers chapitres du livre qui porte ce nom : « Où étais-tu quand je fondais la terre ? Déclare-le, si tu le sais avec ton intelligence. Qui en a fixé les mesures, le sais-tu ? Ou qui a étendu sur elle le cordeau ? Dans quoi ses bases sont-elles enfoncées ? Ou qui en a posé la pierre angulaire, alors qu’ensemble les étoiles du matin éclataient en chants de triomphe, et que tous les fils de Dieu lançaient des acclamations ? » (Job 38 / 4-7)
Jamais l’astronomie ni l’astrophysique n’auront une réponse pour ces questions-là ! Jamais la biologie ni la physiologie n’auront une réponse pour la naissance d’Isaac ou pour celle de Jésus, non plus que pour sa résurrection. Jamais la psychologie, serait-elle celle des profondeurs, n’aura de réponse à fournir au fait que c’est l’amour de Dieu pour moi, la mort et la résurrection de Jésus pour moi et pour le monde, qui donnent un sens à ma vie. Elles peuvent certes expliquer pourquoi je suis croyant, mais pas pourquoi j’ai raison de l’être ! Car Dieu a tenu ses promesses, et il le fera jusqu’à la fin du monde et au-delà. Abraham et Sara ont eu Isaac. Marie a donné naissance à Jésus, pleinement homme et vrai Fils de Dieu. « Y a-t-il rien qui soit étonnant de la part de l’Éternel ? » La réponse est non : « Notre Dieu est au ciel, Il fait tout ce qu’il veut. » (Ps. 115 / 3) La foi chrétienne sait qu’il ne le fait pas au ciel, mais sur terre, dans la vie des croyants, et qu’il le fait vraiment, pas par manière de parler. Crois-tu donc aux miracles ? La réponse est oui. Mais ce n’est pas à cause des miracles que je crois en Dieu, c’est parce que je crois en Dieu que je vois les miracles qu’il accomplit.
Il reste juste une dernière question : le rire de Sarah, qui fut aussi celui d’Abraham une page plus haut (Gen. 17 / 7). Si je garde mon interprétation, qu’il ne s’agit pas seulement d’un rire de moquerie devant une annonce qui paraissait stupide, mais aussi un rire de joie devant une promesse divine certaine de se réaliser, alors ce rire, cette joie, doivent être miens, et aussi vôtres. « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur », écrivait Paul. À Noël, nous célébrons une naissance miraculeuse qui est « une grande joie pour tout le peuple », disaient les anges (Luc 2 / 10). Ce n’est ni un mythe ni de la mythologie. C’est la garantie que notre foi est fondée sur le roc. « Je sais en qui j’ai cru », c’est ce que Paul écrivait à Timothée (2 Tim. 1 / 12). Ailleurs il écrivait : « Forts de ce même esprit de foi dont il est écrit : J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé, nous croyons, nous aussi, et c’est pourquoi nous parlons. » (2 Cor. 4 / 13) Ici, il faudrait dire : c’est pourquoi nous rions, c’est pourquoi nous chantons et vivons notre joie ! Car ce que Dieu a promis, Dieu le réalise, même si c’est impossible. Et c’est pour nous qu’il le fait et le fera, tout comme il l’a déjà fait. Il est « celui qui est, qui était et qui vient » (Apoc. 1 / 4. 8). Alors oui, rions et réjouissons-nous, même si ce que nous traversons ne prête ni à rire ni à se réjouir, et même là où, sans la foi, nous pleurerions, y compris face à nos ennemis et à tout ce qui nous agresse de dehors ou de dedans. Car « en tout cela, nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés. » (Rom. 8 / 37) Car « rien [n’est] étonnant de la part de l’Éternel ! » Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 20 décembre 2020