Genèse 12 / 1-4

 

texte :

L’Éternel dit à Abram : « Va-t’en de ton pays, de ta parenté et de la maison de ton père, vers le pays que je te ferai voir. Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai ; je rendrai ton nom grand. Sois bénédiction : je bénirai ceux qui te béniront, je maudirai celui qui t’humiliera. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » Abram partit, comme l’Éternel lui avait parlé, et Loth partit avec lui. Abram était âgé de 75 ans, lorsqu’il sortit de Harân.

 

premières lectures :  Première épître aux Corinthiens 1 / 18-31 ; Évangile selon Luc 5 / 1-11

chants :  22-08 et 47-07

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prédication :

 

Quand Dieu appelle… Dieu appelle les chrétiens. Comme Jésus avait appelé ses disciples. Comme Dieu avait appelé autrefois celui dont le nom n’était pas encore Abraham. C’est avec lui que nous resterons un peu ce matin. Il nous faudra nous détacher de l’imagerie héritée du Coran. Non, Abraham n’était pas un briseur d’idoles en Babylonie : ça, ce sera Mahomet à La Mecque ! Ici on n’entend pas parler d’idoles… Abraham n’est pas non plus parti de Our : ça, c’était son père Térah. Ils se sont installés à Harân, capitale du nord de la Mésopotamie, le lieu du dieu Sîn, c’est-à-dire la Lune. Là est l’idole dont ne parle pas le texte. Ils ont fait comme Nabonide, le dernier roi de Babylone au VIe siècle, qui avait délaissé Marduk de Babylone, dieu de ses prédécesseurs, pour Sîn de Harân, plus près aussi de l’ouest de l’empire qui se développait de ce côté-ci. Serait-ce aussi le trajet des Juifs exilés à Babylone lorsqu’ils rentrent à Jérusalem après que Cyrus le Perse a déposé Nabonide ? Spéculations que tout ceci, certes intéressantes quant à l’histoire du texte…

 

Mais restons avec le texte lui-même, avec Abram tel que la Genèse nous le montre ici, pour la première fois sans sa parenté hormis Loth. Car jusqu’ici Abram n’était que le fils de son père, le petit-fils de son grand-père, le frère de ses frères, etc. Avec le chapitre 11 nous étions toujours dans la généalogie des descendants de Noé et de son fils Sem, bien qu’il semble qu’une nouvelle étape a été ouverte avec Térah le père d’Abram. Puis « ils sortirent ensemble de Our-des-Chaldéens, pour aller vers le pays de Canaan ; ils vinrent jusqu’à Harân et ils habitèrent là. » (Gen. 11 / 31) Canaan, c’était donc déjà le but du voyage de la famille de Térah, mais le projet s’est arrêté en route ! Il y manquait sans doute le principal…

 

Et le principal, c’est celui qui apparaît maintenant en premier dans l’extrait que je vous ai lu, en ce début du chapitre 12 : l’Éternel ! Il n’était plus apparu dans le texte biblique depuis l’histoire de la tour de Babel. Toute la généalogie sémite s’était déployée sans que le lecteur entende parler de lui. Le projet de Térah s’était déployé sans intervention explicite de Dieu. Et voici que, tout d’un coup, « l’Éternel dit vers Abram : Va… » Mais ce n’est pas la simple reprise du projet familial. S’il semble bel et bien y avoir une continuité, la parole de Dieu va pourtant établir une rupture radicale, cette rupture qui fait toujours tellement problème aux catéchètes lorsqu’ils présentent cette histoire aux enfants de l’école biblique. L’Éternel demande à Abram de quitter son pays – ce qui ne sera sans doute pas très difficile, puisqu’Abram n’est pas né là, seulement installé avec son père sans qu’on sache pendant combien de temps. Et même si le texte mentionne la mort de Térah avant l’appel de Dieu à Abram, les durées de vie indiquées montrent qu’il est encore vivant lorsqu’Abram s’en va.

 

Ce qui va sans doute rendre plus difficile la seconde rupture : quitter sa parenté, quitter ce qui fait qu’Abram serait toujours « le fils de ». Plus tard dans le livre, le changement de nom d’Abram en Abraham le dira aussi : pour le lecteur et par vocation divine, Abraham n’est pas un fils, mais un père. « On ne t’appellera plus du nom d’Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te rends père d’une foule de nations. » (Gen. 17 / 5) Cette rupture est à la fois attirante et difficile, encore que cela varie selon les époques ! Du temps où j’étais jeune, cette rupture était désirable pour beaucoup de gens afin d’affirmer leur propre identité, de vivre leurs propres choix. Aujourd’hui où la situation économique et sociale n’est pas très souriante pour la plupart – c’est le moins qu’on puisse dire – beaucoup apprécient de pouvoir se réfugier dans leur « parenté » justement. Mais pour Abram il n’est pas question d’autonomie, mais de changer de dépendance.

 

Dieu le lui précise : quitter « la maison de [son] père ». Ce n’est plus Térah qui dira à Abram ce qu’il doit faire et où aller. mais ce n’est pas non plus Abram qui choisira en toute indépendance. Dans la parole de Dieu, il n’y a pas moins de 6 fois des verbes à la première personne, 6 fois « je » et aucune fois « tu », seulement un impératif, et sinon la 2e personne n’apparaît qu’en complément… Dans cette parole que Dieu adresse à Abram, et dans ce qui fait que désormais Abram va vivre le projet de Dieu et non plus le sien, il est clair que l’acteur principal, c’est Dieu ! Un Dieu qui semble épouser le projet familial de Térah, qui était de se rendre en Canaan, mais un Dieu qui change radicalement le sens de ce projet pour Abram et ce qui est désormais son propre clan. Abram n’est plus lié à son père, à sa généalogie, à son histoire, mais à Dieu, à celui qui se manifeste désormais comme son Dieu. Et lorsque Dieu commande, Abram ne fait pas comme Jonas qui partira de l’autre côté, lui il obéit. Il va.

 

Mais quel sera « le pays que je te ferai voir » ? Réponse naturelle et spontanée : Canaan. Mais ce n’est pas si évident : Abram ne s’y arrêtera pas, il continuera son voyage jusqu’en Égypte avant d’y revenir… C’est sans doute que le pays importe peu, dans toute cette promesse – ce avec quoi un Juif ne serait pas d’accord, bien sûr ! Plus importants dans la suite de la parole de l’Éternel : la bénédiction, le mot s’y trouve 5 fois ; et la grandeur : « Je ferai de toi une grande nation et je te bénirai ; je ferai grandir ton nom » : la nation et le nom. Cette grandeur et cette renommée ne sont pas liées au pays, ce que la plupart des Juifs durant 2 500 ans avaient bien compris, avant que le sionisme et la Shoah ne recréent un État juif en Canaan… Cette grandeur et cette renommée sont celles du peuple de Dieu, et aujourd’hui c’est l’Église, dont les membres appelés sont « tant Juifs que Grecs », comme écrivait Paul, et nous en sommes ! Que cette grandeur soit aujourd’hui contestée dans nos pays n’y enlève rien, non plus que les essais pour éradiquer cette « grande nation » en d’autres lieux. La promesse de Dieu demeure, et sa bénédiction.

 

Or, c’est la bénédiction le plus important, bien sûr. Notre grandeur, notre renommée, ne seraient et ne sont rien sans cette bénédiction, elles ne sont nullement un acquis, mais un don sans cesse renouvelé. Entre l’appel de Dieu à Abram pour qu’il aille où Dieu le mènera, et la promesse de grandeur, c’est la bénédiction qui fait le lien. Et cette bénédiction est double. Elle repose sur Abram, et à travers lui sur Israël, sur l’Église de Jésus-Christ. Mais aussi elle est destinée à « toutes les familles de la terre », à toute l’humanité, et ce de deux manières. La première, c’est que cette bénédiction ira sur tous ceux qui « béniront » ce peuple, ainsi que Jésus lui-même l’expose à la fin de l’évangile de Matthieu : « En vérité, je vous le dis, dans la mesure où vous avez fait cela à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Matth. 25 / 40) La seconde manière, c’est la promesse elle-même de bénédiction universelle. « L’Évangile est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec. En effet la justice de Dieu s’y révèle par la foi et pour la foi, selon qu’il est écrit : Le juste vivra par la foi» (Rom. 1 / 16-17) « Car il n’y a pas de distinction : tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ; et ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est en Jésus-Christ. » (Rom. 3 / 23-24)

 

Ainsi, la promesse de bénédiction universelle « en » Abraham est-elle accomplie en Jésus-Christ, qui est « sa descendance » (Gal. 3 / 16). Or cet accomplissement nous renvoie à la promesse liée à l’appel d’Abram, institué comme le modèle de l’Église et des croyants. Ce modèle a été appelé à quitter ses attaches mondaines pour suivre la parole de Dieu. Et c’est ce que nous avons fait et que nous faisons et que nous voulons faire dans l’obéissance à la Parole. Or nombreuses sont nos attaches qui nous retiennent de suivre. Rappelez-vous les excuses avancées dans les évangiles par ceux qui furent aussi appelés par Jésus, mais qui avaient d’autres priorités (Luc 9 / 59-62 ; 14 / 18-20). Notre texte nous pose toujours à nouveau cette question à laquelle il nous faut répondre chaque jour, à chaque occasion : voulons-nous suivre Jésus, obéir à la parole de Dieu, ou bien rester attachés au monde ?

 

La plupart du temps notre tête répond oui à la première solution, et notre existence concrète, « la chair » pour parler comme Paul, répond oui à la seconde solution. Oui nous voulons, mais nous ne faisons pas. « Je prends plaisir à la loi de Dieu, dans mon for intérieur, mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon intelligence et qui me rend captif de la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? – Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur ! » (Rom. 7 / 22-25a) Telle est la bénédiction de Dieu sur nos vies, c’est qu’en Jésus-Christ nous pouvons nous en remettre entièrement à lui, et non plus à nous-mêmes. Je ne suis plus obligé de décider pour moi, de faire pour moi, mais je ne suis pas transformé en légume pour autant : je laisse l’Esprit de Dieu me conduire où il veut malgré mes craintes, mes attaches, mes idées, mes valeurs. Je fais « non pas comme je veux, mais comme [lui] veut », selon ce que Jésus priait à Gethsémané (Matth. 26 / 39).

 

Difficile ? Abram l’a fait, et tant d’autres. Faire confiance à quelqu’un, c’est ça. Avoir foi en Dieu, c’est ça. Le laisser conduire ma vie, au jour le jour. Lui connaît les fins, pas moi. Lui connaît son projet pour moi, mais celui-ci ne m’est pas toujours clair, et parfois pas du tout. Comment être son témoin si je ne le vois ni ne le comprends ? Précisément en faisant confiance ! Faire confiance quand on voit la route, ce n’est pas faire confiance, c’est voir la route ! Mais « quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi », chantait David (Ps. 23 / 4). C’est notre foi qui témoigne de ce que Dieu est notre Dieu, de ce que Jésus est notre Seigneur. C’est notre confiance, pas les actes de notre volonté. Ceux-ci rendent visible cette confiance lorsqu’ils sont configurés à la volonté de Dieu, ils questionnent, mais c’est la confiance qui parle, qui témoigne.

 

Mon nom en deviendra-t-il grand et serai-je à l’origine d’une grande nation, ou à tout le moins d’une Église nombreuse ? Ça, c’est le Satan qui parle ! Le sacrifice d’Isaac (Gen. 22 / 1-19) sera le moment où Abraham renoncera à toute perspective de ce type, pour ne l’accepter plus que de Dieu lui-même ; la bénédiction et la promesse lui seront réaffirmées par Dieu à cette occasion. La lutte de Jacob avec l’ange remplira le même office pour celui qui y recevra le nom d’Israël (Gen. 32 / 25-32). Et dans ma vie à moi, quel est le lieu et le moment de mon renoncement à moi-même ? La réponse relève de l’intime de chacun. Mais c’est aussi là l’ancrage de la bénédiction de Dieu, qui transforme ma vie et ma mort dans la communion du Christ mort et ressuscité. Que ma confiance désintéressée en cette parole en témoigne auprès de tous. Amen.

 

Raon-l’Étape  –  David Mitrani  –  17 juillet 2022

 

 

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