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Ézéchiel 2 / 1 – 3 / 4
Partage
texte : Ézéchiel 1 / 28c – 3 / 4
première lecture : Évangile selon Luc 8 / 4-18
chants : 22-04 et 36-19
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Ézéchiel vient d’avoir sa vision inaugurale, vision de la gloire de Dieu. On aurait pu en rester là : pourquoi vouloir plus quand on est ravi en extase, quand on a vu Dieu ?! On aurait pu s’arrêter là, mais ça n’aurait pas été la Bible ! La Bible ne cherche pas à ce que les croyants restent dans leurs visions mystiques, quand ils en ont ; mais elle cherche à ce qu’ils vivent leur foi dans la réalité concrète dans laquelle ils sont placés. Pas de division non plus dans la Bible : le corps pour la terre, l’âme pour le ciel. Non. L’âme anime le corps pour la vie terrestre, et la vie éternelle est promise aussi au corps par la résurrection. Donc, fini de rêver, la vision possède une voix, et cette voix va renvoyer Ézéchiel dans le monde. C’était même le but de sa vision. Dommage ? Non : intéressant…
Tiens, en parlant de corps… La voix justement va en parler. D’abord : les pieds. On se serait attendu à commencer par la tête – à tout seigneur tout honneur ! Mais non, les pieds. Comme le dira un autre prophète : « Qu’ils sont beaux sur les montagnes, Les pieds du messager de bonnes nouvelles, Qui publie la paix ! Du messager de très bonnes nouvelles, Qui publie le salut, Qui dit à Sion : “Ton Dieu règne !” » (És. 52 / 7) Le messager, le prophète, le témoin, se sert d’abord de ses pieds, car il doit partir, quitter la quiétude de la présence de Dieu – comme si celui-ci n’était pas aussi présent au monde ! –, il doit partir pour aller vers les gens. Or ces pieds sont fragiles. Ils ont non seulement un message à porter, mais un messager ! Et ils sont si bien au chaud à la maison… Mais ce n’est pas leur vocation, bien sûr. Ils sont là pour marcher. Il sont là déjà pour que leur propriétaire se tienne debout… Et c’est là, étrangement, la première parole de la voix divine adressée à Ézéchiel : « tiens-toi sur tes pieds ! »
Le prophète dormait-il, puisqu’après tout sa vision pouvait bien être un rêve ? Ou bien était-il à terre ou à genoux, dans « le sac et la cendre », dans la position de l’humble pécheur repentant – car comment ne pas se repentir de son indignité quand on est en présence de Dieu ? La voix l’interpelle dans la position où il était, quelle qu’elle fût. Elle sollicite son attention, et plus que ça, son obéissance. Elle le met au garde-à-vous ! Mais l’être humain, en présence de Dieu, peut-il faire autre chose que « tomber comme mort », comme Jean au début de l’Apocalypse (Apoc. 1 / 17) ? Dans notre société où toutes les relations sont aplaties, sans hauteur ni profondeur, on a de la peine à le réaliser, mais normalement, quand on est en présence de beaucoup plus grand que soi, on a l’impression d’être tout petit, et ce n’est pas qu’une impression ! Alors, en présence de Dieu… ! Ézéchiel va donc avoir besoin d’aide, et pas d’une aide humaine. Quand Dieu veut faire tenir quelqu’un debout, c’est lui-même qui accomplit l’ordre qu’il vient de donner, c’est son Esprit qui « entra en moi et me fit tenir sur mes pieds », comme dit Ézéchiel.
Je dois avouer que cela est bien nécessaire, et pas seulement pour ce monsieur qui vécut il y a 2 600 ans. Quand Dieu appelle, quand Dieu commande, comment pourrais-je « tenir sur mes pieds » ?! J’ai besoin, j’ai sans arrêt besoin que l’Esprit de Dieu me relève et me fasse tenir debout. Et souventes fois ça ne marche pas, je suis bien mieux assis dans mon confort, ou même couché pour ne pas « voir ça ». C’est donc bien non pas pour m’aider, mais pour me contrarier, que l’Esprit, parfois, arrive à me faire « tenir sur mes pieds » à mon corps défendant. Certes je le lui demande. Mais je n’ai aucune envie qu’il le fasse, et j’y résiste bien souvent de toute mon inertie. Tiens, ça me rappelle cette scène de la compagnie Sketch’up, je ne sais pas si vous connaissez : c’est une jeune fille qui récite le Notre Père, comme une prière rituelle, vite lancée, vite terminée ; mais Dieu l’interrompt à tout bout de champ, pour lui faire reconnaître qu’elle n’en pense pas un mot, de ce qu’elle lui demande…
Voilà. Ézéchiel et moi n’avons pas envie que Dieu nous envoie marcher ailleurs que là où nous avons trouvé notre chez-nous, notre confort – même dans l’exil pour Ézéchiel – le confort de nos convictions bien arrêtées, de notre quotidienneté bien réglée, de notre foi tranquille quoique sans Dieu… Or Dieu existe et il est venu nous chercher. Il n’arrête pas de faire ça, c’est agaçant ! Dieu ne nous laisse pas tranquilles. Jérémie le lui reprochait vertement : « Tu m’as séduit, Éternel, Et je me suis laissé séduire ; Tu m’as saisi et tu as vaincu. Et je suis chaque jour en dérision, Tout le monde se moque de moi. Car toutes les fois que je parle, je crie, Je proclame : violence et dévastation ! Et la parole de l’Éternel est pour moi Un sujet de déshonneur et de risée toute la journée. Si je dis : “Je ne ferai plus mention de lui, Je ne parlerai plus en son nom”, Il y a dans mon cœur comme un feu brûlant, Retenu dans mes os. Je me fatigue à le contenir et je ne le puis. » (Jér. 20 / 7-9) Bon, Ézéchiel et moi ne le reprochons pas à Dieu – il est vrai que nous sommes moins maltraités que Jérémie ! Non, nous le constatons, c’est tout. Quand Dieu veut quelqu’un, il s’en donne les moyens, quelle que soit l’indignité de la personne.
Deuxième élément corporel : le visage. Non pas celui du prophète, mais celui des gens de son peuple qui ont rejeté Dieu, qui se sont prosternés devant des idoles, des mensonges, des illusions, préférant l’esprit de leur temps et la servilité de leurs intérêts mondains, au service du Dieu vivant. Les visages en question ne sont pas ouverts ni souriants ni attristés, ils sont « obstinés », dit Dieu. Ils manifestent à l’extérieur « le cœur endurci » de l’intérieur, la volonté assujettie à l’ego, à l’intérêt personnel, au désir autocentré. On le voit bien, ce visage fermé, qui ne laisse rien transparaître de ce qui pourrait fragiliser l’individu face aux autres, dans un monde où celui qui ne mange pas sera mangé, où celui qui laisse voir sa faiblesse se condamne à n’être qu’un jouet pour les autres – comme Jérémie, justement, qui n’en pouvait plus de ça.
A contrario le visage de celui ou celle qui se confie en Dieu ne peut qu’être un visage apaisé, le visage de quelqu’un qui ne craint rien et qui le sait, et qui, du coup, peut sourire à la vie et aux autres. On le sait bien, « vous utilisez 17 muscles pour sourire et 43 pour froncer les sourcils », comme internet me l’a confirmé… C’est pour ça qu’être apaisé rend souriant ! Bon, ce sont des statistiques qui ne servent à rien, mais quand même… Et être apaisé quand on vit normalement n’est pas si facile. Si on a besoin de Dieu pour mobiliser les 300 muscles qui nous font tenir debout – oui, encore une statistique qui ne sert à rien – c’est bien la foi en lui qui détend les 26 qui rendent notre « visage obstiné ». N’êtes-vous pas plus calmes, plus reposés, quand vous êtes avec quelqu’un en qui vous avez confiance, et qui vous évite de vous poser sans arrêt des questions sur ce que vous pouvez laisser paraître de vous-même ou pas ? Pareil avec Dieu !
Troisième élément du corps : la bouche. Pour parler ? Non, pas d’abord. D’abord pour manger ! Cette bouche qui, certes, va parler, puisqu’Ézéchiel sera prophète, cette bouche doit d’abord recevoir. Mais ne reçoit-on pas une parole avec les oreilles ? Évidemment ! Mais le texte dit autre chose, il va plus loin. C’est qu’une parole de vérité ne concerne pas que le cerveau, l’intelligence, mais toute la personne, le corps entier, tout comme la nourriture. Il y a quelques années, les journalistes en mal de sensationnel avaient fait tout un bruit à propos d’un écrit gnostique montrant un baiser de Jésus à Marie Madeleine. L’image n’était pas sexuelle, elle disait elle aussi que la parole se transmettait à la bouche de celui – de celle, en l’occurrence – qui devait la redire. Être nourri de la parole de Dieu n’est pas une jolie expression, c’est l’énoncé d’une vérité incontournable : cette parole, nous avons besoin de la manger. On pourrait d’ailleurs rajouter deux images proches : la mastiquer, et la digérer. La manducation de la parole est un acte complexe : la parole n’est pas faite pour être avalée goulûment sans prendre le temps, sans essayer d’en sentir tous les goûts, les nuances. Et sa digestion est nécessaire sous peine d’en être malade ! Laisser son corps être nourri de cette parole, laisser les différentes parties de ce corps, les différents éléments de son existence, prendre ce dont ils ont besoin de cette nourriture pour en être fortifiés…
La bouche ouverte du croyant, même s’il n’est pas prophète, est donc d’abord ouverte pour recevoir, recevoir la parole, manger le rouleau du livre, dont beaucoup de pages semblent être violentes et porter la condamnation. Et s’apercevoir qu’ « il fut dans ma bouche doux comme du miel », dit le prophète ! Or le prophète n’aurait pas plaisir à porter la condamnation. C’est donc que ce livre est à double face, comme le dit d’ailleurs notre texte. Les paroles de condamnation – la Loi de Dieu – cachent une parole de pardon – son Évangile. La condamnation de nos vies frelatées, qui est appel à la repentance, est un appel à se retourner pour trouver la vraie vie, la vie heureuse, la bénédiction de Dieu. C’est bien pour ça que les prophètes ont été envoyés – Dieu dira à Jérémie que c’est « pour arracher, abattre, détruire, faire périr et mettre à mal, [et aussi] pour bâtir et pour planter » (Jér. 31 / 28). C’est bien pour ça que les disciples de Jésus sont devenus apôtres, ont été envoyés. Pour prononcer la parole qui révèle le mal, et pour faire du bien en faisant périr ce mal. C’est bien pour ça que nous y résistons : le mal à détruire fait partie de nous, et tant qu’il est là nous ne goûtons pas encore le bien qui adviendra selon la promesse…
Si Dieu me fait tenir debout devant lui, comme son fils et non comme un esclave ou un condamné, s’il me montre à quoi ressemble mon visage lorsque je suis rebelle à sa voix, s’il me donne le livre de sa parole comme nourriture, ce n’est sûrement pas pour me détruire. Pour ça, il n’avait qu’à me laisser comme j’étais naturellement sans lui ! S’il me nourrit du livre de sa parole, c’est bien pour que je puisse redire en vérité cette parole, l’annoncer, la donner, l’offrir, aux gens de mon peuple, moi qui ne suis que l’un d’entre eux, un simple « fils d’humain ». Manger le livre ne donne aucune supériorité, aucune qualité. Mais cela donne une mission, ou plutôt c’en est le moyen. Je ne puis témoigner de la parole de Dieu si je n’en suis pas nourri, je ne puis témoigner de ma foi si je ne sais pas trop, corporellement, existentiellement, en qui, en quoi ma foi a confiance. Ensuite, « tu leur diras : “Ainsi parle le Seigneur, l’Éternel”. » Il n’y a pas, à cet endroit, deux points et un contenu à dire. Car ce que dit le Seigneur aux autres, que j’ai mission de leur dire, de restituer avec ce que je suis, c’est évidemment ce que moi-même j’en ai entendu, c’est ce que j’ai mangé du rouleau. Comme le chantait David : « Alors je dis : Voici je viens avec le rouleau du livre écrit pour moi. » (Ps. 40 / 8)
Pour moi tout entier, avec mon corps et tous ses membres, mon intelligence certes, et ma capacité de relation, mais aussi avec tout le reste : c’est ma personne entière que Dieu sollicite, pour lui et pour les autres. Le double commandement d’amour de Dieu et du prochain (Luc 10 / 27) ne dit pas autre chose. Il veut que mon visage rayonne sans mentir devant lui et devant les autres, tout comme le sien rayonne sa grâce et son amour pour moi et pour les autres. Moi tel que je suis. Moi tel qu’il me fait tenir sur mes pieds devant lui. Moi tel que la manducation de sa parole me transforme. C’est lui qui le fait, alors, qu’au moins je ne l’en empêche pas, et que je l’en remercie ! Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 16 février 2020