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Exode 20 / 7-11 ; Première épître aux Corinthiens 7 / 19-32a
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textes :
Exode 20 / 7-11
Tu ne lèves pas le nom de l’Éternel ton Dieu pour rien,
car l’Éternel ne laisse pas impuni
qui lève son nom pour rien.
Souviens-toi du jour du shabbat pour le sanctifier :
Six jours : tu sers
et tu fais tout ton ouvrage.
Et le septième jour : shabbat pour l’Éternel ton Dieu ;
tu ne fais aucun ouvrage, toi, et ton fils et ta fille,
ton serviteur et ta servante,
et ta bête et ton étranger qui (est) dans tes portes.
Car six jours : l’Éternel a fait le ciel et la terre,
la mer et tout ce qui (est) en eux,
et il se reposa le septième jour,
sur quoi l’Éternel a béni le jour du shabbat et il le sanctifia.
Première épître aux Corinthiens 7 / 29-32a
Voici ce que je dis, frères : le moment est raccourci ; au reste, que ceux qui ont une femme soient comme n’ayant pas, ceux qui pleurent comme ne pleurant pas, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas, ceux qui achètent comme ne possédant pas, et ceux qui usent du monde comme n’abusant pas, car la figure de ce monde passe. Or je voudrais que vous soyez sans inquiétude.
premières lectures : Évangile selon Marc 2 / 23 – 3 / 6 ; Ésaïe 55 / 1-3b
chants : 43-10 (Alléluia) et 32 (Chants de Taizé)
prédication :
« Je voudrais que vous soyez sans inquiétude. » Merci à l’apôtre Paul d’avoir écrit cette phrase. Jésus aussi avait dit à ses disciples, à la fin d’un long développement (Matth. 6 / 25-34) : « Ne vous inquiétez donc pas du lendemain car le lendemain s’inquiétera de lui-même. À chaque jour suffit sa peine. » Alors moi aussi, je voudrais vous dire : « soyez sans inquiétude. » Ne vous inquiétez pas pour moi, même si je ne sais pas à quoi ma retraite va ressembler. Ne vous inquiétez pas pour notre pays, même si vous ne savez pas, à cette heure-ci, à quoi ressemblera la nouvelle Assemblée nationale. Mais surtout, ne vous inquiétez pas pour vous, même si, à vues humaines, il n’y aura pas de pasteur d’ici au moins l’été prochain. Pourquoi donc ne pas s’inquiéter ? Parce que Dieu veille ? Amen ! Mais surtout parce que c’est shabbat !
S’il y a des amis juifs parmi nous, ils vont être surpris. Shabbat ? Mais c’était hier ! Shabbat, c’est le samedi, le dernier jour de la semaine. Mais je persiste : aujourd’hui, c’est shabbat ! Et ce, de deux manières. D’abord, les chrétiens fêtent la résurrection de Jésus, advenue le premier jour de la semaine, jour qu’à cause de ça on a appelé « dimanche », c’est-à-dire « jour du Seigneur ». Et si shabbat il y a en christianisme, alors pour nous c’est bien le dimanche, ouverture d’une nouvelle semaine, et non plus le samedi, conclusion de la précédente. Le shabbat – je vais y revenir – étant pour la foi chrétienne une grâce initiale, ce qui conditionne toute la suite, et non plus un repos terminal. Trahissons-nous le texte biblique ? Je pense que non… Considérons donc qu’en rendant ce culte à Dieu cet après-midi, c’est bien dans un esprit de shabbat que nous le faisons, un shabbat qui donne sens à tout le reste.
Et puis, deuxième manière d’être en shabbat aujourd’hui, et c’est une conséquence de ce que je viens de vous dire : ce shabbat est initial, et donc nous resterons en shabbat. Selon la Torah, le shabbat concluait la semaine, tout le travail ayant été fait ; le shabbat peut donc durer… éternellement ! À cause de Jésus, le shabbat n’est plus répétitif, il est pérennisé à notre profit. Car « le moment est raccourci », écrivait Paul. Tous les jours de la vie de notre foi sont désormais resserrés en un shabbat. L’Évangile ne nous demande pas de sortir du monde, vous le savez : nous ne sommes pas une secte, nous ne nous enfermerons pas entre nos murs qui ne laisseraient passer que nos amis. L’Évangile nous propose de relativiser tout ce qui n’est pas shabbat : que ceux qui font – et qui, naturellement, vont continuer à faire – soient comme ne faisant pas, et même que ceux qui votent soient comme ne votant pas ! Petit clin d’œil à l’actualité, certes. Mais rien ne vaut de sortir du shabbat, rien ne vaut de se battre contre des moulins à vent quelle qu’en soit la couleur.
Parce que, finalement, le shabbat, c’est quoi ? Le repos, certes. Votre serviteur va l’expérimenter bientôt ! Mais d’abord, c’est considérer ce que représente notre Dieu pour nous et pour le monde. Vous l’avez entendu, au cœur des Dix commandements, celui sur le shabbat suit immédiatement celui sur « ne pas lever le Nom de l’Éternel pour rien ». C’est donc avec cette phrase que nous pouvons mieux comprendre. Il y a des tas d’occasions de mouiller Dieu dans nos petites affaires, qu’elles soient électorales, professionnelles, militantes, affectives, médicales, ou tout ce que vous voulez. Or Dieu refuse. Nous devrions nous en rappeler dans nos prières, et arrêter de lui demander de justifier nos combats, nos pratiques, nos efforts, et de combler nos manques, nos peurs… Bon. Nous allons continuer à le lui demander, tant pis tant mieux… Mais tout ça, c’est donc le contraire du shabbat, nous érigeons nos inquiétudes en idoles qui nous fascinent ou qui nous terrorisent.
Or, dans l’expression « shabbat pour l’Éternel », le mot principal, c’est « l’Éternel ». Le Nom de l’Éternel se révèle dans nos vies lorsque nous sommes tournés vers lui, c’est alors que nous ne « prenons pas son nom en vain », comme dit la traduction habituelle. Dieu au centre, et pas sur le côté ! Je vous ai déjà raconté cette histoire : Une personne fait une démarche de conversion, se tourne vers Dieu qui l’attendait au bord de sa route, et elle le fait monter dans sa voiture pour l’emmener avec elle là où elle se rendait. Bien sûr, Dieu est alors plus près de cette personne que pour les gens qui ne le voient même pas au bord de leur route, ou qui décident de le laisser là, à faire du stop pour les voitures suivantes ! Mais une véritable conversion, ou pour le dire avec les mots de ce culte : un vrai shabbat, ce n’est pas de le faire asseoir à « la place du mort », comme on dit – quoique ce mot lui aille bien, lui qui a donné sa vie pour nous sur la croix de Jésus. Un vrai shabbat, c’est de lui donner les clefs de la voiture, de le laisser conduire, lui, là où lui veut nous emmener… « Shabbat pour l’Éternel : tu ne fais aucun ouvrage… »
Alors, frères et sœurs chrétiens de l’une ou l’autre Église, et vous amis qui nous rejoignez pour un moment, faites comme les Dix commandements : mettez le shabbat au cœur de votre vie, et que vous connaissiez Dieu ou pas – qui le connaît vraiment, sinon le Fils ? (Luc 10 / 22) – ouvrez-vous à sa présence, à son Nom, comme dit la Bible. Arrêtez de bouger, de gigoter sans arrêt, posez-vous, re-posez-vous ! Le shabbat, c’est le repos. Alors faites-le ! Non : ne faites pas, laissez-vous faire ! Le shabbat, c’est se laisser faire par Dieu qui a tout créé, y compris ma propre vie, mes temps et mes moments, mon passé, mon présent et mon avenir. Et que cet avenir doive être court ou long, qu’importe ! Dieu sait, c’est lui qui conduit…
Le seul moment à considérer, c’est aujourd’hui. Et aujourd’hui – quel que soit le jour – aujourd’hui, en Christ, c’est shabbat. Certains Juifs tournent le commandement, et à leur place nous ferions la même chose : ils font bosser des non-Juifs pour faire ce qu’eux n’ont pas le droit de faire le samedi. Le commandement est pourtant clair : pas même le bétail, pas même les étrangers qui n’observent pas la Loi de Dieu. Rien faire et rien faire faire. Repos, absence de tout travail, absence de tout ce par quoi je gagne ma vie à mes propres yeux ou aux yeux de Dieu. Car Dieu a gagné lui-même ma propre vie, pour moi, par la mort et la résurrection de son Fils. Je n’ai plus rien à faire pour lui, et plus rien à faire pour moi, qui puisse me gagner quoi que ce soit. En Jésus-Christ, je suis libéré de devoir gagner, de devoir mériter. Je suis libéré de devoir. Je suis libre. C’est shabbat.
Vais-je alors me croiser les bras en attendant la fin du monde, ce soir ou dans 10 millions d’années ? Vais-je faire comme les haredim, les Juifs ultra-orthodoxes : étudier la Bible jour et nuit en vivant aux crochets de ceux qui travaillent ? L’apôtre Paul ne disait pas de ne plus vivre, mais de considérer toute chose relativement à la présence de Dieu. Ce que je n’ai plus à faire pour Dieu ou pour moi, je puis alors le faire pour d’autres, pour ceux qui en ont besoin. Vous connaissez bien l’histoire du « jeune homme riche », ou plutôt de cet homme pieux « depuis sa jeunesse », à qui Jésus dit de ne plus faire pour Dieu ou pour lui, mais pour ceux qui en ont besoin, et puis de le suivre (Marc 10 / 21). Comme si l’absolu du commandement du shabbat permettait sa propre transgression dans deux domaines : s’occuper de ceux qui en ont besoin, et suivre Jésus, version modernisée du « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton être, et ton prochain comme toi-même » (Luc 10 / 27).
C’est alors que prend sens la question de Jésus – et lui seul pouvait la poser : « Est-il permis, le jour du shabbat, de faire du bien ou de faire du mal, de sauver une personne ou de la tuer ? » Car puisque « le shabbat a été fait pour l’être humain », ce n’est pas seulement pour que nous profitions de ce repos, mais aussi pour que nous nous en servions au profit des autres humains. Lorsque nous sommes occupés à nous soucier de nous-mêmes, ou même de faire des choses pour Dieu – comme s’il en avait besoin ! – nous n’avons plus le temps ni les moyens de nous occuper des autres – les « vrais » autres, pas ceux qui nous ressemblent ou qui vivent avec nous ! Nous ne pouvons nous abstraire réellement et durablement de nos affaires, de notre ouvrage, qu’à cause de Jésus et en lui. C’est donc seulement en lui que nous pouvons exercer son amour pour tous les petits, lorsque nous nous reposons de nos œuvres pour nous consacrer aux siennes, pour le contempler en train d’agir dans nos vies et à travers elles.
Autre manière de dire que le shabbat que nous vivons se transmet alors à d’autres : leur propre existence peut désormais goûter au repos que nous-mêmes goûtons à longueur de temps – ou à « temps raccourci », c’est comme vous voulez ! Le témoignage chrétien ne transmet pas une doctrine, il transmet un repos, il fait déteindre le shabbat sur les autres. Le commandement le disait déjà, rappelez-vous : « ni toi ni ton fils ni ta fille, ni ton serviteur ni ta servante, ni ton bétail ni l’étranger qui habite dans tes portes… » Ce n’était donc pas seulement : « ne les fais pas travailler », mais aussi : « sois le témoin de ce que Dieu fait pour eux aussi, pas seulement pour toi » ! Alors, chers amis, si nous vivons le repos de Dieu, transmettons-le aussi ! Mais donc, d’abord, vivons-le, expérimentons-le, cessons de courir après le temps que nous n’avons pas et même si nous l’avons, cessons de nous inquiéter pour notre vie et même pour notre vie éternelle.
Car c’est Dieu qui fait, c’est Dieu qui s’occupe, et c’est fait ! En Jésus vivant, la vie éternelle nous est offerte, et celle-ci consiste à se reposer en Dieu. Or cette vie est déjà commencée pour qui s’attache à Christ et lui fait confiance pour lui-même comme pour l’Église. Quant au monde, il passe, nous dit Paul. Voulez-vous le sauver ? C’est hors de votre portée, ne vous prenez pas pour Dieu ni pour le Christ ! Mais soyez vous-mêmes reposés, et toi, Église de Vosges-Meurthe, repose-toi aussi en Christ, sans te préoccuper de tes qualités et de tes défauts, et suis-le là où il veut te mener : c’est lui qui conduit ! Et il te conduit vers les autres, ceux qui ne le connaissent pas et qui perdent leur vie en courant ou en souffrant. Sois témoin de ton repos en lui, sois témoin de son amour pour toi. Ne te préoccupe pas des commandements, mais de vivre le « shabbat pour l’Éternel ton Dieu ». Sois sans inquiétude, souris à la vie, à Christ et aux gens. Amen.
Saint-Dié (culte de départ) – David Mitrani – 7 juillet 2024