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Exode 20 / 7-11
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prédication :
Chers frères et sœurs, vous connaissez tous la volonté du Seigneur Dieu, vous connaissez les versets qui énoncent cette volonté. Ils sont forts nombreux, très différents, parfois contradictoires sur certains points, à ce qu’il semble. Le texte biblique lui-même a conscience de certaines contradictions : certains prophètes énoncent une nouvelle compréhension qui réfute la lettre de l’ancienne, et puis Jésus, Jésus lui-même, dans le Sermon sur la montagne : « Vous avez entendu qu’il a été dit… mais moi je vous dis… » etc. (Matth. 5 / 21 et s.) Mais ce matin je ne vais pas reprendre tous les commandements bibliques ni leurs commentaires bibliques ! Je ne vais même pas reprendre les Dix Paroles gravées sur les Tables de pierre, que les chrétiens appellent les Dix commandements, et que vous savez sans doute par cœur…
Je voudrais seulement citer un petit bout de phrase de l’épître aux Éphésiens, au chapitre 5, verset 17 :
« ne soyez pas insensés, mais comprenez quelle (est) la volonté du Seigneur. »
C’est afin que nous puissions chercher à comprendre, précisément, ces deux commandements parmi les Dix, que je vous lis maintenant dans le livre de l’Exode, au chapitre 20, les versets 7 à 11 :
« Tu n’élèveras pas le nom de l’Éternel ton Dieu pour rien
car l’Éternel ne laissera pas impuni qui élèvera son nom pour rien.
Se souvenir du jour du shabbat pour le sanctifier :
Six jours tu serviras, et tu auras fait tout ton ouvrage.
Et le septième jour, shabbat pour l’Éternel ton Dieu,
tu ne feras aucun ouvrage, toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante,
et ta bête et ton étranger qui (est) dans tes portes.
Car six jours l’Éternel a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui (est) en eux, et il se reposa le septième jour ;
sur quoi l’Éternel a béni le jour du shabbat, et il le sanctifia. »
Il ne faut pas passer trop vite sur le verset de l’apôtre Paul ! Ce ne sont pas les païens qu’il traite ici d’ « insensés », mais ce sont les destinataires chrétiens de sa « lettre aux Éphésiens », c’est-à-dire nous autres – puisque vous savez que cette épître n’est pas adressée à une Église locale particulière, contrairement au titre que la tradition lui donne. Quant à « la volonté du Seigneur », nous courons donc ce risque de « non-sens », d’être « sans intelligence » comme c’est parfois traduit, puisque l’Apôtre prend le temps de nous en avertir. Il nous faut, dit-il « comprendre quelle est la volonté du Seigneur. » « Comprendre », c’est « prendre avec », « mette ensemble », en grec comme en français. Il va donc s’agir de mettre ensemble la lettre du commandement avec… avec quoi ? avec vous et moi, avec celui qui veut faire cette volonté, qui veut réaliser dans sa vie ce qui est écrit de la part du Seigneur.
Ainsi, la volonté du Seigneur ne se laisse lire qu’en cherchant à la « comprendre », et non simplement en l’énonçant. Mais c’est normal ! Dieu n’est pas un autour d’il y a de 2 à 4 000 ans, il est un Dieu vivant qui parle aujourd’hui, qui parle à l’aujourd’hui des lecteurs de la Bible, l’aujourd’hui de ceux qui lui font confiance. Il ne s’agira pas alors de douter du bien-fondé de cette confiance, ni de la volonté de Dieu, mais de la « comprendre », c’est-à-dire d’être un véritable destinataire de la parole que Dieu adresse à chacun en particulier, et donc à moi peut-être autrement qu’à l’un ou l’autre d’entre vous, ainsi qu’entre vous… Dieu n’a pas écrit, mais il parle. Vous me direz : « si, il a gravé lui-même les Tables de pierre ». Oui, mais les premières ont été cassées et les secondes perdues, et ce n’est pas pour rien, c’est bien ainsi ! La Bible n’est pas une idole, c’est un témoin, c’est un amplificateur de la Parole de Dieu afin que nous l’entendions. Celui qui l’a fait écrire, le Saint-Esprit, est aussi celui qui nous donne de la recevoir, c’est-à-dire de la « comprendre », de nous l’appliquer chacun à nous-mêmes (plutôt que de l’appliquer aux autres, ce qui ne nous engage pas beaucoup…).
Le premier des deux commandements que je vous ai lus est ordinairement et trivialement compris comme interdisant les jurons. Comme si les commandements de Dieu étaient des leçons de morale. Vous savez bien que non : ils servent à lutter contre l’idolâtrie, comme tout l’Ancien Testament autour d’eux. Mais si on s’en sert ainsi, pour interdire, alors évidemment, les jurons et insultes divers vont se construire en contradiction, en y mêlant le nom de Dieu, et c’est ce qui est arrivé autrefois, parfois en travestissant ce nom sous des formes banalisées mais où il est facilement reconnaissable, devenant par exemple « bleu » dans de vieilles expressions. Moi qui ne jure pas de cette manière, le commandement ne serait donc pas pour moi ? J’aurais droit à envoyer d’autres jurons, puisque sans y mentionner Dieu ? Vous voyez bien la limite d’une telle compréhension… qui ne comprend rien, qui énonce seulement.
Alors, « prendre » ou « porter » ou « élever le nom de Dieu pour rien » : de quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qui est « rien » ou « vide » ? On va le voir avec le texte lui-même. Mais dans notre expérience, il y a beaucoup de circonstances où nous prenons le nom de Dieu comme s’il ne pesait rien – c’est le contraire de lui donner gloire ! Il y a beaucoup de circonstances où nous utilisons Dieu – en tout cas une référence à lui, car heureusement lui n’est pas lié à nos bêtises ou à nos péchés ! Combien d’idéologies passées et présentes – et sans doute à venir – n’utilisent-elles pas le nom de Dieu pour se justifier, pour se réclamer de lui ? Je ne parle pas d’autres religions : leur dieu n’est pas le mien ! Mais parmi les chrétiens ou ceux qui s’en réclament, combien de guerres n’ont-elles pas été justifiées par une fidélité revendiquée à notre Dieu – guerres dites « justes » à cause de ça – par au moins l’un des deux camps sinon les deux chacun contre l’autre ! Combien de luttes sociales ou environnementales, combien de systèmes économiques, ne se servent-ils pas du nom de Dieu, à une époque ou une autre, pour prétendre à la vérité, pour revendiquer d’être incontournables et évidemment plus fidèles à Dieu que tout le reste ?
Mais dans nos théologies et nos spiritualités aussi, nous avons la tendance lourde à nous revendiquer comme plus fidèles à Dieu que les autres : les « réformés selon la Parole de Dieu » plus que ceux qui ne se sont pas réformés, les « catholiques » plus universels, les « évangéliques » plus proches de l’Évangile et plus missionnaires, les « orthodoxes » moins hérétiques, etc. Sans compter que chacun de nous, et au sein de chacune de nos traditions d’Église, nous pensons sincèrement que nous avons meilleure prédication, plus juste prière, meilleur enseignement, plus aimante diaconie, etc. Oh oui, que d’occasions nous avons de mêler Dieu à nos petites affaires, qu’elles soient culturelles ou politiques, économiques ou religieuses ! Toutes ces utilisations du nom de Dieu – même sans le prononcer des lèvres –, qui mêlent Dieu avec notre propre vide, sont de l’idolâtrie : nous nous servons de Dieu, au lieu de le servir. Nous utilisons Dieu, nous le ravalons à n’être qu’une référence pour nos pratiques et doctrines, et donc à n’en être qu’une parmi d’autres dans le monde. Nous faisons de Dieu un synonyme de « vide », nous faisons de lui un « rien », comme le sont toutes les autres divinités du monde.
La première de nos idolâtries non religieuses – quoique – n’est-elle pas le travail, ou tout ce que nous pouvons mettre sous ce mot, tout ce que nous « faisons » : engagement politique, syndical ou associatif, pratique religieuse, loisir, famille… ? Bien sûr, ces choses ne sont pas du travail. Mais bien souvent nous les menons ou y participons comme si c’en était, et il arrive que nous nous épuisions. Et dans tout ça, quel est le but ? Si le but du travail, c’est le travail, alors nous avons tout faux. Le second commandement de ce matin nous le dit bien. En effet, c’est la mention des « six jours » qui nous le fait voir, répétée dans le texte, sans préposition. Première mention : « Six jours tu serviras, et tu auras fait tout ton ouvrage. » J’ai donc quelque chose à faire, un ouvrage à accomplir. Dans quel but ? Deuxième mention : « six jours l’Éternel a fait le ciel et la terre… » Lui aussi a fait tout son ouvrage, ici détaillé. Un auteur que j’aime bien, Tolkien, parlait de « sous-création » à propos de l’écriture de ses romans. On pourrait le dire tout autant de n’importe quel ouvrage : l’être humain, par son travail, son « service », accomplit à son échelle ce que Dieu a fait à celle de tout l’univers ; l’être humain est un « sous-créateur » à l’image du Créateur.
Le but de n’importe quel travail, pour un chrétien, n’est donc pas le travail lui-même, mais ce qu’il réalise. Le but du travail n’est donc pas non plus le travailleur : travaillant à l’image de Dieu, je ne me prends pas moi-même pour Dieu, mais pour un fidèle serviteur plein d’admiration pour son Maître. Dieu n’a pas travaillé pour lui, mais pour nous. De même, nous ne travaillons pas pour nous, mais pour les autres, accomplissant ainsi notre vocation humaine. Sinon, nous nous mettons à la place de Dieu, mais pas même du vrai Dieu. Nous nous prenons pour une divinité mondaine, pourtant « incapables par nous-mêmes d’aucun bien », comme le priait Calvin. Nous nous méprenons sur nous, sur Dieu, sur le sens de notre vie. Nous « élevons le nom de Dieu pour rien », nous sommes idolâtres… Dieu avait donné un remède contre cette idolâtrie, idolâtrie de soi-même, du travail, d’une existence qu’il faudrait gagner, mais gagner à qui ? pourquoi ?
Ce remède, c’est le shabbat. Puisque nous copions Dieu « six jours » de manière profane, ordinaire, de même copions Dieu pour « le septième jour » ! Alors, alors seulement, nous pourrons vaincre l’idolâtrie, être libérés et du travail et de nous-mêmes ! Le travail n’est pas Dieu : on peut donc s’en abstenir ! Et puisque nous passons « six jours » à « faire », « le septième jour […] tu ne feras pas tout ouvrage. » « Comprendre. » Pas copier bêtement le commandement dans la vie quotidienne, et être des fantômes un jour par semaine. Pas non plus rester au lit et sortir en famille, en profiter pour venir au culte et rencontrer des amis. Comprendre, qu’on fasse ceci ou cela le dimanche… Comprendre que Dieu est Dieu, qu’il est notre Créateur, que nous ne dépendons que de lui et pas de nous-mêmes ni des autres. Casser toutes les idoles de nos vies et du monde – mais commençons donc par notre vie, serait-elle chrétienne. Être libres du travail et libres de nous-mêmes. Contrairement au slogan d’il y a quelques années, ni mon corps ni mon âme ni rien ne m’appartient. Je ne suis que gestionnaire des biens que Dieu m’accorde, je ne suis que gestionnaire de ma propre vie, pas propriétaire. Le monde est à Dieu, je suis à Dieu, vous êtes à Dieu. Ne vous laissez pas réduire en esclavage par les faux dieux, à commencer par vous-mêmes ou par l’image que vous avez de vous. Dieu sait qui vous êtes et vous aime ainsi, ne cherchez pas à lui dire qu’il a tort, ne cherchez pas à être le créateur de votre vie. « N’élevez pas son nom pour du vide. »
Notre texte ne dit pas que Dieu a béni les « six jours » de « service » – Il ne dit pas non plus le contraire, certes. Mais les Dix commandements commençaient par rappeler que Dieu avait libéré son peuple de « la maison des serviteurs ». Donc, le « service » … Tandis que la bénédiction du shabbat est explicite. Ce jour est béni parce qu’il nous met totalement en présence de Dieu, sans que plus rien n’interfère, et qu’ainsi toutes les différences humaines ne comptent plus devant lui. « Comprendre », comprendre cela, comprendre que rien n’a sens, que tout est du « vide » en-dehors de cette présence. Alors, quoi qu’on fasse le dimanche ou n’importe quel autre jour, comprendre que la vie, c’est se tenir devant Dieu ; comprendre que notre vie est un « shabbat pour l’Éternel » non pas à cause de ce que nous faisons, serait-ce pour lui, mais à cause de ce que lui a fait pour nous.
Certes les Dix commandements ne parlent pas explicitement de Jésus. « Comprendre ». Jésus, c’est ce que Dieu a fait pour nous ! Le « shabbat pour l’Éternel », c’est de nous tenir au pied de la croix, de suivre Jésus dans sa mort et sa résurrection. Que tout le reste, nous le faisions « comme ne le faisant pas », comme Paul tentera de le faire comprendre aussi aux Corinthiens, au chapitre 7. Même les choses belles du monde, et généreuses, voire indispensables ! Accomplissons notre vocation, mais en nous rappelant d’où elle vient : de Dieu, de Dieu seul, et nous y sommes restaurés en Christ malgré notre indignité, nos égarements, nos échecs. C’est nous qui sommes « sanctifiés » lorsque notre existence devient « shabbat ». Et pour être utile aux autres, et pour être témoignage rendu à Christ, nous ne pouvons pas nous en passer, nous ne pouvons pas « élever le nom de Dieu pour rien », mais seulement pour ce qui pèse, pour lui, pour Christ. Puissions-nous donc, avec l’aide de l’Esprit, traquer en nous tout ce qu’il reste d’idolâtrie, de refus du shabbat, de recherche d’autojustification. Quel que soit le jour de la semaine, Christ seul ! Amen.
Raon-l’Étape (culte mennonite) – David Mitrani – 8 octobre 2023