Exode 14 / 1 – 15 / 1. 20-21

 

texte :  Exode 14 / 1 – 15 / 1.20-21

premières lectures :  Évangile selon Marc 16 / 1-8 ; première épître aux Corinthiens 15 / 1-11

chants :  34-04 et 45-12

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Excusez-moi de l’allusion, mais on a un peu l’impression qu’ils sont comme nous, les Israélites sortis d’Égypte, mais pas vraiment sortis : libérés comme nous sommes vaccinés, mais confinés entre l’Égypte et la mer, et subissant des ordres et des contrordres de dirigeants dont ils ne comprennent pas la logique ! Mais le début et la fin du récit sont bien différents de ce que nous vivons, nous, et les gens plus fragiles que nous… Ce sont deux éléments très importants évidemment, car ils changent tout. Au début, Dieu explique à Moïse son projet dans ses grandes lignes : Moïse censément, et le lecteur assurément, savent donc où ils vont. Et à la fin, on constate que « l’Éternel sauva Israël de la main des Égyptiens. » Il n’y a aucun suspense, même pour quelqu’un qui ne connaîtrait rien de la Bible ni de l’histoire d’Israël, qui n’aurait jamais entendu parler de Moïse ni de la servitude en Égypte. Tout est dans le texte, tout est explicité. Celui qui écoute ce que Dieu dit au début n’est surpris en rien : il suffit de faire confiance à sa parole, de croire qu’il sait ce qu’il fait, où il va, et qu’il tiendra parole !

 

Car le but est double : évidemment la libération du peuple d’Israël, et aussi que par cette libération « les Égyptiens reconnaissent que je suis l’Éternel », dit Dieu. C’est qu’il y a un combat : d’un côté Pharaon et les dieux de l’Égypte, et de l’autre côté le Dieu d’Israël. Sauf que… les dieux de l’Égypte n’existent pas comme tels, ce ne sont que des démons qui s’agitent, des « mensonges », comme la Bible appelle les idoles… Alors il n’y a que Pharaon et Dieu. Devinez lequel va gagner ?!… Je vous l’ai dit, aucun suspense, sauf le moyen concret dont Dieu va user. Mais ce n’est pas ce qui inquiète les Israélites. Ce qui les inquiète, c’est qu’ils ne font pas confiance, ni à Moïse ni à son Dieu, malgré la Pâque. Car la Pâque est derrière eux : la mort est passée (c’est le sens du mot Pâque), la mort est passée par-dessus eux sans atteindre ceux qui avaient fait ce que Dieu demandait. Mais il faudra un autre passage (cette fois c’est un autre verbe, celui qui donne son nom aux Hébreux), le passage de la mer, le passage de l’Égypte vers un au-delà qui n’est pas encore la Terre promise. Mais ladite Terre promise est du même côté de la mer que le désert qu’il faudra traverser. Le vrai passage, c’est celui de la mer, ce n’est pas le désert.

 

Bien sûr vous avez compris pourquoi ce texte est lu aujourd’hui, quand tous les chrétiens (moyennant des calendriers un peu différents) célèbrent le passage de la mort à la vie, la résurrection de Jésus-Christ qui est le gage de la nôtre. Mais cette résurrection, nous ne la voyons pas. Les démons nous courent après, nous empoisonnent l’existence. Et je ne parle pas que du coronavirus, mais tout autant du « système » – comme on disait quand j’étais jeune – et aussi de nos propres inquiétudes, stratégies, corruptions, soifs de richesse, de pouvoir, de santé, de vie prolongée, etc. Certes les Égyptiens courent après les Israélites.  Mais « les Israélites furent remplis de crainte et crièrent à l’Éternel. » À la suite de quoi c’est Moïse qui est remis en question, et qui n’a que sa confiance en Dieu pour leur répondre, sans en savoir en fait plus qu’eux… Les Israélites ont raison de craindre les Égyptiens, s’ils ne font pas confiance à Dieu pour les sauver. Mais ils devraient aussi se méfier d’eux-mêmes, de leurs réactions défaitistes quoique bassement intéressées, de leur défiance à l’égard de la parole de Dieu. Je ne devrais pas faire confiance à mon manque de confiance !

 

C’est exactement cette attitude qui a conduit la majorité du peuple juif il y a 20 siècles, et presque tous ses dirigeants, à ne pas suivre Jésus, et à le mener à la mort sur la croix. Les récits évangéliques nous montrent la variété de stratégies qu’ils ont déployées pour ce faire, cherchant à se protéger de celui qu’ils ressentaient comme un ennemi de leur religion – et pourtant c’était la sienne ! – et comme un ennemi de leur tranquillité. Qu’ils aient été résistants ou collaborateurs, Jésus ne rentrait pas dans leurs cases, il ne rentrait dans aucune. Ils ont préféré leur manière de voir le monde, leur manière même de « voir » Dieu, ils ont préféré leurs propres peurs, leurs propres fardeaux, plutôt que de suivre cet homme qui disait aux petites gens : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos » (Matth. 11 / 28). Comme les Hébreux ont tellement résisté à l’idée de la liberté qui leur était promise, et qu’ils identifiaient à leur mort. C’est encore ce que chantaient les esclaves en Amérique : si vous faites attention aux paroles du negro spiritual « Freedom », cette liberté pour eux est celle qu’ils auront en mourant à l’esclavage, mais en mourant tout court… Et combien cette croyance n’a-t-elle pas servi à faire se tenir tranquilles les victimes de la société : ça ira mieux quand vous serez morts, alors vous serez libres !

 

En fait, les gens que Dieu veut libérer ne croient pas cette libération possible, ils ne croient pas à la liberté promise. Je parle bien des croyants, n’est-ce pas : comment les incroyants ou les païens pourraient-ils se préoccuper de ce Dieu qui promet aux gens d’être libres ?! Ce que la Bible montre aux croyants qui la lisent, c’est que des croyants n’ont pas fait confiance au Dieu qui les libérait, c’est que des croyants ont préféré être prisonniers d’eux-mêmes que de risquer d’être libres. Car bien sûr la liberté est un pari, comme toute confiance. Le pari que Dieu existe, pour parler comme Blaise Pascal. Le pari qu’il y a plus grand que moi, et que ce plus grand s’intéresse à moi. C’est ce que Moïse s’est usé à répéter pendant les 40 années de la sortie d’Égypte et du désert. C’est ce que tous les prophètes ont proclamé. C’est ce que les grands ont cherché à détourner à leur profit exclusif… mais ils sont morts comme tout le monde ! C’est ce que Jésus a vécu jusqu’au bout. Mais les inspirés, et Jésus lui-même, ne l’ont pas parié, ils l’ont su. C’est que le pari est dangereux, et contrairement à ce que disait Pascal, il n’est pas vrai que le perdant si Dieu n’existe pas ne perd rien. Il perd tout : il se fait massacrer par les Égyptiens ou il se noie dans la mer.

 

Jésus s’est fait crucifier par la justice des Juifs et des Romains coalisés. Il s’est noyé dans la mort. C’est ce qu’il a semblé à tous, et tous ont eu raison. Mais la mort n’a pas eu raison de lui. Comme Jonas, il a été re-suscité pour permettre le pardon, la liberté et la vie même aux méchants. Car c’était le projet de Dieu, et la mer s’est ouverte afin qu’il traversât à sec, comme les Hébreux. Il a ouvert une route qui n’existait pas. Ne soyons pas des Grecs, l’immortalité de l’âme est une invention philosophique ! La route de l’immortalité n’existe pas, la nature ne l’a pas inventée. C’est le passage du Christ par la croix qui a créé cette route nouvelle, pour ceux qui le suivraient. Croire que je suis immortel, c’est le péché originel, c’est me prendre pour Dieu. Mais croire que Dieu, à cause de Jésus, me rend immortel, c’est ma foi et mon espérance, et elles sont basées sur la résurrection de Jésus, uniquement sur la résurrection de Jésus. Sur quoi d’autre ?!

 

Dans le texte de l’Exode, Moïse est aussi une figure du Christ, lors de la traversée, lorsqu’il ouvre et qu’il ferme les eaux, lorsqu’il ouvre sur Israël et qu’il referme sur l’Égypte. Il est « celui qui ouvre et personne ne fermera, celui qui ferme et personne n’ouvrira », comme il le fait écrire par le voyant de l’Apocalypse (Apoc. 3 / 7). C’est redoutable pour ceux qui se confient en leur propre force, leurs « chars et [leurs] cavaliers ». Mais quelle joie pour ceux qui traversent en sachant que la main restera levée le temps de leur traversée, et ne se baissera que pour engloutir ce qui les gardait prisonniers et esclaves ! Je parlais tout à l’heure de démons à propos des faux dieux de l’Égypte, des faux dieux des nations, des faux dieux de notre monde. Les chars et les cavaliers de Pharaon sont ici comme les démons chevauchant nos peurs, nos fantasmes, nos rancœurs, nos maladies, tentant de nous empêcher de fuir leur monde qu’ils croient être le seul.

 

Mais nous ne fuyons pas, nous traversons en les laissant derrière nous ! C’est ce que nous voulons, non ? Les Israélites ne savaient pas si c’était vraiment ce qu’ils voulaient. En fait, ils ont emmenés leurs démons avec eux de l’autre côté. L’Exode est une figure de la résurrection, mais ce n’est qu’une figure… La véritable traversée n’est pas celle des Hébreux dans la mer des Joncs, mais c’est celle de Jésus-Christ dans la mort, et avec lui c’est notre traversée de la mort vers la vie. Car la mort n’est pas pour nous la noyade, puisque nous traversons à sec ! La mort, c’est de préférer rester esclaves, de préférer rester du mauvais côté de la mer, comme si ça allait nous garantir de ne pas mourir – mais nous y sommes morts ! Rappelez-vous ce passage de la lettre aux Éphésiens :

 

« Pour vous, vous étiez morts par vos fautes et par vos péchés dans lesquels vous marchiez autrefois selon le cours de ce monde, selon le prince de la puissance de l’air, cet esprit qui agit maintenant dans les fils de la rébellion. Nous tous aussi, nous étions de leur nombre et nous nous conduisions autrefois selon nos convoitises charnelles, nous exécutions les volontés de notre chair et de nos pensées, et nous étions par nature des enfants de colère comme les autres. Mais Dieu est riche en miséricorde et, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions morts par nos fautes, il nous a rendus à la vie avec le Christ – c’est par grâce que vous êtes sauvés – il nous a ressuscités ensemble et fait asseoir ensemble dans les lieux célestes en Jésus-Christ, afin de montrer dans les siècles à venir la richesse surabondante de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus-Christ. » (Éph. 2 / 1-7)

 

Le passage est ouvert, il y a quelque chose de l’autre côté, quelque chose de foncièrement bon et heureux, « un bon et vaste pays, découlant de lait et de miel » (Ex. 3 / 8). Ce passage n’est pas la mort, je ne suis pas en train de vous parler des « expériences de mort imminente », de tunnel et de lumière… ! C’est de notre vie dès maintenant qu’il est question, et certes jusqu’en éternité, grâce au Christ ! Celui qui attend la mort pour traverser ne traversera jamais, d’autant plus que tous les chars de l’Égypte ne sont pas enfouis au fond des eaux, il s’en faut de beaucoup… Il est risqué à plus d’un titre de ne pas traverser ! Les gens n’ont donc qu’une alternative : rester morts, ou bien traverser vers la vie avec le Christ. Et pour nous qui sommes en route, sachons que nous ne craignons désormais plus rien. Nous ne sommes pas dans Les Dix Commandements de Cecil B. deMille, à prendre peur au cours de la traversée en voyant les Égyptiens nous courir après ! Les seuls dont nous devions avoir peur, c’est nous-mêmes, mais même cette peur-ci est caduque et vaine : « l’Éternel regarda de la colonne de feu et de nuée », il veille sur nous afin que nous arrivions au but qu’il nous a préparé dans sa bonté paternelle.

 

Nous sommes des Hébreux, des gens qui avons traversé. Moïse et les hommes chantent, Myriam et les femmes chantent, tous le même chant, et à travers ces deux figures ce sont la Loi et les Prophètes qui nous invitent à célébrer le Christ crucifié et ressuscité, car c’est pour nous qu’il est mort et c’est pour nous qu’il est ressuscité. Nous qui sommes les enfants de cette traversée, nous en sommes témoins. Amen.

 

Senones  –  David Mitrani  –  4 avril 2021

 

 

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