Exode 12 / 1-14

 

texte :  Exode 12 / 1-14

premières lectures :  Première épître aux Corinthiens 11 / 23-29. 32-34a ; Évangile selon Jean 13 / 1-17

chants :  228 (J’aime l’Éternel) et 43-09 (Alléluia)

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Nous célébrons aujourd’hui le dernier repas de Jésus avant son arrestation, son jugement peu conforme au droit, sa condamnation et sa mort. Selon les évangélistes, il s’agissait du repas de la Pâque juive, le sédèr de Pessah. Les Juifs l’ont célébré ce mercredi, hier donc (si vous participez à ce culte ce jeudi-saint). Ils ont fait ce qui est prescrit dans le texte de l’Exode que nous venons d’entendre, repas familial ou avec voisins (quoique sans voisins cette année), tout au long d’une liturgie constituée de récits et de prières, fixée dans la haggadah de Pessah… Ils ont mangé le pain azyme et les herbes amères, rappelant la rapidité du départ et l’amertume de l’esclavage. Ils ont immolé l’agneau pascal – sans doute pas dans les maisons, de nos jours en France !

 

Parmi toute la richesse de ce texte de l’Écriture, il y a au moins deux ou trois choses que je voudrais souligner pour nous autres, chrétiens, pour qui ces événements racontés dans l’Ancien Testament sont les figures du Nouveau et nous parlent de Jésus-Christ.

 

La première chose, c’est que le commandement précise que ce repas se passe dans les maisons. Ceci est lourdement actuel, n’est-ce pas ? La plus grande fête de la Bible ne se passe pas au Temple de Jérusalem, mais en famille à la maison. C’est donc le seul sacrifice de l’Ancienne Alliance qui a survécu à la destruction du Temple de Jérusalem. Comme si la célébration de la libération, qui est certes une fête communautaire, était aussi tellement intime qu’on ne pouvait bien la célébrer que chez soi ou chez son voisin. Mais aussi, ce repas se passe la nuit, la nuit avant la libération… Celle-ci va venir, elle n’est pas là, mais tout la préparer et la montre. Le repas pascal est un signe avant-coureur de la libération, d’où le pain azyme. On mangera du pain levé quand on sera au pays. Entre les deux, il y aura la manne, le désert, l’épreuve, la longue marche…

 

Chers amis, le contexte actuel équivaut sans doute un peu, pour sa part, à cette nuit, à cet esclavage qui nous maintient confinés, mélange de maladie et de réglementation, avec la mort qui rôde, et qui parfois frappe, aveuglément. L’image a ses limites, on n’en extrapolera rien qui ne soit pas biblique, ne racontons pas n’importe quoi… Mais retenons-en que le lieu du mémorial, le lieu où se souvenir qu’on a été définitivement libéré de l’esclavage, c’est nos maisons, celles-là-même où nous sommes retenus aujourd’hui. Certains traînent dehors, ils se pensent plus forts que la mort. Raisonnements imbéciles, sans souci de soi ni des autres. Là où le sang n’aura pas été badigeonné sur l’entrée de la maison, rien n’arrêtera la mort… Mais ce n’est pas mon sang ni celui des miens. Aucun sacrifice ne m’est demandé, aucun suicide même symbolique. Non. C’est le sang d’un agneau sans défaut. Le secours ne viendra pas de moi ni de mes gesticulations. « Le secours me vient de l’Éternel qui a fait le ciel et la terre… » (Ps. 121 / 2)

 

Ce second élément que je souligne ici est bien sûr le plus important, qu’on soit confiné ou en d’autres temps. On n’est pas sauvé par son obéissance au commandement, contrairement à ce que croit le judaïsme. On n’est pas sauvé par un changement de comportement préalablement au salut, comme d’autres chrétiens le croient malgré le témoignage biblique. On est sauvé par Dieu parce qu’il a choisi, lui, de nous sauver. On est sauvé par le sang de l’agneau immolé lors de la Pâque, non pas chaque année mais une fois pour toutes. Mais à la différence du récit de l’Exode, ce n’est pas à nous de prendre un agneau. C’est comme dans le récit de la ligature d’Isaac (Gen. 22 / 8) : « Dieu va se pourvoir lui-même de l’agneau pour l’holocauste. » Et ce sont ceux qui sont au bénéfice de ce « sacrifice » qui n’en est pas un, ceux qui sont au bénéfice de ce « sang répandu pour beaucoup » (Matth. 26 / 28), qui ne connaîtront jamais la mort, quand bien même leur corps sera détruit. Pour eux, pour nous, la libération est acquise. Nous n’avons plus aucune peur à avoir… Peut-être est-ce pour cela que les Réformés célèbrent la cène avec du pain levé : c’est que « c’est fait », comme le dit le Christ lui-même (Apoc. 21 / 6).

 

Qu’est-ce qui est fait, qu’est-ce qui est accompli ? « Tous les dieux de l’Égypte » ont été vaincus, tout ce qui retient les humains en esclavage (individus et peuples), toutes les puissances de ce monde : la nature, la santé, le pouvoir, la sexualité, l’économie, l’argent, la famille elle-même… tout ce qui est là pour servir les humains, et qui les a asservis. Ces puissances de mort ont été vaincues par le Christ, qui est mort sans avoir jamais rien cédé à ces puissances, rendant leur « puissance » vaine, sans effet, sans objet. Sa résurrection que nous fêterons dimanche – comme chaque dimanche et plus encore, malgré le confinement dans nos maisons, mais qu’importe : nous y sommes libres – oui, sa résurrection est l’affirmation de sa victoire et de la nôtre. Dans nos maisons, à l’abri de son sang versé, nous pouvons nous réjouir de la libération promise et déjà acquise, quand bien même ne la voyons-nous pas encore en acte. Nous pouvons nous réjouir de ce que les puissances nous sont soumises, nous réjouir de notre liberté à en user désormais sans crainte d’y succomber.

 

Le sédèr de la Pâque est devenu pour nous le repas de la victoire du Christ par sa mort. Ce que le repas juif attend et espère, la sainte cène en représente la réalisation dans l’histoire et dans nos propres vies, dans nos propres corps. Sur nos vies, nos maisons, nos existences, c’est le Christ lui-même qui veille par sa vie offerte, son sang répandu. Le péché et la mort n’ont plus d’effet. Réjouissons-nous en Christ. Amen.

 

 (Saint-Dié) en confinement  –  David Mitrani  –  9 avril 2020

 

 

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