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Évangile selon Matthieu 9 / 35 – 10 / 10
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texte : Évangile selon Matthieu 9 / 35 – 10 / 10
premières lectures : Genèse 12 / 1-4a ; première épître aux Corinthiens 1 / 18-25
chants : 36-10 et 43-05
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Début du « ministère de Jésus », selon l’expression consacrée. Il parcourt la Galilée, en tout cas les lieux où se trouvent des Juifs, puisque lorsqu’il chasse des démons chez les païens, ceux-ci le mettent dehors (Matth. 8 / 34) … Et nous le voyons prêcher un Évangile qui agit, qui « guérit toute maladie et toute infirmité » chez ceux qui l’entendent. Depuis plusieurs dimanches les textes bibliques nous le disent, nous le répètent : « l’Évangile est puissance de Dieu pour le salut quiconque croit » (Rom. 1 / 16). Or le salut n’est pas un concept, une notion abstraite. Il est une guérison bien concrète, quelle que soit la manière dont on l’entend, quel que soit le « lieu » à guérir auquel on s’attend. Que serait d’ailleurs une « puissance » qui n’agirait pas, qui ne serait pas… puissante ?! L’évangéliste utilise donc trois verbes : « enseignant », « prêchant » et « guérissant ». Il semble bien que les trois lui soient nécessaires : enseigner n’apporte pas grand-chose d’original, si on ne prêche pas l’Évangile : on en reste alors au judaïsme des rabbins ; et prêcher reste parole en l’air si cela ne guérit rien ni personne…
C’est une vraie question pour nous autres, même si ce n’est pas le thème principal de cette prédication : à quoi vous sert votre pasteur ? Suis-je seulement un enseignant ? Ou bien entendez-vous aussi un peu de l’Évangile, la Bonne nouvelle du salut gratuit en Jésus-Christ, lorsque je prêche devant vous ? Et si oui, cet Évangile agit-il dans vos corps et vos esprits, non pas certes par ma puissance – qui est faible voire inexistante – mais par celle du Saint Esprit de Dieu ? Si vous gardez de mon ministère que vous aurez appris – ou réappris autrement – des choses intéressantes, alors ç’aura été un échec : même si j’aime faire ça, je ne suis pas là pour ça… Ou bien aurez-vous, parfois, été mis en présence du Seigneur ressuscité, par la prédication ou par la célébration de la cène ? Le critère de cette rencontre avec lui, c’est qu’à travers elle il guérit des choses dans votre vie, votre corps, votre esprit, vos relations, des choses qui en ont besoin… À condition bien sûr que vous le laissiez faire ; que vous ne bloquiez pas son action sur vous, en vous ; que vous ne lui tourniez pas le dos…
Alors, la question n’est pas de qui est responsable, moi ou vous ! C’est qu’enfin le Christ lui-même puisse vous rencontrer et vous guérir – et moi avec vous, car je n’y suis pas différent de vous, ni en un autre lieu que vous… Il est important que vous receviez ceci, ce cadeau, cette grâce. Il est important que, par moi ou malgré moi, vous receviez cette parole agissante que le Christ lui-même prononce sur vous en se livrant pour vous : sa mort est source de vie – ce qui est une parole folle mais vraie ! – sa mort est source de votre vie, c’est pour vous « aujourd’hui, si vous entendez sa voix » (Ps. 95 / 7 ; Hébr. 3 / 7). Je vous dis qu’il est important que vous receviez cette parole : c’est évidemment important pour vous, mais c’est aussi important pour ce que le Seigneur veut faire de vous, Quels que soient votre âge, votre état de santé, vos autres priorités, et même ce que vous avez déjà fait… Car vous l’avez bien compris, je pense, en entendant les textes de ce culte : le Seigneur veut nous faire bouger – vous faire bouger. Il a besoin de vous.
Serait-ce peu de constater qu’aujourd’hui dans notre pays (et dans beaucoup d’autres) les gens sont « lassés et abattus comme des brebis qui n’ont pas de bergers » ? C’est vrai au niveau religieux, c’est vrai au niveau politique, c’est vrai au niveau familial et social. Les explosions de joie communautaire, parfois violentes, à l’occasion d’une victoire footballistique ou d’une revendication sociale, sont là pour le prouver : ce sont des recherches de sens inassouvies, des tentations anarchistes ou fascistes de remplacer les bergers qui n’existent plus par des artefacts de jouissance collective sans lendemain puisque sans chefs ni projets. « Alors il dit à ses disciples : “La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le Seigneur de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson.” » Et c’est comme une réponse, non pas à leur prière qui n’a pas encore eu le temps d’exister mais à la sienne, que Jésus « appelle », « donne autorité » et « envoie douze » disciples – douze puisqu’envoyés à Israël. Ce sont ses disciples, c’est-à-dire qu’il les a enseignés ; il leur « donne autorité » parce qu’ils ont entendu l’Évangile et ont donc été guéris – l’avaient-ils réalisé ? Et enfin, de « disciples » ils deviennent « apôtres » – c’est le mot pour dire qu’ils sont envoyés…
Sans doute Jésus a-t-il besoin de leur rappeler : « vous avez reçu gratuitement… » Je viens de vous laisser entendre que peut-être ils ne s’étaient pas aperçu qu’ils avaient été guéris. Vous savez, c’est comme ces gens qui restent si longtemps assis ou couchés, empêchés de faire autrement, et qui lorsqu’ils sont guéris n’y croient pas et n’essaient pas de se lever. Vous pouvez imaginer toutes les autres situations qui reviennent au même… Ou bien sommes-nous souvent de ces gens qui attendent et espèrent une guérison de telle maladie ou infirmité, physique ou psychique, morale ou sociale, et puis qui sont guéris d’autre chose : ils ne voient pas alors que ce dont ils sont guéris est plus important que le handicap qu’ils conservent par ailleurs, parce qu’ils ne s’y attendaient pas. Rappelez-vous les Hébreux au Désert : ils n’ont pas de viande, alors que maintenant ils sont libres et guidés par Dieu ; mais ils auraient préféré de la viande ! (Ex. 16 / 3) Nous aussi, bien souvent, nous préférons la santé et l’aisance matérielle, plutôt que la communion du Dieu qui rend libre ! C’est que déjà nous sommes riches…
Les pauvres (chrétiens) savent très bien qu’en Dieu est leur salut, leur liberté, leur dignité, y compris au cœur des persécutions et des pauvretés. Jésus appelle donc ses disciples / apôtres à se savoir pauvres, pour comprendre qu’ils ont été enrichis par lui, pour réaliser ce qu’ils ont reçu de lui : pas seulement un nouvel enseignement, mais une nouvelle dignité : celle d’enfants de Dieu. Et c’est en tant que tels qu’ils sont maintenant envoyés, par paire comme il se doit. Pourquoi par deux ? Parce que c’est biblique, et non pas témoin de Jéhovah ! Mais si c’est biblique, c’est aussi parce qu’être enfants de Dieu signifie qu’on est frères et sœurs, c’est-à-dire qu’on a besoin les uns des autres : j’ai besoin de mon frère, comme lui peut avoir besoin de moi, y compris pour la mission, pour la vie chrétienne, pour arriver à accomplir ce que le Seigneur lui demande et me demande. Car c’est aussi à chacun qu’il demande, c’est chacun qu’il envoie : c’est pour ça que l’évangéliste nous donne les noms de chacun.
Certes nous ne faisons pas partie des Douze, l’heure de la mission auprès des « brebis perdues de la maison d’Israël » est passée – à moins qu’elle ne soit pas encore revenue. Faut-il en conclure que ce texte n’est pas pour nous, simple information sur les débuts de la primitive Église ? Pourtant je vous ai dit tout à l’heure : l’enseignement seul ne sert à rien. L’évangéliste Matthieu serait-il ici tombé dans ce travers : se contenter de nous informer ? Bien sûr que non. Le texte est bien pour nous, même si dans sa liste il n’y a guère de femmes, et ici ce matin pas beaucoup d’hommes ! Je vous le dis, l’heure est différente, mais l’appel et la mission sont toujours là, ils sont de tous les temps, depuis Abraham jusqu’au Dernier Jour. Et c’est toujours la bénédiction de toute l’humanité qui est en question : en serons-nous non point certes les auteurs, mais bien les agents ? Obéirons-nous à l’envoi en mission, comme Abraham, comme Paul, comme les Douze, comme tant d’autres chrétiens ?
Le passage de l’état de disciple au rôle d’apôtre est valable pour tout chrétien – le slogan de notre Église depuis 2013 n’est-il pas « une Église de témoins » ? Savoir ce que nous avons reçu, pour le redonner à ceux qui en manquent : on ne perd pas sa dignité de fils ou de fille de Dieu en élevant d’autres gens à la même dignité ! Tout au plus peut-on y perdre de son orgueil, de sa fausse dignité d’être humain prétendument seul face à Dieu et aux autres. Bref : y perdre les illusions que le diable avait mise dans nos cœurs pour nous perdre nous-mêmes. L’Évangile de l’amour de Dieu nous en a normalement libérés, même s’il en reste des petits tas cachés sous le tapis. Ces « esprits impurs » auxquels le diable prétend nous soumettre aujourd’hui comme il le faisait hier, alors qu’ils ne devraient être rien pour nous, ces esprits sont, dit Jésus, les premières choses à chasser – pas chez nous, ça il le fait, mais chez les autres : les esprits de soumission, de peur, de haine, de vengeance. Comme le disait la prière faussement attribuée à François d’Assise, vous savez : « Là où demeure la haine, que nous apportions l’amour. Là où se trouve l’offense, que nous mettions le pardon. Là où persistent les ténèbres, que nous mettions la lumière. Là où règne la tristesse, que nous fassions chanter la joie. » Etc. (Alléluia n° 36-29)
C’est bien ainsi que nous « prêcher[ons] que le Royaume des cieux est proche ». Car si nous accomplissons cette prière, nous prouvons que ce règne s’est effectivement approché jusqu’à nous, et à travers nous jusqu’à ceux qui sont au bénéfice de notre mission, de notre témoignage chrétien, c’est-à-dire du témoignage de notre vie chrétienne. La dernière recommandation de Jésus pourrait se traduire ainsi pour nous : « faites-le avec ce que vous êtes, vous n’avez pas besoin d’argent, d’outils ou de compétences particulières : l’Esprit saint vous suffit. » Rappelez-vous aussi Gédéon. Il se croyait abandonné de Dieu, lui et son peuple, et il s’emportait contre ce Dieu avec vigueur. Et Dieu l’a envoyé, en lui disant : « Va avec cette force que tu as. » (Juges 6 / 14-16) N’arrivons-nous pas encore tous plus ou moins à tenir ferme dans les aléas de nos existences ? Alors, cette force-ci conjuguée au fait que le Seigneur nous accompagne dans la mission qu’il nous donne, cela devrait nous suffire !
Il n’est pas besoin de s’appeler Abraham, Paul, Pierre, Jean ou Thaddée ! Ce n’est pas à leur mission que nous sommes appelés, mais à la nôtre. Ce n’est pas sur les routes du Croissant fertile, de Corinthe ou de Galilée, mais simplement, quant à nous, sur celles qui suivent la Meurthe, la Plaine ou le Rabodeau… C’est vers ceux qui nous ressemblent, là où nous vivons, comme pour les Douze : la mission au loin est réservée à d’autres, peut-être nos proches parfois, mais pas nous – nous le saurions ! Jésus demandait à ses disciples de prier Dieu d’envoyer des témoins. Et c’est eux-mêmes qu’il a envoyés. Le but de cette prière n’est-il pas alors que nous réalisions ce à quoi Jésus nous appelle, nous ; ce pour quoi et vers qui il nous envoie ? Si elle contient plus, le reste appartient à Dieu ! Mais ce contenu-là nous concerne : il y a du travail pour des chrétiens là où nous sommes : familles, villages, collègues, voisinage. Pas pour les enseigner, mais pour les aimer de l’amour-même que Jésus nous a porté à nous. Et si à l’égard de certains ça nous fait mal au cœur, c’est un mal qui passera, n’en doutez pas, au profit d’un plus grand bien. Après tout, quand Jésus nous envoie, qu’avons-nous à dire ou redire ? Allons-y. Amen.
Raon-l’Étape – David Mitrani – 21 juillet 2019